“The Knick” : Soderbergh à bloc

Avec cette série médicale sur la naissance de la chirurgie moderne, Soderbergh entraîne Clive Owen dans le sombre et l'intense. A voir ce samedi 9 août sur OCS City.

Par Pierre Langlais

Publié le 29 juillet 2014 à 08h50

Mis à jour le 26 février 2021 à 15h34

Steven Soderbergh en a marre du cinéma. Il se tourne donc vers les séries. Après deux tentatives expérimentales en partie improvisées, K Street (2003) et Unscripted (2005), toutes deux pour HBO, il lançait The Knick sur sa chaîne cousine, Cinemax, vendredi 8 août. Ce drame suit les tâtonnements d’un groupe de chirurgiens du Knickerbocker Hospital, à New York, en 1900. A leur tête, le Docteur John Thackery, fervent chercheur, homme secret, cocaïnomane qui noie dans sa quête médicale un passé sombre et un présent plus obscur encore. Il va être contraint par les actionnaires de l’hôpital d’accueillir le Docteur Algernon Edwards, brillant praticien, formé par les meilleurs spécialistes européens… mais noir.

« Vous êtes un fou », lâche une femme à Thackery. « C’est de la folie, mais méthodique », lui réplique-t-il. De la folie, et de la boucherie. The Knick, série médicale en costumes, raconte la naissance de la chirurgie moderne, à une époque où une vilaine fracture vous coûtait la jambe et une mauvaise fièvre la vie. Elle est, par souci de réalisme, fortement déconseillée à ceux que la vue du sang fait tourner de l’œil – qui éteindront leur télé à la première scène d’opération, une césarienne avec complications. En plongeant un siècle en arrière, Steven Soderbergh (producteur et réalisateur ; la création de la série revient au duo Jack Amiel et Michael Begler) apporte du sang frais au genre et saisit, à son point de départ, l’excitation, le stress du bloc, le souffle dramatique aux accents techniques qui portaient Urgences et les meilleures fictions médicales.

Surtout, il n’oublie pas de se reposer sur des personnages forts, à commencer par le Docteur Thackery – que l’on a envie, un instant, de comparer à Gregory House, caractère solitaire et addiction aidant. Autour de lui, une palette de chirurgiens et un personnel médical qui gagne en épaisseur à chaque épisodes : l’ambulancier, Irlandais bourru et brutal, la nonne infirmière qui cache sous sa dureté une douloureuse mission, l’administrateur de l’hôpital débordé par les dettes, la fille du principal actionnaire, qui tente désespérément de s’émanciper… Et, personnage déclencheur, le Docteur Edwards, chirurgien noir surqualifié mais mis à l’écart. Clive Owen, petite moustache et regard intense, porte sobrement son personnage passionné mais taiseux. Il laisse le plus beau rôle à Andre Holland, remarquable d’énergie et de charisme dans la peau d’Algernon Edwards.

Lentement, sans céder aux sirènes du spectaculaire, The Knick révèle les blessures de ces personnages et dévoile leur passé et leur intimité. Elle les installe dans un New York corrompu, violent, menacé par les épidémies, rongé par la misère et le racisme, où les immigrants sont accusés de tous les maux. Sans trop en faire, elle met le doigt sur l’enjeu sociétal que représente la modernisation, l’arrivée de l’électricité, la découverte de nouvelles techniques médicales, dans un monde encore conservateur, voire rétrograde – ils sont nombreux à penser que les chirurgiens prétendent s’opposer à la volonté divine en sauvant les « condamnés ».

Derrière la caméra des dix épisodes de la première saison – une seconde est d’ores et déjà commandée –, il y a, bien sûr, Steven Soderbergh. Qui travaille particulièrement sa photographie, insiste sur les ombres, use de quelques filtres bien choisis (son péché mignon), soigne les cadrages pour créée une impression d’étrangeté, une froideur jamais désincarnée. Une esthétique originale, qui emprunte autant au genre historique qu’à celui des séries médicales, et qui est brillamment soulignée par une bande-son électro minimaliste, anachronique mais paradoxalement parfaitement adaptée – signée Cliff Martinez, également auteur de la B.O. de Drive et de la plupart des films de Soderbergh.

Mieux vaut sans doute être amateur de séries en costumes pour pleinement apprécier The Knick. Car, loin de ses programmes de purs divertissements (Strike Back, Banshee), la chaîne Cinemax se risque là à une œuvre patiente, exigeante. Son histoire est dense, ses personnages intrigants, leurs interprètes irréprochables. Le savoir-faire de Steven Soderbergh fait le reste. A moins d'être allergique aux chapeaux haut-de-forme ou aux blocs opératoires, vous auriez tort de manquer ça.

The Knick, saison 1, le samedi, à 22h30, sur OCS City

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