BLOC-NOTES

Lecture dans le parc

C’est l’auteure de Jeanne chez les autres, Marie Larocque, qui ouvrait ce week-end la saison des Lecteurs au parc Baldwin, intersection Marie-Anne et Fullum. Tous les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 26 juillet, des auteurs ou des comédiens invités liront d’abord des livres pour enfants à 19 h, puis des extraits d’œuvres pour adultes à 20 h. Si Abla Farhoud et Francine Noël liront leurs propres romans, Sylvie Potvin lira du Tremblay, Claudia Larochelle du Laferrière, Mathieu Gosselin du Miron et Joseph Bellerose du Jean-Simon Desrochers. Qu’ont en commun tous ces livres ? Ils se déroulent dans le Plateau Mont-Royal, dont l’univers romanesque est fort bien peuplé.

— Josée Lapointe, La Presse

MARTIN GRAY ET MÉLANIE LOISEL

Celui qui va

Martin Gray,
ma vie en partage

Entretiens avec Mélanie Loisel

L’aube, 214 pages

À 92 ans, celui qui a bouleversé le monde en 1971 par le récit de sa vie, Au nom de tous les miens, poursuit sans relâche son combat pour qu’on se souvienne de l’horreur de l’Holocauste, mais aussi pour garder espoir en l’avenir. Et c’est une journaliste québécoise, Mélanie Loisel, qui, avec le recueil d’entretiens Ma vie en partage, rappelle Martin Gray à la mémoire des générations.

Dans les années 70, Au nom de tous les miens, récit de la vie de Martin Gray rédigé par Max Gallo, a été un immense best-seller, porté à l’écran en 1983 par Robert Enrico. Des millions de lecteurs ont découvert une vie marquée par d’atroces tragédies, mais aussi une résilience hors du commun.

Martin Gray, Juif d’origine polonaise, a survécu au camp de Treblinka et à l’insurrection du ghetto de Varsovie, alors que toute sa famille a été exterminée – il a même vu son père se faire tuer devant lui. Après la guerre, il se réfugie aux États-Unis, où il fait fortune dans la vente d’antiquités, puis en France, où le drame frappe à nouveau : il perd femme et enfants dans un incendie de forêt en 1970, en Provence.

Cette répétition du pire a frappé les esprits. Comment un homme foudroyé de la sorte par la perte des siens a-t-il pu s’en sortir sans sombrer dans le désespoir absolu ? Son témoignage et les milliers de lettres de ses lecteurs l’ont sauvé.

« Après la mort de ma femme et de mes enfants, tout ça une deuxième fois, je ne voulais plus vivre, bien sûr, dit Martin Gray, joint au téléphone à Bruxelles, où il réside. Mais je ne voulais pas non plus qu’ils soient morts pour rien. J’ai donc décidé de transformer ce malheur en quelque chose de positif, j’ai essayé de me donner à fond pour les autres, et c’est grâce à mes livres et à mes lecteurs que je suis redevenu vivant. C’est pour ça que j’ai pu survivre. Le partage avec les autres, c’est le secret de tout. »

Le partage est dans le titre de ce recueil d’entretiens menés par la journaliste Mélanie Loisel, à qui il voue une affection sincère. « Elle est venue tout simplement, et j’ai trouvé très bien que quelqu’un qui vient du Canada s’intéresse à ceux qui ont vécu cette expérience. Elle m’a fait parler comme personne jusqu’à maintenant. Grâce à elle, je peux partager encore ma vie avec les autres et donner un peu d’espoir à ceux qui en ont besoin aujourd’hui. »

« Pour moi, le seul besoin de l’Homme, c’est l’amour. L’amour des autres, l’amour de soi aussi. Je pourrais parler de ça pendant des heures. »

— Martin Gray

LA GLOIRE D’ÊTRE EN VIE

Dans ces discussions, Martin Gray revient sur sa vie, ses drames, sa vision du monde, ses inquiétudes et ses espoirs, mais aussi sur les polémiques entourant son succès – on lui a reproché d’avoir inventé des détails ou d’avoir écrit ce livre pour des raisons bassement financières. Peut-être que ce succès populaire en a irrité plus d’un, puisque Martin Gray ne se considère pas comme un écrivain au même titre que Primo Levi ou Robert Antelme.

« Moi, je connais seulement l’écriture du cœur, de la rue, l’écriture de tous les jours. L’écriture, pour moi, est un cri d’horreur, d’amour, de souffrance et d’espoir. Ceux qui m’accusaient n’ont pas compris que, pour moi, la plus grande gloire, c’est d’être en vie. Mais, même aujourd’hui, il y a des révisionnistes, des antisémites, des racistes. C’est terrible, quand j’y pense. Mais il ne faut pas désespérer. »

Martin Gray reçoit d’ailleurs très durement les récents résultats des élections européennes. « Ça me bouleverse d’apprendre que 25 % de Français ont voté pour Marine Le Pen. C’est insoutenable, pour moi. Insoutenable et inquiétant. Ça me rappelle qu’en 1936, avant la guerre, il y avait un problème de chômage en Europe, et c’est toujours quand les choses ne vont pas bien que la droite réussit à monter. C’est la même chose qui se répète, différemment. Je suis triste de voir que l’Europe n’a pas appris de leçons après tout ce que nous avons vu et connu. »

C’est pourquoi, depuis tant d’années, il sent qu’il a le devoir de témoigner. Il a donné des milliers de conférences dans les écoles et continue d’en donner ; il veut créer à Bruxelles un centre sur tous les génocides que la planète a connus. Il croit que les plus grandes menaces de l’humanité sont la bombe nucléaire et l’amnésie historique. En parfaite forme à 92 ans (il a des idées très radicales sur la santé et la médecine moderne), sa longévité, qui est une formidable revanche sur ceux qui ont voulu le tuer, est à la mesure de sa volonté de combattre pour la vie, jusqu’au bout, en espérant que ceux qui le suivent reprendront le flambeau.

« Je sais pour quelle raison je suis là : pour me battre. Mais il y en a beaucoup comme moi, il faut continuer la bataille. C’est aux autres et à vous de continuer à parler en notre nom. Ainsi, nos enfants pourront vivre dans un monde un peu plus juste, un peu plus humain. »

MARTIN GRAY ET MÉLANIE LOISEL

Le travail de mémoire de Mélanie Loisel

C’est une ambitieuse entreprise qui a mené Mélanie Loisel à ce livre d’entretiens avec Martin Gray. La journaliste, collaboratrice au Devoir, travaille à un projet de « mémoire vivante » pour lequel elle a interviewé une cinquantaine de personnes, pour la plupart âgées de 70 ans et plus, qui ont été au cœur de l’histoire. 

Parmi elles, des survivants d’Hiroshima et de l’Holocauste, le traducteur de Mao, l’ancien secrétaire de l’ONU Boutros
Boutros-Ghali, Vaclav Havel (notre photo), le meilleur ami de Martin Luther King… Comme ligne directrice, trois questions : quelles leçons avez-vous retenues ? Que
pensez-vous du monde d’aujourd’hui ? Qu’avez-vous à dire à la jeunesse ?

Le nom de Martin Gray, qu’elle avait lu adolescente, s’est imposé, sans qu’elle se doute de la générosité qui allait suivre. Martin Gray est un homme particulièrement intense. « Je dirais que cela n’a pas toujours été facile, il y a eu un choc de générations, mais je cherchais à comprendre qui il était et comment on se construit à travers les épreuves. Il est toujours en mouvement, c’est difficile de l’asseoir pendant une demi-heure. C’est une manière pour lui de ne pas s’arrêter, pour ne pas tomber dans la douleur. »

Entre Mélanie Loisel, 32 ans, et Martin Gray, 92 ans, il y a 60 ans d’écart. L’intensité dont fait preuve Martin Gray et la détermination de Mélanie Loisel ont créé quelques étincelles – notamment sur les questions du terrorisme et du conflit israélo-palestinien –, mais, au bout du compte, ils sont devenus amis et se parlent encore régulièrement.

« Cet homme-là a eu envie de mourir, de tuer, mais il s’est accroché à la fraternité et à l’amour, toutes des émotions très humaines. C’est l’amalgame de tout cela, la façon dont il a passé d’un bout à l’autre et a réussi à rester vivant, qui m’a marquée. »

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