Ich bin ein Unitedstater, malheureuselich


Vous connaissiez déjà, bien sûr, clairvoyants comme vous l’êtes, le 51ème et le 52ème états des États Zunis d’Amérique.  Malgré mes recherches acharnées, je n’arrive pas à mettre la main sur l’acte officiel d’adhésion d’ Israël et de la Grande-Bretagne à la grande Nation Unie sous l’autorité de Dieu (et non pas « couchée en dessous de Dieu » comme quelques esprits paresseux seraient tentés de traduire malicieusement).  Mais l’événement est de toute manière absolument incontestable, pour toute personne disposant, entre ses deux oreilles, d’à peine une douzaine de neurones rachitiques désespérément accrochés les uns aux autres du bout de leurs axones atones.

Le rattachement a dû se passer au tournant des années ’50.

Et aujourd’hui, dans un silence assourdissant (encore un de ces vaillants oxymores jouissant d’une splendide carrière dans le monde des locutions linguistiques), les États Terroristes d’Amérique s’agrandissent encore.  53 … 54 … 55 … 56 … 4 nouveaux états, la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne, se sont en effet unis, pour le pire et pour le pire, au grand frère délinquant transatlantique.

Et oui.  Le France est dans le lot.  Pour notre plus grande honte, nous sommes tous officiellement devenus la semaine dernière des étatzuniens d’Amérique (ou des Unitedstaters, comme on dit dans notre nouvel idiome).  You, me, tous, vous dis-je.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi (indubitablement animés par une mauvaise volonté évidente, étant donnée la place extravagante qui a été accordée au sujet la semaine dernière dans nos médias bien pensants), un bref rappel des faits.  Il s’agit du grave incident diplomatique survenu entre la Bolivie, un pays indépendant d’Amérique du Sud peuplé d’indigènes hirsutes, et les 4 pays européens susnommés autour de l’affaire Snowden.

(Bref rappel à l’intérieur du bref rappel, que les personnes éprises de nouvelles en tout genre peuvent donc se permettre de sauter allègrement sans entamer leur capital compréhension pour le reste du billet: Snowden, c’est ce jeune américain qui travaillait pour la NSA et qui s’est mu en whistleblower en révélant des informations confidentielles sur les programmes de surveillance menés par les États-Unis, le programme PRISM, espionnage qui s’étendait jusqu’à leurs « alliés », dont la France.  Et on parle là de bon gros espionnage, ambiance guerre froide, apte à faire pâlir de jalousie un Tom Clancy ou éclater de rage un John Le Carré.  Depuis, le jeune homme, terré dans la zone de transit de l’aéroport de Moscou dans l’attente qu’un pays courageux veuille bien lui accorder l’asile politique, le jeune homme, disais-je, est devenu le « terroriste » le plus recherché des autorités nord-américaines.  Ou peut-être le deuxième le plus recherché.  La lutte avec Julian Assange pour ce leadership promet en effet d’être très serrée.)

Bref, revenons à nos moutons du gouvernement français.  Les faits.  La semaine dernière, le président bolivien, Evo Morales, qui rentrait de Moscou, pénard, dans son élégant avion présidentiel blanc, s’est vu refusé, sous l’injonction du grand Inquisiteur Général Washingtonien, le survol de leur territoire par la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.  Au motif que Snowden aurait pu être dans l’avion.  On connait la paranoïa légendaire des étatzuniens et l’information s’est évidemment révélée fausse.  Mais n’empêche, le président Evo Morales a dû faire escale à Vienne (Vienne! on appréciera plus loin toute l’ironie de cette anecdote) où l’ambassadeur espagnol, sous prétexte de boire un café avec Evo, aurait tenté de monter dans l’avion pour vérifier si notre jeune voyou souffleur de sifflet n’était pas à bord, dissimulé dans le manche à balai du copilote (il est de notoriété publique que les espions maitrisent l’art de se grimer en à peu près tout ce qui est imaginable).

Les penaudes circonlocutions et les timides excuses bredouillées depuis par l’État français, par l’entremise de Hollande-le-Couillu et Fabius-le-Grand-Ouf, n’enlèvent rien à l’outrage qui a été infligé au chef d’État bolivien.  Fort justement, les gouvernements de la région exigent des pays européens concernés « qu’ils expliquent les raisons de la décision d’empêcher le survol de leur territoire par l’avion du président bolivien Morales ».  Les pays sud-américains en ont gros (comme dirait Perceval) et leurs gouvernants n’ont pas manqué de réagir au sommet de l’Unasur qui s’est tenu à Cochabamba ce jeudi 4 juillet.  Y participaient rien moins que Cristina Kirchner, présidente d’Argentine, Evo Morales, président de la Bolivie, Rafael Correa, président de l’Équateur, Desiré Bouterse, président du Surinam, José Mujica, président d’Uruguay, Nicolás Maduro, président du Venezuela, et des ministres ou ambassadeurs représentant le Brésil, le Chili, le Pérou et même la Colombie ou le Chili, qui ne sont pas exactement de dangereux nids d’anti-étatsuniens primaires.

La Déclaration de Cochabamba dénonce

« la flagrante violation de tous les traités internationaux qui régissent la cohabitation pacifique, solidarité et coopération » entre les États, ce qui « constitue un acte insolite, inamical et hostile ».  Il s’agit d’un « fait illicite qui affecte la liberté de circulation et de déplacement d’un chef d’État et de sa délégation officielle », poursuit le texte qui affirme que « l’inacceptable restriction de liberté de Morales, le convertissant virtuellement en un otage, constitue une violation des droits non seulement vis-à-vis du peuple bolivien mais des peuples et de tous les pays d’Amérique Latine, et marque un précédent dangereux dans le domaine du droit international en vigueur ».

Et c’est tout à fait exact.  Ce qu’a fait la France est bien une violation pure et simple d’un traité international de l’ONU.

La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 détaille les principes de l’immunité dont jouissent les membres de mission diplomatique, c’est à dire les ambassadeurs, et également les chefs d’État qui sont de facto à la tête de la diplomatie de leur pays.  Ce texte, ratifié par 189 pays, dont la France et les USA (c’est si rare de voir les USA ratifier un traité de l’ONU qu’il est important de le signaler, trouvé-je) précise qu’un État qui accueille un diplomate étranger doit (à l’exception des persona non grata telles que définies à l’Article 9, cas de figure qui ne correspond évidemment pas à Evo Morales, ou alors on nous aurait menti à l’issue de notre plein gré), l’État doit donc

« Sous réserve de ses lois et règlements relatifs aux zones dont l’accès est interdit ou réglementé pour des raisons de sécurité nationale, [assurer ] à tous les membres de la mission la liberté de déplacement et de circulation sur son territoire. » Art. 26

Vous l’aurez compris, cette affaire révèle au grand jour, encore une fois, la béate soumission de l’Europe en général et de la France en particulier aux diktats de Washington.  Et ce, même lorsque ces diktats sont illégaux (ce qui est souvent le cas, je vous le concède).  Un ordre, une injonction, un conseil, un désir, un vœu de nos « amis et alliés » américains?  Hop, nous obtempérons sans sourciller, avec déférence, respect, adulation et obséquiosité  … la queue entre les jambes (ah ben non, ça, c’est pas possible puisque cela fait un bail que nous ne disposons plus de tels attributs) … ben … le petit doit sur la couture du pantalon alors  (ah ben non, ça non plus, ce n’est pas possible puisqu’ils sont baissés, nos pantalons) … bref … d’une manière dont nous n’avons pas à être très fiers (euphémisme et oxymore, les 2 mamelles de l’écriture).

« Arrête donc de trainer avec ces gens-là », m’aurait averti ma mère il y a bien des années.  « Ces mauvaises fréquentations ne t’apporteront que malheur et tracas. »  Vous savez à quel point j’idolâtre cette nation voyou aussi éloignée d’une démocratie que Hollande d’une idée de gauche (ah la métaphore! la troisième mamelle de l’écriture).  J’en ai souvent parlé.  Mais il manquait un volet à mon éloge étatsunien.  Je n’étais en effet jamais entré dans les détails des traités internationaux que ce grand pays, glorifié et loué de tous, a ratifié.  C’est en regardant de plus près la convention de Vienne que je me suis décidé à faire un tour du propriétaire un peu plus sérieux.

Vous trouverez l’ensemble des traités et conventions internationales de l’ONU dans ma page des gorges profondes, ou bien directement sur le site de l’ONU.  Je ne me suis intéressé qu’à certains domaines mineurs 😀 comme le droit international, les droits de l’homme, le droit des femmes, le droit des minorités, l’armement ou bien encore l’environnement.

Voici une petite synthèse.  Pour mieux comprendre le degré d’individualisme des USA, sachez par exemple que la France, comme beaucoup d’autres pays, a ratifié la totalité des conventions et traités ci-dessous.

Traité international Ratification / adhésion des US
(cliquez pour voir la source)
Note
Reconnaissance comme obligatoire de la juridiction de la Cour internationale de Justice
Organisation internationale du Travail (OIT)
Convention de Vienne sur les relations diplomatiques   😀 1
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants   😀 2
Convention relative aux droits de l’enfant
Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort
Convention relative aux droits des personnes handicapées
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées
Convention relative au statut des réfugiés
Convention relative au statut des apatrides
Convention internationale pour la répression de la traite des femmes et des enfants
Statut de Rome de la Cour pénale internationale
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
Traité d’interdiction complète des essais nucléaires
Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction
Convention sur les armes à sous-munitions
Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination
Convention sur la diversité biologique
Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement
Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable dans le cas de certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet du commerce international
Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants

Notes:

  1. La convention de Vienne ratifiée!  Celle-là même que les US ont demandé de ne pas respecter à la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne dans l’affaire Evo Morales que je vous contais plus haut, et bien, oui, celle-là, ils l’ont bien ratifiée.  En fait, soit y’ratifient pas, soit y’ratifient mais n’en tiennent pas compte.  Sont au top ces ricains!
  2. Si, si, j’vous jure, ils l’ont ratifié celle-là.  Si vous me croyez pas, cliquez sur la coche verte, na.  Encore une expression facétieuse de l’humour historiquement désopilant de ce grand pays qui revêt toute sa magie lorsqu’on pense en même temps à Guantánamo, à Abu Ghraib ou à tous les autres centres de tortures US en Afghanistan, en Irak, en Thaïlande, en Pologne, en Roumanie, etc…

En gros, les USA s’assoit sur à peu près tout ce que l’ONU essaie de mettre en place au niveau international.  Pourquoi s’embarrasser de l’ONU lorsqu’on détient la Vérité et qu’on est prêts à l’exporter (cette vérité) manu militari si nécessaire, dans n’importe quel coin reculé du monde (et si en plus y’a du pétrole ou de l’or dans le sous-sol, comme par hasard, hop, dans la poche).

Et malgré tout ceci, nous, Français, nous, le 53ème état des USA, nous voici en train de lancer promptement les négociations en vue de l’ouverture du grand marché transatlantique, le fameux Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (ou TTIP dans la langue  du bienfaiteur international) dont tout le monde se fout … jusqu’au jour où … par exemple, réapparaitront dans nos assiettes européennes, tendrement réchauffées aux gaz de schistes US ou parisien, bœuf aux hormones, volailles lavées au chlore, céréales OGM et autres ovidés nourris aux farines animales.  (Mais ceci est un autre sujet sur lequel j’espère avoir le temps de revenir prochainement.  En attendant, pour les gourmands insatiables, goinfrez vous avec cette admirable analyse en 2 parties: part I et part II.)

Allez quoi, Marc!  Fais pas ton bégueule!  On s’en fout de tout ça.  On parle des USA, là!  Non mais allo quoi!  Faut rentrer dans la danse avec nous, avec tous les bœufs et les moutons, aux hormones et aux farines cannibales!  Ils sont beaux!  Ils sont grands!  Ils sentent le macadam chaud!  Ils sont gentils!  Ils sont cools!  Ils ont swags!  Ils aiment la liberté, la paix et la démocratie.  Et un peu la torture aussi, mais ils sont pas méchants au fond.  Ils ont des grosses bagnoles et des énormes trucks et ils croient pas au réchauffement climatique! Ils ont Manhattan et le Grand Canyon, des Macdonalds ET des Burger Kings, Venice et Miami Beach, des pistolets mitrailleurs dans leurs cartables et des bibles dans leurs chambres d’hôtel.  Ils ont un président noir et une future présidente femme …

… et en plus, la semaine dernière, c’était leur fête nationale!

Allez, bonne fête les Zaméricains!

One Reply to “”

  1. La honte , mais quelle honte ! Nous voici donc devenus officiellement des vassaux de Washington. Le grand Charles ( qui n’a pas fait que des conneries puisqu’il a quitté l’otan ) doit se retourner frénétiquement dans sa tombe en maudissant ses deux derniers successeurs. En tous cas si on me demande ma nationalité lors d’un déplacement à l’étranger, je répondrai zimbabwéen, c’est sûrement plus honorable!
    1000 excuses à Evo Morales, à son peuple et à toutes les têtes dures d’Amérique Latine.

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