La mélopée étrange d'un basson solitaire dans l'aigu, des vents s'interpellant follement, l'irrépressible scansion d'une équipée de cordes sauvages : un rite sacrificiel est en marche, Le Sacre du printemps, que le jeune et brillant Igor Stravinsky écrivit à 31 ans, auréolé du succès de L'Oiseau de feu et de Petrouchka, également composés pour les Ballets russes.
Passé le scandale de la première au Théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 1913 – chorégraphie de Vaslav Nijinsky sous la direction de Pierre Monteux –, Le Sacre n'a cessé "d'alimenter d'abord les polémiques, puis les louanges, enfin les mises au point", nous dit Pierre Boulez.
La partition est désormais considérée comme un chef-d'œuvre "classique", qui emprunte aux traditions folkloriques russes et lituaniennes une dizaine de mélodies populaires mais aussi son époustouflante dynamique (changements de mesure, rythmes impairs et irréguliers) tandis qu'il conjugue à des procédés formels simples une orchestration éclatante et des harmonies issues de celles que le dernier Liszt révélait à Rimski-Korsakov.
Reste que Le Sacre est demeuré sans filiation directe : "La révolution du Sacre est un mythe. (…) On s'aperçoit avec stupéfaction de la solitude de cette œuvre, de l'absence de retombées consécutives à son explosion", constate le musicologue André Boucourechliev.
Malgré ses nombreux avatars chorégraphiques, son inflation discographique, l'écriture stravinskienne n'aura aucune influence sur Debussy et Ravel, affleurant dans le Bartok du Mandarin merveilleux ou le Varèse d'Hyperprism. Quant à Stravinsky lui-même, il changera de direction. Pour autant, Le Sacre aura stimulé l'imaginaire musical du XXe siècle, de Bartok à Ligeti, de Messiaen à Boulez, de Steve Reich à John Adams. Quant à nous, il s'est inscrit dans nos cerveaux reptiliens.
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Le Sacre du printemps. Le 10 juin, avec l'Orchestre Philharmonia, Esa-Pekka Salonen (direction) ; le 13 juin, avec l'Orchestre national de France, Daniele Gatti (direction) ; le 21 juin, avec l'Orchestre philharmonique de Rotterdam, Yannick Nézet-Séguin (direction). Théâtre des Champs-Elysées, 15, avenue Montaigne, Paris 8e. Tél. : 01-49-52-50-50. De 5 € à 85 €. www.theatrechampselysees.fr
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