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Les radios sous un nouvel éclairage

Pour attirer un autre auditoire et séduire des jeunes élevés dans la culture de l’image, les stations s’investissent dans la production vidéo. Objectif ? Faire le buzz tous azimuts.

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Publié le 21 octobre 2014 à 18h24, modifié le 19 août 2019 à 14h32

Temps de Lecture 7 min.

Depuis septembre, un petit écriteau a été posé sur les portes des nouveaux studios de France Inter. Il vise à avertir les invités des émissions qu’ils seront filmés pendant leurs interventions. Une simple précaution pour éviter un éventuel recours juridique concernant le droit à l’image de chaque individu. Mais, aussi, une manière de permettre aux invités désirant ne pas retrouver leur bobine en boucle sur les réseaux sociaux de refuser de participer à l’émission. « Ça n’est encore jamais arrivé ! », précise Laurence Bloch, la directrice des programmes de la radio publique. Elle-même ne se dit pas « une farouche partisane » de la radio filmée. Mais elle le concède : « Les modes de consommation de la radio ont changé, et nous avons décidé d’avancer à petits pas. »

Désormais, la radio n’est donc plus seulement une affaire de micros. Fini le mystère de la voix, grâce auquel l’auditeur laissait filer son imagination, voire ses fantasmes, sur la physionomie de celle ou celui qui lui parlait le temps d’une émission. Smartphones, ordinateurs et tablettes ont changé la donne. Pour attirer un nouvel auditoire et séduire des jeunes élevés dans la culture de l’image qui écoutent la radio sur YouTube ou par l’intermédiaire d’un écran, les stations se sont lancées – pour certaines depuis plusieurs années – dans la production vidéo, avec de petites webcams qui ont évolué au fil du temps. Presque tous les studios sont désormais équipés de caméras, plus ou moins mobiles et très performantes. Les nouvelles générations d’auditeurs, qui ont grandi à l’ère numérique, plus nomades, grandes utilisatrices des réseaux sociaux, ont donc obligé les responsables des radios à se poser la question : comment filmer leurs émissions ?

Désormais, la radio n’est plus seulement une affaire de micros. Smartphones, ordinateurs et tablettes ont changé
la donne

« La radio est un média qui est fait pour être écouté, et tout ce qui existe autour est un enrichissement », tranche Bruno Gaston, directeur des programmes d’Europe 1, en rappelant que la « station périphérique » des années 1960 a été pionnière dans le domaine de la radio filmée – un terme qu’il juge dépassé. « On peut aujourd’hui parler de véritables réalisations et de mise en images, avec des cadrages variés et une forme de mise en scène. Compte tenu du développement des réseaux sociaux, nous souhaitons offrir une valeur ajoutée, avec des images haute définition et des liens. Le but est d’être en phase avec les jeunes auditeurs qui grandiront avec nous », poursuit-il. La station propose chaque jour sur son site quinze heures de programmes en direct, filmés par des professionnels de l’image dotés d’une dizaine de caméras haute définition. L’auditeur-internaute dispose aussi de « replays » d’émissions en vidéo à la demande, et de petites « pastilles » (des programmes courts) d’émissions ou de journaux.

« C’est un véritable contenu audiovisuel, avec différents plans et du rythme », confirme Gwenaëlle Le Cocguen, directrice des contenus ­numériques d’Europe 1. Chaque mois, précise-t-elle, plus de huit millions de vidéos sont ­visionnées sur le site. Parmi elles, les émissions politiques du dimanche soir, avec les petites phrases des invités qui sont très souvent reprises par les chaînes de télévision. On évoquait hier la « publicité gratuite » quand la télé parlait de la radio, il s’agit aujourd’hui, pour tout le monde, de « faire le buzz » tous azimuts.

« C’est une expérience de radio amplifiée »

RTL l’a bien compris. Voilà un peu plus d’un an qu’elle pratique la radio filmée, avec, elle aussi, quinze heures de direct en vidéo. « La production d’images est complémentaire de l’écoute ; elle ne cannibalise pas l’audience traditionnelle, constate Thomas Karolak, directeur exécutif de RTL.net. C’est une expérience de radio amplifiée, où l’on peut écouter, voir et vivre tout ce qui se passe au cours d’une émission. » En plus de faire attention à ce qu’ils disent, les invités doivent donc devenir prudents dans leur gestuelle. La garde des sceaux, Christiane Taubira, l’a appris à ses dépens : le 10 septembre, dans « La Matinale » de France Inter, elle a oublié la présence des caméras et s’est laissée aller à réagir aux propos d’un auditeur en faisant des grimaces. Cette séquence plutôt amusante est passée en boucle sur le Net.

Avec l’irruption des chaînes de télévision tout info, la nécessité du buzz s’est amplifiée. Au point que certaines radios reprennent désormais des éléments sonores de reportages ou d’entretiens des très nombreux invités qui ­défilent à longueur de journée sur leurs plateaux. En pleine ascension, BFM-TV a trouvé le filon. La chaîne, diffusée sur la TNT, reprend ainsi chaque matin l’interview réalisée par Jean-Jacques Bourdin sur RMC, radio appartenant au même groupe de presse que BFM. La boucle est bouclée.

« Le son est devenu une image ! »

« Le son est devenu une image ! Je le constate tous les soirs lors du Zapping du Grand Journal qui, souvent, propose des extraits de radio filmée », dit Augustin Trappenard, chroniqueur au « Grand Journal » sur Canal+ et animateur du magazine « Boomerang », le matin sur France Inter. « Mon émission n’est pas encore filmée, mais ça ne me dérangerait pas », précise-t-il. L’intérêt, à ses yeux, de filmer les émissions de radio ? « Montrer que le corps d’un invité entre en ligne de compte, qu’il peut exprimer une émotion qui s’ajoute à la voix. Un silence ne sera pas le même si on ne fait que l’entendre ou si l’on peut voir l’expression de celui qui le marque. De même pour une parole qui trébuche. »

« Aujourd’hui, on doit pouvoir regarder la radio », insiste Mathieu Gallet, le PDG de Radio France, qui avait fait des nouvelles technologies un argument fort lors de sa candidature, en début d’année, à la présidence du groupe public. Au sein de la Maison ronde, la proposition ne fait pas trop débat. A l’exception notable de France Culture, qui rechigne à ce que ses différentes émissions soient filmées.

Résistants à la radio filmée

« Nous ne sommes ni rigides ni conservateurs, mais je trouve assez amusant que tout le monde se jette dans la même piscine sans savoir nager !, raille son directeur, Olivier Poivre d’Arvor. Notre force est d’être différents. Nos émissions ne sont pas spectaculaires au sens de l’image, et je ne veux pas proposer à nos auditeurs de la mauvaise radio ou de la mauvaise télévision, encore moins de la vidéosurveillance. » La chaîne la plus pointue de Radio France peut-elle pour autant se passer de l’image ? Sûrement pas ! Pour souligner sa différence, la direction de France Culture prépare pour début 2015 une formule inédite de radio filmée, qui se déclinera sous la forme d’un journal télévisé hebdomadaire réalisé par un cinéaste de renom. Il y racontera, par un montage d’images, les « choses vues » tout au long de sa semaine dans les locaux de France Culture. « Il est important de pouvoir offrir à nos auditeurs un objet original de création, comme c’est déjà le cas avec la revue France Culture papiers », souligne Olivier Poivre d’Arvor.

Autre grand résistant à la radio filmée au sein de Radio France : François Rollin, chroniqueur sur France Inter. Le 14 octobre, dans son billet diffusé en direct, il s’est élevé avec humour contre ces images qui le montrent « tout vilain, tout moche » aux internautes. « La radio est un outil merveilleux, n’en faisons pas une sous-télévision, a-t-il souligné. Soit la radio n’est qu’une préfiguration inaboutie de la télévision et l’on ajoute des images, soit elle est un média à part entière et on la laisse vivre son identité. » Mais la plupart ne sont pas si réticents. Et certains se sont déjà si bien habitués à cette nouvelle donne qu’ils ne la trouvent même pas contraignante.

« Je suis naturel »

Ainsi, Patrick Cohen, présentateur du 7/9 sur France Inter – la seule émission entièrement ­filmée et diffusée sur le site Internet de la station –, assure que la présence de caméras dans le studio n’a rien changé à sa manière de travailler. « J’en ai pris mon parti. Je ne me maquille pas comme à la télévision, je suis naturel. J’ai juste un écran de contrôle que je n’ai même pas le temps de regarder. Les lumières restent douces et personne n’a l’impression d’être dans un studio de télévision. J’essaie juste de faire attention à ce que les invités ne fassent pas de gestes désordonnés », décrit-il, en précisant que cette nouvelle façon d’écouter la radio sur le Web, « encore très marginale », n’entrave pas sa liberté de mouvement.Même décontraction pour Guillaume ­Erner, animateur de « Service public » le matin sur France Inter, qui affirme, lui aussi, rester naturel. « Ce n’est pas comme à la télévision, où on me dit toujours de me tenir droit et de veiller à mes habits ! »

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