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Comment stopper les dérives du marché de l’emploi en ligne ?

Accès payant pour les candidats, arnaques déguisées en petites annonces d’emploi… Gwenaëlle Quénaon-Hervé, cofondatrice de RegionsJob, dénonce les dérives du marché de l’emploi sur Internet.

Publié le 29 juin 2015 à 17h27, modifié le 06 juillet 2015 à 10h07 Temps de Lecture 4 min.

Avec l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché du travail en ligne, les pratiques douteuses se multiplient : services payants, escroqueries, recueil abusif de données sur les candidats… Il en découle un besoin de régulation, sur le modèle des chartes éthiques adoptées par les acteurs historiques du secteur.

Alors que le gouvernement annonce un « Small Business Act » à la française afin de lever les freins à l’embauche dans les TPE-PME, un autre sujet mérite d’être porté au débat national : la régulation de l’emploi en ligne. Car c’est sur Internet désormais que se déroule le marché du travail. Or, dans ce domaine, les pratiques abusives se multiplient, constituant autant d’inégalités et de freins à l’embauche pour les candidats.

Le numérique occupe une place majeure dans le recrutement. En 2014, 80 % des chercheurs d’emploi ont eu recours à internet (contre 73 % en 2013), d’après l’enquête « Conditions de vie et aspirations des Français » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc).

À côté des sites d’emploi « historiques » (« job boards »), nés à la fin des années 1990, de nouveaux business models émergent : réseaux sociaux professionnels et informels, plateformes de travail à la demande… Stimulants pour la concurrence, ces challengers n’en posent pas moins des questions éthiques et d’inégalités. Dans son rapport sur « l’impact d’internet sur le fonctionnement du marché du travail » remis en mars, le Conseil d’Orientation pour l’emploi (COE), placé auprès du premier ministre, dénonçait ainsi un nombre croissant de dérives.

Faire payer le candidat

Que penser, en effet, des services en ligne qui, sous couvert de packs « globaux », font bel et bien payer leurs utilisateurs pour leur permettre d’accéder à des offres d’emploi, d’être mis en relation avec des recruteurs ou de voir leur profil passer en tête des résultats de recherche ?

À l’inverse, que penser de ces sites non professionnels, qui diffusent des offres aléatoires sans en vérifier la fiabilité ? Autres points noirs : le « shadow scoring » (recueil abusif sur internet des données personnelles et professionnelles d’un candidat pour en dresser le profil) ou encore, l’exploitation commerciale des datas récoltées…

Bien sûr, la recherche de profits reste un objectif vital pour toute entreprise privée. Mais le recrutement en ligne n’est pas un marché comme les autres : en France, la loi lui confère une portée d’utilité publique qui oblige à une conduite transparente, honnête et neutre. Le respect des utilisateurs est d’autant plus crucial que ceux-ci se trouvent souvent en position de fragilité, du fait de leur situation.

Des pratiques abusives minoritaires

Les abus observés ne sont heureusement pas représentatifs de l’ensemble du marché. Conscients de la dimension éthique et humaine de leurs métiers, les acteurs historiques de l’emploi sur Internet se sont autorégulés, en adoptant des règles de déontologie. Regroupant les principaux représentants du secteur, l’Association des professionnels pour la promotion de l’emploi sur Internet (APPEI) œuvre depuis 2003 pour la promotion et le suivi de ces règles. D’autres associations, comme A compétence égale, se mobilisent également pour un recrutement responsable et non-discriminatoire.

En tant que dirigeante d’un jobboard de référence sur le marché français, je défends cinq principes fondamentaux :

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- Vérifier la véracité de toutes les informations et des offres mises en ligne et le respect de la législation en matière de non-discrimination ;

- Proposer des services gratuits aux candidats : l’équité des chances commence par un accès gratuit pour tous, aux offres d’emploi et aux prises de contact avec les recruteurs ;

- Encadrer la commercialisation des données personnelles récoltées : pas d’exploitation commerciale, hors volet RH ; pas de revente de fichiers, de publicité commerciale ni de campagne marketing en ligne ;

- Limiter l’utilisation des data récoltées via la navigation (cookies) au seul intérêt de l’utilisateur ;

- Clarifier les méthodologies d’évaluation des sites de notation sur les entreprises. Ces sites vendent de la transparence, mais sur quels éléments se fondent-ils ?

Une « Charte du recrutement numérique »

Force est de constater que nombre des nouveaux entrants ne suivent pas ces règles. Comme le préconise le Conseil d’orientation pour l’emploi, le marché du recrutement en ligne a besoin d’être régulé. Un cahier des charges et une « Charte du recrutement numérique », pourraient être élaborés sous l’égide de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). Ils s’imposeraient à tous les sites publiant des offres d’emploi.

Il serait dommage que les dérives constatées jettent le discrédit sur des services qui, bien encadrés, peuvent contribuer à un meilleur fonctionnement du marché du travail. Loin de nuire à l’emploi et d’aggraver les inégalités, Internet peut au contraire faciliter l’adéquation entre offre et demande.

Aux Etats-Unis, le chercheur Peter Kuhn, professeur d’économie à l’Université de Californie, a ainsi démontré que les demandeurs d’emploi effectuant leur recherche sur internet, restent moins longtemps au chômage que les autres (Peter Kuhn et Hani Mansour « Is Internet Job Search Still Ineffective ? », Economic Journal 124 (581), décembre 2014).

Il est urgent qu’une régulation du marché voie le jour, pour permettre aux outils d’emploi en ligne de jouer pleinement leur rôle, sans remise en cause des principes de neutralité et de transparence.

Gwenaëlle Quénaon-Hervé (Cofondatrice et directrice générale adjointe de RegionsJob)

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