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Le mystère du vol MH370 1/2 - Boeing disparu

A l’aéroport de Kuala Lumpur, cet écran géant permet de suivre les informations météo ainsi que la position des différents vols. Le 8 mars, à 0 h 41, s’y affichait le MH370 à destination de Pékin.
A l’aéroport de Kuala Lumpur, cet écran géant permet de suivre les informations météo ainsi que la position des différents vols. Le 8 mars, à 0 h 41, s’y affichait le MH370 à destination de Pékin. © DAMIR SAGOLJ/REUTERS
Marc Dugain , Mis à jour le

On n’a jamais retrouvé le Boeing 777 de Malaysia Airlines et ses 239 passagers disparus le 8 Mars 2014. Passionné d’aviation, l’auteur de « La Chambre des Officiers » et de « la malédiction d’Edgar » a mené l’enquête. Alors que des débris ont été retrouvés à La Réunion, qui pourraient provenir du Boeing, le travail de Marc Dugain prend une tonalité nouvelle: celle de la vérité.

«  Tout le monde nous ment. Il y a une omerta dans cette affaire, il y a trop d’incohérences. Je ne fais plus confiance à personne. » Ghyslain Wattrelos ponctue sa dernière affirmation par un sourire, pour exprimer sa détermination intacte, puis reste longuement absorbé par ses pensées. Perdre, le même jour, sa femme et deux de ses enfants va bien au-delà du drame. C’est une atrocité à laquelle personne n’est préparé. Y survivre ­demande un effort colossal que cet homme mesure chaque jour, depuis neuf mois, tant il est difficile de maintenir de la cohérence devant une telle absurdité. La difficulté est d’autant plus grande lorsque les autorités en charge de faire la lumière sur cette tragédie s’esquivent, comme si l’anéantissement du vol MH370, à bord duquel 239 personnes ont disparu , n’était rien de plus que la réalisation d’une funeste probabilité dans un monde sécurisé.

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La disparition du vol Air Malaysia reliant Kuala Lumpur à Pékin, le 8 mars 2014, ne ressemble à aucun autre accident ­recensé jusqu’ici. A son effacement sans laisser de traces s’ajoute l’édification, en un temps record, d’un mur du silence qui rappelle celui érigé par les autorités américaines lors de l’explosion du vol 800 de la TWA, près des côtes de la Nouvelle-Angleterre. Dans le cas du vol MH370, le mutisme s’est substitué à ­l’effervescence des premières heures avec une rapidité qui fait penser que la transparence n’est pas la priorité dans cette affaire. Sans doute ne s’agirait-il là que de supputations, si des menaces sur cette enquête n’avaient pas été adroitement distillées par un agent de renseignement occidental. De nombreux espions sont des écrivains contrariés. D’où l’emploi de métaphores étudiées pour nous déconseiller d’aller plus loin et nous faire comprendre, au final, qu’« il s’agit d’une affaire hautement sensible, d’une grande complexité », et qu’« il est préférable de laisser le temps faire son œuvre plutôt que de chercher à l’accélérer, avec tous les risques que cela induit ». Dans l’univers technologique qui est le nôtre, et particulièrement celui de l’armée américaine, il est surprenant qu’un gros-porteur de 63 mètres de longueur ait pu littéralement s’évanouir. Comme est surprenant le mépris pour des familles particulièrement maltraitées... Alors qu’on le connaît si actif dans les affaires d’otages, on comprend mal que François Hollande n’ait pas pris le temps de recevoir le mari et père des victimes françaises qui ne sont, à ce jour, que portées disparues.

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Lundi 24 mars, un officier de l’armée de l’air australienne, Marc Smith, patrouille à bord d’un Orion AP-3C.
Lundi 24 mars, un officier de l’armée de l’air australienne, Marc Smith, patrouille à bord d’un Orion AP-3C. © Richard WAINWRIGHT/EPA/MAXPPP

La volatilisation de l’appareil n’a laissé aucune trace officielle, ni sur terre ni sur mer. Déterminée selon des indications très larges données par un satellite géostationnaire anglais, la zone retenue dans le sud-ouest de l’océan Indien, ratissée avec des moyens considérables, n’a rien restitué. Pas le moindre débris et, bien entendu, aucune des boîtes noires de l’appareil qui auraient permis de reconstituer les circonstances du drame. En déclarant l’avion perdu, les autorités malaisiennes ont ­invité ­récemment les familles des victimes comme les observateurs à tirer un trait sur cette affaire. Près de neuf mois après la tragédie, ils considèrent l’affaire insoluble. Pourtant, une chose nous apparaît comme certaine : elle ne l’est pas. Le 8 mars de cette année, le commandant de bord du Boeing 777-200 se prépare normalement pour son vol du soir. Sur le chemin de l’aéroport, il a décidé de se rendre au procès du principal opposant au régime ­malaisien, jugé pour « sodomie », accusation médiévale qui en dit long sur le degré de modernité du régime. Une caste de politiciens corrompus tient le pays depuis ­cinquante-sept ans sur la base de prébende et de népotisme, avec un goût limité pour le partage. A 54 ans, ­Zaharie Bin Ahmad Shah , pilote expérimenté, fait partie de cette élite qui aimerait voir son pays entrer dans une ère démocratique. La condamnation à cinq ans de prison du leader de l’opposition lui prouve que ce temps n’est pas advenu et, selon certains ­témoignages, il en est particulièrement contrarié. Sur le plan personnel, on dit qu’il vient juste de divorcer. Le commandant de bord ne peut pas ignorer que dans sa cargaison des piles au lithium hautement inflammables ont déjà provoqué de graves incidents.
 
 Fariq Bin Ab Hamid, le copilote, est beaucoup plus jeune, 27 ans, et plus inexpérimenté, même s’il a commencé sa carrière à 20 ans. Il est sur le point d’épouser sa compagne et l’on connaît surtout de lui une de ses frasques, qui l’a conduit à faire entrer deux jeunes touristes étrangères dans le cockpit d’un avion qu’il copilotait, en infraction au règlement. Sans doute le commandant de bord prend-il alors connaissance du chargement en fret. Un avion de ligne, même plein en passagers auxquels s’ajoutent leurs bagages, garde une capacité de transport cargo conséquente. Le bordereau de chargement mentionne des piles au lithium, ces fameuses piles qui alimentent la plupart des appareils issus de notre frénésie de connexion. Il ne peut pas ignorer qu’elles sont hautement inflammables et à l’origine de plusieurs incidents graves, dont l’accident mortel d’un 747 de UPS qui s’est écrasé après avoir pris feu près de l’aéroport de Dubai. Manifeste-t-il sa réprobation ? Nous n’en savons rien. Le reste du chargement est beaucoup plus flou. Des fruits frais sont évoqués, bien que la saison fasse douter de leur réalité. NNR Global Logistics, la société chargée du fret, interrogée à plusieurs reprises, suit les consignes de silence et ne ­répond à aucune question. Le commandant de bord a certainement consulté aussi la liste des passagers, 227 personnes, essentiellement des Chinois, mais également des Malaisiens et, entre autres nationalités, deux Américains et quatre Français. Il ignore que deux passagers iraniens voyagent sous des passeports européens volés, et que plusieurs autres travaillent dans le domaine du contrôle des avions à distance. Un seul a pressenti le drame, Paul Weeks, un Australien qui a survécu récemment à un tremblement de terre en Nouvelle-Zélande et à un grave accident de voiture. Persuadé que son heure est venue, il remet sa bague et sa montre à sa femme, pour ses deux enfants. Son épouse le convainc de les reprendre, mais il la quitte avec la certitude de ne jamais la revoir.

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Le commandant de bord ne peut pas ignorer que dans sa cargaison des piles au lithium hautement inflammables ont déjà provoqué de graves incidents

Kuala Lumpur a la réputation d’avoir un aéroport passoire. D’autres passagers s’embarquent-ils alors dans l’avion sans figurer sur la liste ? C’est une éventualité. Une chose, en revanche, est acquise. Les pilotes savent que leur avion, le B 777-200, est un des plus vendus dans le monde, la fierté de Boeing qui a fait de ce gros-porteur un des modules les plus sûrs en service sur la planète, même si des phénomènes d’usure ont pu être observés sur la carlingue des plus anciens d’entre eux.
 Le MH370 décolle de Kuala Lumpur à 0 h 41, heure locale. A 1 h 01, il confirme avoir atteint son altitude de croisière, soit 35 000 pieds. Le système Acars, qui transmet les données techniques du vol à la maintenance, fonctionne normalement. L’avion fait route au nord, à destination de Pékin. Le plan de vol prévoit qu’il survole le Vietnam. Alors qu’il quitte l’espace aérien malaisien, une dernière conversation a lieu entre le cockpit et le contrôle aérien. Le copilote prend congé de ses interlocuteurs : « Bonne nuit ! Malaysia 370. » Des commentateurs affirmeront ensuite, sur la base de prétendus témoignages du contrôleur ­aérien, qu’il y avait comme un ton de défi, un rien sardonique, dans la façon dont le copilote s’est exprimé, signe annonciateur de la suite. Pourtant, rien n’indique que le dialogue, dans ses propos ou ses intonations, ait varié des usages. A 1 h 19, quand l’avion quitte l’espace aérien malaisien, rien d’anormal ne transparaît de ce vol. Puis tout se gâte brutalement. Trois minutes plus tard, à 1 h 22, le transpondeur, cet appareil qui permet à un avion d’être localisé depuis le sol autant que par les autres avions, est soudainement débranché. Ultime contact avec l’extérieur, il n’est désactivé par le pilote qu’en cas de problème électrique grave.
 
 
 Encore trois minutes plus tard, l’avion dévie soudain de sa route et, apparemment, part en sens inverse. A 1 h 30, le centre de contrôle aérien vietnamien de Hô Chi Minh-Ville échoue à ­entrer en contact avec le MH370 et demande à l’avion commercial présumé le plus proche de le faire pour lui. Le pilote de ce ­dernier ne reçoit en retour que des marmonnements sur fond de parasites. A 1 h 37, le système Acars, censé transmettre de nouvelles données, n’émet pas. A 1 h 38, le contrôle aérien d’Hô Chi Minh-Ville demande à celui de Kuala Lumpur de prendre des nouvelles du MH 370. L’avion n’a pas pris contact avec lui, comme le veut la coutume, et il a disparu de son radar après le point de cheminement Bitod. Le contrôle aérien de Kuala Lumpur ­répond que le MH370 n’est jamais revenu sur sa fréquence après avoir franchi le point de cheminement Igari, le dernier sous son contrôle. A 2 h 03, Malaysia Airlines, prévenu de la disparition, envoie un message au cockpit lui demandant de joindre d’urgence le contrôle aérien vietnamien. Pas de réponse. A 2 h 15, le contrôle aérien de Kuala Lumpur contacte le centre des opérations de Malaysia Airlines. Ce dernier lui fait savoir qu’il est capable d’échanger des signaux avec le vol 370 et que celui-ci est dans l’espace aérien cambodgien. Trois minutes plus tard, à 2 h 18, le contrôle aérien de Kuala Lumpur demande à celui d’Hô Chi Minh-Ville si le MH370 est supposé entrer dans l’espace aérien cambodgien. La réponse est immédiate.

La route prévue ne comprenait pas l’espace cambodgien, et ses responsables confirment que l’avion ne l’a pas emprunté. A 2 h 22, un dernier contact entre le radar militaire primaire malaisien et l’avion situe celui-ci à 370 kilomètres au nord-ouest de Penang. A 2 h 25, un « log-on request » est envoyé à l’avion via le satellite Inmarsat. Il s’agit en réalité d’une demande d’information sur le fonctionnement des moteurs, transmise par Rolls-Royce. Sur les avions modernes, les moteurs parlent à leur constructeur à heure fixe via une liaison satellite. L’avion accuse réception de la demande, sans y répondre. Il en ira ainsi toutes les heures jusqu’à la disparition définitive présumée de l’appareil. A 2 h 24, le centre des opérations de Malaysia Airlines revient sur sa déclaration de prise de contact avec l’avion. Malgré cela, une minute plus tard, Malaysia Airlines confirme au centre de contrôle de Kuala Lumpur la localisation de l’avion au-dessus du Nord-Vietnam, information relayée à Hô Chi Minh-Ville. A 2 h 39, une tentative est faite de joindre le cockpit par téléphone, via le lien satellite de l’avion : échec. A 3 h 30, le centre des opérations de Malaysia informe Kuala Lumpur que ses informations concernant la ­position de l’avion étaient basées sur des projections et non pas sur la réalité. A 5 h 30, le centre de coordination du secours aérien de Kuala Lumpur est activé. A 6 h 30, heure prévue de l’arrivée du vol MH370 à Pékin, l’avion est ­déclaré disparu aux familles, sidérées par la nouvelle. A 7 h 13, un nouvel essai de contact téléphone échoue. A 7 h 24, l’appareil est déclaré officiellement disparu à la presse. A 8 h 19 et trente-sept secondes, un dernier signal satellite, apparemment de faible intensité, provient de l’avion.
 
 Aucun contact satellite avec l’avion, depuis sa disparition, n’a donné lieu à un échange d’information, mais uniquement à une reconnaissance de signaux. Sur la base de ces derniers, la société britannique qui exploite le ­satellite a déterminé, selon des règles très complexes, la trajectoire de l’avion qui, après sa disparition des écrans radars, a servi de base aux recherches. Selon l’arc qu’elle a défini, l’appareil aurait pu aussi bien se diriger vers le nord, au Kazakhstan, qu’au sud, vers l’Australie. La route au nord se faisant au-dessus de la terre, l’avion aurait ­forcément été identifié par des radars militaires ou civils. On en a déduit que l’avion ne pouvait avoir fait route qu’au sud, selon un trajet qui le mène dans l’océan Indien à l’ouest de l’Australie où les recherches ont été lancées, sans aucun résultat. Même si tout le monde à bord est mort asphyxié, l’avion peut voler des heures en pilote automatique

 
A lire: la deuxième partie de l'enquête consacrée au vol

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