Bassam Sabbagh (Judgment) French Text [2015] EUECJ T-652/11 (26 February 2015)

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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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Cite as: [2015] EUECJ T-652/11

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ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

26 février 2015 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur manifeste d’appréciation – Responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑652/11,

Bassam Sabbagh, demeurant à Damas (Syrie), représenté par Mes M.-A. Bastin et J.-M. Salva, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. B. Driessen et Mme S. Kyriakopoulou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation du règlement d’exécution (UE) n° 1151/2011 du Conseil, du 14 novembre 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 442/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 296, p. 3), de la décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273/PESC (JO L 319, p. 56), et du règlement (UE) n° 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) n° 442/2011 (JO L 16, p. 1), pour autant que ces actes concernent le requérant, et, d’autre part, une demande de versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mai 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Bassam Sabbagh, est un avocat inscrit au barreau de Damas (Syrie).

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 9 mai 2011, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi qu’un gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. Le nom du requérant n’y figure pas. En vertu de l’article 5 de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier ladite annexe.

4        Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 121, p. 1). Ce règlement est, pour l’essentiel, identique à la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. La liste figurant à l’annexe II dudit règlement est identique à celle figurant à l’annexe de la décision 2011/273 et le nom du requérant n’y figure donc pas. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 442/2011, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et examine, par ailleurs, la liste y figurant à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

5        Par le règlement d’exécution (UE) n° 1151/2011 du Conseil, du 14 novembre 2011, mettant en œuvre le règlement n° 442/2011 (JO L 296, p. 3), le Conseil a ajouté des noms à la liste des personnes figurant à l’annexe II du règlement n° 442/2011. Le nom du requérant figure à la ligne 16 du tableau de l’annexe dudit règlement d’exécution ainsi que la date de l’inscription de son nom sur la liste en cause, en l’occurrence le 14 novembre 2011, ses date et lieu de naissance, son adresse, son numéro de passeport syrien, la date à laquelle il lui a été délivré et sa date de fin de validité ainsi que les motifs suivants : « [d]irige le cabinet Sabbagh et Associés (Damas), avocat au barreau de Paris ; conseiller juridique et financier et gestionnaire des affaires de Rami Makhlouf et de Khaldoun Makhlouf ; associé à Bashar Al-Assad dans le financement d’un projet immobilier à Lattaquié ; fournit un soutien au financement du régime ».

6        Le 15 novembre 2011, le Conseil a procédé à la publication d’un avis à l’attention des personnes auxquelles s’appliquaient les mesures restrictives prévues dans la décision 2011/273, mise en œuvre par la décision d’exécution 2011/736/PESC du Conseil, du 14 novembre 2011 (JO L 296, p. 55), et dans le règlement n° 442/2011, mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 1151/2011.

7        Par décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO L 319, p. 56), le Conseil a estimé, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, qu’il était nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires. Par souci de clarté, les mesures imposées par la décision 2011/273 et les mesures supplémentaires ont été regroupées dans un instrument juridique unique. Le nom du requérant figure à la ligne 72 du tableau concernant les personnes physiques visées par ladite décision, avec les mêmes informations et motifs que ceux retenus dans l’annexe du règlement d’exécution n° 1151/2011.

8        Le 2 décembre 2011, le Conseil a procédé à la publication d’un avis à l’attention des personnes et des entités auxquelles s’appliquaient les mesures restrictives prévues dans la décision 2011/782 et dans le règlement n° 442/2011, mis en œuvre par le règlement d’exécution (UE) n° 1244/2011 du Conseil, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO C 351, p. 14).

9        Par le règlement (UE) n° 36/2012, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement n° 442/2011 (JO L 16, p. 1), le Conseil a prévu de nouvelles mesures restrictives et a modifié la liste des personnes et des entités visées par lesdites mesures. Le nom du requérant figure à la ligne 72 du tableau concernant les personnes physiques visées par ledit règlement avec les mêmes informations et motifs que ceux retenus dans l’annexe du règlement d’exécution n° 1151/2011.

10      Le 24 janvier 2012, le Conseil a procédé à la publication d’un avis à l’attention des personnes et des entités auxquelles s’appliquaient les mesures restrictives prévues dans la décision 2011/782, mise en œuvre par la décision d’exécution 2012/37/PESC du Conseil, et dans le règlement n° 36/2012, mis en œuvre par le règlement d’exécution (UE) n° 55/2012 du Conseil, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO C 19, p. 5).

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2011, le requérant a introduit un recours en annulation à l’encontre du règlement d’exécution n° 1151/2011 ainsi que de la décision 2011/782.

12      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

13      Par décision du 29 mars 2012, le Tribunal (sixième chambre) n’a pas fait droit à la demande de procédure accélérée.

14      Par mémoire en adaptation des conclusions, déposé au greffe du Tribunal le 23 mai 2012, le requérant a sollicité également l’annulation du règlement n° 36/2012. Par ses observations sur ce mémoire, déposées au greffe du Tribunal le 22 juin 2012, le Conseil a pris acte de la demande du requérant.

15      Par lettre du 4 décembre 2012, le requérant a demandé que la présente affaire bénéficie d’un traitement prioritaire au sens de l’article 55, paragraphe 2, du règlement de procédure.

16      Par décision du 21 décembre 2012, le Tribunal (sixième chambre) n’a pas fait droit à cette demande.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

18      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 16 mai 2013.

20      Le requérant conclut, en substance, dans la requête, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement d’exécution n° 1151/2011 et la décision 2011/782 en tant qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil au paiement de 500 000 dollars des États-Unis (USD) au titre de dommages et intérêts à titre provisionnel, en réparation du préjudice moral et matériel subi du fait de sa désignation sur la liste des personnes sanctionnées ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

21      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        déclarer irrecevable la demande en indemnité du requérant ;

–        condamner le requérant aux dépens.

22       Dans la réplique, le requérant conclut, en outre, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter comme mal fondée l’argumentation du Conseil ;

–        annuler le règlement n° 36/2012.

 En droit

 Sur la recevabilité

23      Dans le cadre de son mémoire en adaptation des conclusions, le requérant a sollicité également l’annulation du règlement n° 36/2012.

24      Selon la jurisprudence, lorsqu’une décision ou un règlement concernant directement et individuellement un particulier est, en cours de procédure, remplacé par un acte ayant le même objet, celui-ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de la procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge de l’Union contre un acte, adapter l’acte attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci (arrêts du Tribunal du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, Rec. p. II‑3019, point 46, et du 6 septembre 2013, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, T‑110/12, non encore publié au Recueil, point 16).

25      Toutefois, pour être recevable, une demande d’adaptation des conclusions doit être présentée dans le délai prévu par l’article 263, sixième alinéa, TFUE. En effet, selon une jurisprudence constante, ce délai est d’ordre public et doit être appliqué par le juge de l’Union de manière à assurer la sécurité juridique ainsi que l’égalité des justiciables devant la loi (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 101). Il appartient ainsi au juge de vérifier, le cas échéant d’office, si ce délai a été respecté (arrêt Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, précité, point 17).

26      En l’espèce, le mémoire en adaptation des conclusions du requérant sollicitant l’annulation du règlement n° 36/2012 ayant été déposé au greffe du Tribunal le 8 février 2012, force est de constater que le délai mentionné au point 25 ci-dessus a été respecté, et qu’il convient, dès lors, d’admettre la recevabilité de ladite demande d’annulation.

27      Par ailleurs, dans la réplique, le requérant a demandé que soient annulés « tous les règlements d’exécution du Conseil postérieurs à l’adoption du règlement n° 36/2012 ». Or, aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la partie requérante a l’obligation de définir l’objet du litige dans l’acte introductif d’instance. Dès lors, le juge de l’Union ne saurait procéder à un contrôle spéculatif de la légalité d’actes hypothétiques non encore adoptés (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 18 septembre 1996, Langdon/Commission, T‑22/96, Rec. p. II‑1009, point 16).

28      Cette demande doit donc être rejetée comme irrecevable.

 Sur le fond

29      Au soutien de son recours, le requérant avance six moyens, sans préciser le lien entre ces moyens et les chefs de conclusions, tels que présentés aux points 23 et 25 ci-dessus. Cependant, lors de l’audience, le requérant a expliqué que les cinq premiers moyens étaient avancés à l’appui des demandes en annulation, alors que le sixième moyen se rattachait au chef de conclusions visant à obtenir la réparation du dommage matériel et moral qu’il estimait avoir subi.

 Sur la demande en annulation

30      S’agissant des cinq moyens avancés par le requérant à l’appui de sa demande en annulation, il y a lieu de noter que le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, le deuxième, d’une violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable, le troisième, d’une violation de l’obligation de motivation, le quatrième, d’une violation du droit à un recours juridictionnel effectif et, le cinquième, d’une violation du droit de propriété.

31      Quant au premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, le requérant conteste les motifs indiqués dans les annexes des actes dont il demande l’annulation et demande au Tribunal d’inviter le Conseil à les justifier, le cas échéant. Il s’agit des motifs suivants : « [d]irige le cabinet Sabbagh et Associés (Damas), avocat au barreau de Paris ; conseiller juridique et financier et gestionnaire des affaires de Rami Makhlouf et de Khaldoun Makhlouf ; associé à Bashar Al-Assad dans le financement d’un projet immobilier à Lattaquié (Syrie) ; fournit un soutien au financement du régime ».

32      Ainsi, le requérant conteste être inscrit au barreau de Paris. Il nie également être le conseiller juridique et le gestionnaire des affaires de MM. Rami et Khaldoun Makhlouf, ce dernier n’étant d’ailleurs pas inscrit sur la liste des personnes concernées par les mesures en cause. À cet égard, outre que le requérant conteste être l’avocat de ces deux personnes, il avance que ce fondement constitue une atteinte intolérable à l’exercice de la profession d’avocat et aux droits de la défense des intéressés. Enfin, le requérant ne serait pas associé au financement d’un projet immobilier à Lattaquié et ne serait pas non plus associé au président Bashar Al-Assad.

33      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant. Il fait valoir que le requérant est un avocat syrien qui fait partie de l’élite dirigeante en Syrie. Il indique que le requérant est le conseiller juridique et financier et le gestionnaire des affaires de M. Rami Makhlouf, lequel est un cousin du président Bashar Al-Assad, ainsi que de son frère Khaldoun, et avance que le requérant est associé au président Bashar Al-Assad dans le financement d’un projet immobilier à Lattaquié et qu’il fournit un soutien au financement du régime.

34      Le Conseil précise également avoir indiqué au requérant, par une lettre du 16 mars 2012, qu’il supprimerait les mentions « [d]irige le cabinet Sabbagh et Associés (Damas), avocat au barreau de Paris » de son inscription de la liste en cause dans les actes qu’il adopterait ultérieurement.

35      Enfin, le Conseil affirme que le requérant a rencontré le président Bashar Al-Assad pour discuter les termes d’un accord portant sur la cession d’un terrain, sur la construction d’un complexe hôtelier à Lattaquié et d’un centre commercial sur la route de Beyrouth (Liban).

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt de la Cour du 18 juillet 2013, Commission/Kadi, ci-après l’arrêt « Kadi II », C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, non encore publié au Recueil, point 119).

37      Par ailleurs, selon la jurisprudence, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (arrêt Kadi II, précité, points 121 à 123).

38      En ce qui concerne le premier motif mentionné au point 32 ci-dessus, il ne peut qu’être constaté qu’il ne peut constituer la base de l’inscription et du maintien du requérant sur les listes en cause. En effet, le simple fait de diriger un cabinet d’avocat n’a aucun lien avec la répression de la population civile syrienne ou avec le régime responsable de cette répression.

39      En ce qui concerne les autres motifs mentionnés au point 32 ci-dessus, étant donné qu’ils ne constituent que de simples allégations, il appartient au Tribunal de vérifier si le Conseil a fourni d’autres éléments susceptibles d’en établir le bien-fondé.

40      À cet égard, premièrement, il convient de relever que, en réponse aux lettres du requérant des 13, 17 et 19 janvier et du 2 mars 2012, le Conseil a adressé à celui-ci une lettre, le 16 mars 2012, qui faisait suite à d’autres lettres du Conseil retournées par la poste syrienne.

41      Or, cette lettre ne contient aucune information, ni aucun élément supplémentaire par rapport au contenu des actes attaqués. En effet, elle ne fait qu’indiquer que les mentions « [d]irige le cabinet Sabbagh et Associés (Damas) » et « avocat au barreau de Paris » seront supprimées de son inscription sur la liste en cause dans les actes ultérieurs qu’il adoptera. Force est cependant de constater que cette lettre n’a pas eu de suite, car ces deux mentions figurent toujours à la ligne 72 du tableau concernant les personnes physiques en annexe du règlement n° 36/2012 (voir point 9 ci-dessus).

42      Par ailleurs, le Conseil a joint, en annexe à la lettre du 16 mars 2012, l’extrait de la proposition pour l’inscription de la requérante (document 6928/12) sur les listes en cause. Cet extrait ne mentionne cependant pas d’éléments autres que ceux repris dans la motivation énoncée dans les actes attaqués.

43      Deuxièmement, en ce qui concerne les écrits du Conseil au cours de la procédure devant le Tribunal, en guise de réponse aux observations formulées par la requérante dans sa requête quant à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, le Conseil s’est contenté de procéder à des affirmations générales sur la nature et les raisons d’être des mesures restrictives ainsi que sur sa compétence pour adopter de telles mesures à l’encontre d’une personne ou entité qui, comme le requérant, serait liée à des personnes responsables de la répression exercée contre la population civile syrienne et apporterait un soutien financier au gouvernement syrien.

44      Tout au plus, alors qu’il est indiqué dans les motifs mentionnés au point 32 ci-dessus que le requérant est « associé à Bashar Al-Assad dans le financement d’un projet immobilier à Lattaquié », le Conseil reconnaît dans ses écrits qu’il ne s’agit que d’une « discussion », dont il ne prouve d’ailleurs pas la réalité. À cet égard, il peut encore être relevé que le requérant a, quant à lui, apporté au Tribunal une attestation de la direction des services fonciers de Lattaquié selon laquelle il n’était pas propriétaire d’un quelconque bien à Lattaquié.

45      Troisièmement, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, en réponse à l’invitation adressée au Conseil par le Tribunal de préciser si des informations ou des éléments de preuve n’ayant pas été communiqués au requérant par la lettre du 16 mars 2012 ont été pris en considération pour l’adoption des actes attaqués, le Conseil a fourni, le 2 mai 2014, un document relatif à des informations complémentaires concernant M. Sabbagh (document Coreu PESC/34/12).

46      Il ressort notamment de ce document que le requérant aurait rencontré le président Bashar Al-Assad pour discuter les termes d’un accord portant sur la cession d’un terrain et sur la construction d’un complexe hôtelier à Lattaquié, projet dans lequel il serait impliqué par l’intermédiaire d’une société étrangère.

47      Lors de l’audience, les avocats du requérant ont indiqué qu’il était habituel que M. Sabbagh participe à des projets immobiliers, mais que sa participation dans le projet hôtelier était minime, qu’il ne s’était finalement pas réalisé, et que, en tout état de cause, la famille Makhlouf n’était pas impliquée dans ledit projet. Par ailleurs, les avocats du requérant contestent que M. Sabbagh aurait rencontré le président Bashar Al‑Assad.

48      À cet égard, il convient de constater, d’une part, que, ainsi que le Conseil l’a indiqué à l’audience, celui-ci ne reproche pas au requérant de participer, de manière générale, à des projets immobiliers, et que, d’autre part, aucun élément dans ce dossier ne permet de démontrer que le requérant aurait rencontré le président Bashar Al‑Assad ni qu’il a, de quelque manière, été lié aux autorités syriennes en participant au projet immobilier de Lattaquié.

49      Par conséquent, il y a lieu de constater que les éléments dont dispose le Tribunal ne contiennent aucun indice susceptible d’étayer les allégations du Conseil selon lesquelles le requérant est le conseiller juridique et financier et gestionnaire des affaires de M. Rami Makhlouf et de M. Khaldoun Makhlouf, qu’il est associé au président Bashar Al-Assad dans le financement d’un projet immobilier à Lattaquié ou qu’il soutient économiquement le régime syrien.

50      Il s’ensuit que le Conseil ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, tel qu’interprété par la Cour dans son arrêt Kadi II (voir point 36 ci-dessus) et doit être regardé comme ayant commis une erreur manifeste d’appréciation.

51      Dès lors, le règlement d’exécution n° 1151/2011, la décision 2011/782 et le règlement n° 36/2012 (ci-après les « actes attaqués ») doivent être annulés pour autant qu’ils concernent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

52      En vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Il résulte de la jurisprudence que cette disposition permet au juge de l’Union de décider de la date de prise d’effet de ses arrêts en annulation (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2013, Nabipour e.a./Conseil, T‑58/12, non publié au Recueil, points 250 et 251).

53      En l’espèce, le Tribunal considère, pour les raisons exposées ci-après, qu’il est nécessaire de maintenir les effets des actes attaqués dans le temps jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

54      En effet, il convient de rappeler que l’Union a adopté des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, en raison de la répression de la population civile de ce pays et que ces mesures poursuivent ainsi des objectifs humanitaires et pacifiques.

55      Dès lors, l’intérêt du requérant à obtenir une prise d’effet immédiate du présent arrêt en annulation doit être mis en balance avec l’objectif d’intérêt général poursuivi par la politique de l’Union en matière de mesures restrictives à l’encontre de la Syrie. La modulation des effets dans le temps de l’annulation d’une mesure restrictive peut ainsi se justifier par la nécessité d’assurer l’efficacité des mesures restrictives et, en définitive, par des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de l’Union et de ses États membres.

56      Or, l’annulation avec effet immédiat des actes attaqués, en ce qu’ils concernent le requérant, permettrait à ce dernier de transférer tout ou partie de ses actifs hors de l’Union, sans que le Conseil puisse, le cas échéant, appliquer en temps utile l’article 266 TFUE en vue de remédier aux irrégularités constatées dans le présent arrêt.

57      En effet, s’agissant de l’application de l’article 266 TFUE au cas d’espèce, il y a lieu de relever que l’annulation par le présent arrêt de l’inscription du requérant sur les listes découle du fait que les motifs de cette inscription ne sont pas étayés par des preuves suffisantes (voir points 40 et suivants ci-dessus). Bien qu’il appartienne au Conseil de décider des mesures d’exécution de cet arrêt, une nouvelle inscription du requérant ne saurait ainsi être exclue d’emblée. En effet, dans le cadre de ce nouvel examen, le Conseil a la possibilité de réinscrire le nom du requérant sur la base de motifs étayés à suffisance de droit.

58      Il s’ensuit que les effets des actes attaqués doivent être maintenus à l’égard du requérant, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

 Sur la demande en indemnité

59      Selon le requérant, la publication des actes attaqués, relayée par la presse locale et internationale, a eu un impact sur la confiance que lui portaient ses clients. Il en aurait résulté une perte immédiate de sa clientèle, dont une grande société internationale.

60      Cette perte de clientèle, et donc de chiffre d’affaires, ne pourrait être valorisée que dans l’avenir. Le requérant expose que, en considérant que le chiffre d’affaires annuel de son cabinet s’élève en moyenne à 500 000 USD, la perte de chiffre d’affaires peut être évaluée, sous réserve de majoration en cours d’instance, à 30 à 40 %, ce qui, sur une moyenne de trois ans, représente un préjudice de l’ordre de 500 000 USD.

61      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant et considère que celui-ci n’a pas démontré que les conditions exigées pour une telle demande en indemnité avaient été satisfaites.

62      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

63      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et arrêts du Tribunal du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, Rec. p. II‑5459, point 95, et du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, Rec. p. II‑7915, point 28).

64      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81, et arrêts du Tribunal Sison/Conseil, précité, point 29, et du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37). Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 13).

65      Enfin, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, toute demande en réparation d’un préjudice, qu’il s’agisse d’un préjudice matériel ou d’un préjudice moral, à titre symbolique ou pour l’obtention d’une véritable indemnité, doit préciser la nature du préjudice allégué au regard du comportement reproché et, même de façon approximative, évaluer l’ensemble de ce préjudice (voir arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié au Recueil, point 250, et la jurisprudence citée).

66      En l’espèce, la demande en indemnité du requérant doit être rejetée dans la mesure où l’existence d’un préjudice dans son chef n’a pas été démontrée.

67      En effet, le requérant s’est contenté d’avancer des chiffres concernant la perte de son chiffre d’affaires sans produire aucune preuve quant au montant de celui-ci avant et après son inscription sur les listes en cause. Les seuls documents qu’il produit sont des courriers concernant une grande société internationale à propos de la rupture de leurs relations. Cependant, d’une part, ladite société ne spécifie pas la raison pour laquelle elle a décidé de mettre fin à leurs relations, et, d’autre part, rien dans lesdits courriers ne permet de déterminer la perte économique en résultant pour le requérant. Au surplus, la prétendue perte de chiffre d’affaires du requérant pourrait être considérée comme étant la conséquence directe de la détérioration économique syrienne depuis le début des événements.

68      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la demande en indemnité du requérant comme étant non fondée.

 Sur les dépens

69      L’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions.

70      En l’occurrence, le Conseil ayant succombé sur les chefs de conclusions en annulation et le requérant sur le chef de conclusions en indemnité, il sera fait une juste application de la disposition précitée en décidant que le Conseil supportera ses propres dépens, ainsi que la moitié des dépens exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La demande d’annulation des règlements d’exécution du Conseil postérieurs à l’adoption du règlement (UE) n° 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement n° 442/2011, est rejetée comme étant irrecevable.

2)      Sont annulés, pour autant que ces actes concernent M. Bassam Sabbagh :

–        le règlement d’exécution (UE) n° 1151/2011 du Conseil, du 14 novembre 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 442/2011 ;

–        la décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273/PESC ;

–        le règlement n° 36/2012.

3)      Les effets des décisions et des règlements annulés sont maintenus à l’égard de M. Sabbagh, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

4)      La demande en indemnité est rejetée.

5)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux exposés par M. Sabbagh.

6)      M. Sabbagh supportera la moitié de ses propres dépens.

van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2015.

Signatures


* Langue de procédure : le français.

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