Ficelle n° 65 : J’écoute ou j’écoute pas

« Celui qui sait écouter deviendra celui qu’on écoute ».Ptahhotep

Il y a des tas de manières de ne pas écouter.

On peut prétendre qu’il n’y a rien à entendre. Faire la sourde oreille. Se murer dans une forteresse de certitudes qui rendent le monde muet. Un peu comme si on vivait dans un film en noir et blanc, aux gestes trop saccadés, répétitifs et affairés. On peut se convaincre qu’il n’y a rien à apprendre d’untel, le contraignant à devenir sa propre caricature. Pour mettre entre parenthèses l’autre, nous avons cette petite phrase, terrible quand on y pense : « Lui, je le connais par cœur » ! Entendez : il ne pourra plus jamais me surprendre, il est totalement prévisible. Statufié.

On peut prétexter qu’on a mieux à écouter : une révélation essentielle, un discours plus profond, une parole définitive. Se gausser que le quotidien, trop plat et médiocre, n’a rien à nous apprendre. Au risque de perdre le goût des petites choses, c'est-à-dire de l’existence. Et de finir, dépité, par nous plaindre que la « vie ne nous dit plus rien ».

On peut avoir tellement peur du silence qu’on parlera pour ne rien dire. On meublera, comme on dit. Sans répit. On aura réponse à tout pour n’habiter aucune question. On s’accrochera aux chiffres, aux procédures, aux préjugés, toujours le nez sur ce qui se passe pour que rien ne se passe vraiment, qu’il n’y ait aucun espace qui permette une vision plus large, un désir de changement. On tournera les idées en boucle dans sa tête, on ira de réunions interminables en colloques désespérants car jamais singuliers. On se lassera soi‑même et on découragera les autres, craignant de découvrir que le pouvoir ne va pas sans un certain laisser être, une étrange démaîtrise.

On peut ne pas être capable d’entendre car on est incapable de s’écouter. Dépassé alors par des émotions qui nous échappent, on risque de faire d’autrui l’écho désespéré ou désespérant de ce qu’on n’arrive pas à se dire, de ce qu’on ne se permet pas de vivre.

Il est possible aussi, et c’est paradoxal, qu’on n’arrive pas à écouter parce qu’on n’est pas capable de parler. On a tant souffert de phrases, exprimées ou non, nous concernant, qu’on n’ose plus prendre la parole. On sait combien un mot mal employé, un silence inopportun peuvent nuire alors on préfère s’abstenir. Pourtant on garde en soi toutes ces colères, ces désirs, ces malaises qui n’ont pas pu franchir la barrière de nos lèvres, et c’est notre corps qui, alors, devient parlant à coup de douleurs de toute sorte. Ce qu’on ne peut pas dire, on risque toujours de le devenir. Combien de gens entendent sans cesse comme en écho, derrière toute parole neuve, une affirmation qu’ils n’ont pas pu digérer, effacer, assimiler ?

 

On peut croire qu’on écoute l’autre alors qu’on ne fait qu’écouter ses peurs, ses préjugés. A l’inverse, on peut prêter l’oreille à quelqu’un qui oublie de nous la rendre. On devient alors prisonnier d’un discours particulier ou étouffé par une personne dont les propos harcelants en viennent à coloniser tout notre espace intime.

On peut écouter à moitié, écouter sans entendre, écouter sans empathie ou au contraire sans distance critique. Si, parfois, les murs ont des oreilles, les oreilles ont aussi, souvent, des murs, si difficiles à abattre.

Il y a des tas de manières de ne pas écouter, c’est certain. Mais il n’y a qu’une seule façon d’écouter vraiment. : La vôtre, toujours singulière.