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En Irak, la cité parthe de Hatra détruite par les djihadistes

Après Mossoul et Nimroud, l’Etat islamique s’en est pris à la ville antique en pierre de taille, vieille de deux millénaires.

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Publié le 08 mars 2015 à 20h59, modifié le 19 août 2019 à 13h13

Temps de Lecture 4 min.

Le grand temple Shamash Maran, dédié au Soleil, à Hatra, avant les attaques.

Samedi 7 mars, à l’aube, le groupe djihadiste Etat islamique s’est attaqué à Hatra, l’antique cité parthe en pierre de taille, dont les vestiges spectaculaires vieux de deux mille ans s’épanouissent sur trois cent vingt-quatre hectares. Selon le ministère irakien des antiquités et du tourisme, un habitant du secteur aurait entendu, venant du site, une puissante explosion. D’autres témoins parlent de destructions et de pillages.

« Nous n’avons pas plus de détails, précise Fareed Yasseen, ambassadeur d’Irak en France. Il faudrait trouver un moyen de sécuriser le site dans l’immédiat. » Les remparts qui cernent cette ville sont-ils encore debout, comme les grands temples à fronton et colonnades ? La question reste sans réponse. La cité antique fut le premier site irakien à être inscrit, en 1985, sur la Liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, au titre des biens culturels à valeur universelle. « La destruction de Hatra marque un tournant dans l’effroyable stratégie de nettoyage culturel en cours en Irak », s’alarme Irina Bokova, directrice générale de l’organisation onusienne.

Cette attaque survient après le saccage, jeudi 26 février, du Musée de Mossoul, deuxième ville d’Irak située à 110 kilomètres au nord de Hatra. Et après les attaques, jeudi 5 mars, contre le site assyrien de Nimroud, entre Mossoul et Hatra. Une escalade dans les destructions à laquelle s’attendait la communauté scientifique. « La lenteur du soutien international à l’Irak encourage les terroristes à commettre de nouveaux crimes, à détruire et à piller… », déclare Qaïs Hussein Rachid, ministre des antiquités et du tourisme irakien.

Carrefour caravanier stratégique

« Hatra est une cité magnifique des franges du désert, au carrefour des routes caravanières », témoigne Béatrice André-Salvini, conservatrice en chef du patrimoine, qui a dirigé pendant dix ans le département des antiquités orientales du Louvre. « Les vestiges d’Hatra [Ier siècle av. J.-C.- Ier siècle ap.J.-C.] en pierre de taille, sur des hauteurs considérables, sont uniques dans la région. Certains grands temples mesurent plus de quinze mètres de haut », précise la spécialiste qui a sillonné l’ancienne Mésopotamie, laquelle correspond aux frontières actuelles de l’Irak avec l’extrême sud de la Syrie.

Les premières fouilles, entamée par l’Allemand Walter Andrae, avant la première guerre mondiale, ont été poursuivies, en 1951, par les deux grands archéologues irakiens, Fouad Safar et Ali Mustafa. « Le site restauré et entretenu par les Irakiens était en bon état », ajoute Mme André-Salvini.

La cité arabe de l’Empire parthe avait été fondée par des tribus bédouines d’Arabaya, « le pays des Arabes ». Carrefour caravanier stratégique, Hatra contrôlait la route de la soie vers l’est, jusqu’en Inde et en Chine. S’y échangeaient soieries, porcelaines, parfums, pierres précieuses, bois rares, encens, etc. Remontant le Tigre en bateau, les marchands poursuivaient le périple à dos de chameau, jusqu’à Antioche (Turquie).

Assiégée en 116 par l’empereur romain Trajan, Hatra résiste. « Les Parthes avaient un feu redoutable, une grenade à base de bitume et de sulfure, très efficace », note Mme André-Salvini. La ville fortifiée par deux ceintures de remparts et gardée par des tours est le symbole de la lutte entre les Parthes et les Romains qui se disputent les dépouilles de l’ancien empire d’Alexandre le Grand. Après un siège prolongé, elle tombera, vers 250, aux mains des Sassanides, vainqueurs des Parthes.

Mutilée et pillée

Parmi les sanctuaires, le plus imposant, Shamash Maran, dédié au Soleil, était jusqu’ici intact avec son fronton, sa volée de marches et sa double colonnade. Le monument dédié, lui, à la trilogie Martan (Notre Dame), Maran (le Père) et Bermarin (le fils), illustre le syncrétisme des croyances religieuses. Véronique Grandpierre, chercheuse associée au laboratoire Identité et territoires de l’université Paris-Diderot, s’inquiète pour les figures des rois qui ornent les grands arcs. « Ils sont reconnaissables à leurs cheveux courts aux grosses boucles serrées, à leur moustache et à leur petite barbe peignée. Ils portent des tiares coniques ou se ramassent les cheveux en boule sur le haut du crâne. » Ont-ils disparu ?

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La grande statuaire, qui pouvait être dissociée des murs, avait été mise à l’abri à Bagdad et au Musée de Mossoul – elle est tombée sous les coups de marteau des djihadistes, le 26 février, mutilée et sans doute pillée. Irina Bokova rappelait, le 27 février, que le trafic des œuvres d’art en Irak était évalué au total à sept milliards d’euros.

Pour Hosham Dawod, ancien directeur de l’Institut français pour le Proche-Orient en Irak : « La deuxième rentrée financière des islamistes radicaux, après le pétrole, c’est le trafic archéologique. » Une manne qui sert leur idéologie : « L’archéologie rassemble les Irakiens au-delà de leur particularisme, local, régional, confessionnel, ajoute-t-il. Pour Daech, l’art est un blasphème. »

Hosham Dawod regrette que la position des Etats-Unis soit « en deçà de la gravité des événements ». « Pourquoi ne sont-ils pas intervenus avant l’attaque du site de Nimroud ? De leur base d’Erbil, ils peuvent écouter Daech. Ils ont des forces spéciales, des dizaines d’avions. Pourquoi n’ont-ils pas arrêté à temps la destruction des vestiges ? » Des questions que pose toute la communauté scientifique.

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