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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DOGAN ALTUN v. TURKEY - 7152/08 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 511 (26 May 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/511.html
Cite as: [2015] ECHR 511

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DOǦAN ALTUN c. TURQUIE

     

    (Requête no 7152/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    26 mai 2015

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Doğan Altun c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller,
              Paul Lemmens,
              Robert Spano,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et de
    Abel Campos, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 avril 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7152/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Doğan Altun (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me S. Karaduman, avocate à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

    3.  Le requérant allègue une violation des articles 11 et 13 de la Convention.

    4.  Le 19 mai 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1963 et réside à Ankara.

    6.  À l’époque des faits, employé à la municipalité d’Ankara (ci-après « la municipalité »), le requérant était membre du syndicat Tüm Bel Sen.

    7.  Le 24 novembre 2006, le requérant avait installé, avec un autre membre du syndicat Tüm Bel Sen, des urnes devant la porte d’entrée du réfectoire de la direction générale de l’administration en charge de l’électricité, du gaz et des transports en commun (« EGO ») de la municipalité, en vue de l’organisation d’un référendum sur le budget de l’année 2007. Le réfectoire en question se situait dans le campus de la direction générale de l’EGO.

    8.  Le 8 mai 2007, sur le fondement de l’article 125, A-a de la loi n° 657 du 14 juillet 1965 sur les fonctionnaires de l’État, le directeur de la direction des ressources humaines et de la formation de la municipalité infligea au requérant un avertissement. Dans sa décision, il indiquait ce qui suit :

    « L’urne en question concernait un référendum sur les droits des salariés pour le budget de l’année 2007 ; à côté de l’urne il y avait des brochures appartenant au Kesk [Confédération des syndicats des employés du secteur public] et des bulletins de vote sur lesquels était inscrit « oui-non » ; les salariés avaient participé à ce référendum sans qu’il y ait eu de débordement ; les employés du syndicat avaient rangé l’urne et quitté la direction générale de l’EGO à 13h15 ; cependant même si le référendum avait eu lieu pendant la pause du déjeuner, il avait été réalisé sans avoir obtenu l’autorisation de la direction générale de l’EGO ; il s’ensuivait [donc] que [le requérant] avait fait preuve d’insouciance dans la mise en œuvre des procédures et des principes définis par les instances (...). »

    9.  Le 14 mai 2007, le requérant fit opposition contre l’avertissement devant le conseil de discipline de la municipalité. En se référant notamment à l’article 18 de la loi n° 4688 du 25 juin 2001 relative aux syndicats des fonctionnaires de l’État et aux accords collectifs et au règlement du 5 août 1999 de la direction générale du personnel, ainsi qu’à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Karaçay c. Turquie (no 6615/03, § 37, 27 mars 2007), il indiquait qu’il n’avait pas besoin d’une autorisation de la direction générale de l’EGO pour des activités syndicales qui se déroulaient en dehors de ses heures de travail. Il précisait qu’il avait agi en sa qualité de secrétaire de la section « éducation, presse et publication » du syndicat Tüm Bel Sen.

    10.  Par une décision du 19 décembre 2007, adoptée à la majorité de ses membres et notifiée au requérant le 27 décembre 2007, le conseil de discipline de la municipalité, tout en ayant pris note des arguments du requérant, confirma la sanction disciplinaire infligée à celui-ci au motif que, conformément à l’article 18 de la loi n° 4688, l’obtention d’une autorisation de l’employeur était une obligation légale. En se référant à la Convention et à la jurisprudence de la Cour, un membre du conseil de discipline soutint dans une opinion dissidente que l’autorisation de l’employeur n’était pas requise pour les activités syndicales ayant lieu en dehors des heures de travail, comme dans le cas du requérant.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    A.  La Constitution

    11.  L’article 129 de la Constitution, en vigueur à l’époque des faits, disposait :

    « (...)

    Les décisions en matière disciplinaire peuvent être soumises au contrôle juridictionnel, à l’exception de l’avertissement et du blâme. »

    12.  L’article 129, tel qu’il a été amendé le 12 septembre 2010, est ainsi libellé :

    « (...)

    Les décisions en matière disciplinaire ne peuvent pas être soustraites au contrôle juridictionnel. »

    B.  La loi no 657 du 14 juillet 1965 sur les fonctionnaires de l’État

    13.  Selon l’article 125 de la loi no 657 du 14 juillet 1965 sur les fonctionnaires de l’État, les sanctions disciplinaires susceptibles d’être infligées aux fonctionnaires de l’État sont l’avertissement, le blâme, la rétention de salaire, le gel de l’avancement de grade et la révocation de la fonction.

    14.  L’article 125, A de la loi dispose :

    « L’avertissement : notification écrite par laquelle il est indiqué au fonctionnaire d’être plus attentif dans l’accomplissement de ses fonctions et dans ses comportements.

    Les actes et situations nécessitant l’avertissement sont comme suit :

    a) Faire preuve d’insouciance et de désordre dans la pleine et ponctuelle exécution des ordres [donnés] et l’accomplissement des tâches confiées, dans la mise en œuvre des procédures et des principes définis par les instances du lieu d’affectation, dans la préservation, l’utilisation et l’entretien des documents officiels et outils relatifs à la fonction.

    (...). »

    15.  L’article 135 de la loi, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait :

    « L’opposition contre les sanctions d’avertissement et de blâme infligées par le supérieur hiérarchique et le conseil de discipline peut être formée devant le supérieur hiérarchique plus gradé, sinon devant le conseil de discipline.

    Les sanctions, à titre de rétention de salaire, de gel de l’avancement de grade et de révocation de la fonction, peuvent être contestées devant les juridictions administratives. »

    16.  L’article 135, tel qu’il a été amendé par la loi no 6111 du 13 février 2011, est ainsi libellé :

    « L’opposition contre les sanctions d’avertissement, de blâme et de rétention de salaire infligées par le supérieur hiérarchique peut être formée devant le conseil de discipline. L’opposition contre la sanction de gel de l’avancement de grade peut être formée devant le conseil supérieur de discipline.

    (...)

    Les sanctions disciplinaires peuvent être contestées devant les juridictions administratives. »

    17.  Les articles 99 et 100 de la loi, portant sur les heures de travail des fonctionnaires, se lisent comme suit :

    « Heures de travail

    99. La durée de travail des fonctionnaires est en général de quarante heures.

    Cette durée est organisée de la sorte que le samedi et le dimanche soient des jours de repos.

    Cependant, tenant compte des particularités des établissements et des services, différentes durées de travail peuvent être déterminées par des règlements et arrêtés qui seront adoptés sur le fondement de cette loi ou d’autres lois spéciales.

    (...)

    Détermination des heures de travail quotidien

    100. Les heures de début et de fin du travail quotidien ainsi que la durée du repos de midi sont déterminées en fonction des particularités des régions et des services par le Conseil des ministres sur la proposition de la direction du personnel de l’État (...) au centre et par les préfets aux départements. »

    C.  La loi no 4857 du 22 mai 2003 sur le travail (code de travail)

    18.  L’article 68 de la loi no 4857 du 22 mai 2003, intitulé « repos de mi-temps » dispose ce qui suit :

    « (...)

    La pause de midi n’est pas considérée comme faisant partie des heures de travail. »

    D.  La loi no 4688 du 25 juin 2001 relative aux syndicats des fonctionnaires de l’État et aux accords collectifs

    19.  Le paragraphe 1 de l’article 18 de la loi no 4688 du 25 juin 2001 se lit comme suit :

    « Les fonctionnaires ne peuvent faire l’objet d’une [quelconque] procédure (...) ni être révoqués pour avoir participé, en dehors de leurs heures de travail ou - avec l’autorisation de leur employeur - pendant leurs heures de travail, à une activité syndicale ou d’une confédération [telle que] définie par cette loi. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

    20.  Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté d’association en raison de l’avertissement qu’il a reçu. Il invoque l’article 11 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

    2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

    A.  Sur la recevabilité

    21.  Invoquant l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande ([GC], n63235/00, CEDH 2007-II), le Gouvernement soutient que les litiges opposant l’administration aux agents publics ne relèvent pas de la Convention. Selon lui, la requête doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae.

    22.  Le requérant estime l’exception non fondée.

    23.  La Cour relève que la position adoptée par elle dans l’arrêt invoqué par le Gouvernement, qui concerne l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention, n’est pas pertinente au regard du grief tiré de l’article 11 de la Convention.

    24.  La Cour est toutefois amenée à se pencher sur l’exception du Gouvernement tirée d’une incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions de la Convention du point de vue de l’article 11 § 2, seconde phrase, qui prévoit que l’article 11 « n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice [des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association] par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ».

    25.  Elle rappelle à ce propos que cette disposition du paragraphe 2 de l’article 11 implique nettement que l’État est tenu de respecter la liberté d’association de ses employés sauf à y apporter, le cas échéant, des restrictions légitimes s’il s’agit de membres de ses forces armées, de sa police ou de son administration (Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède, 6 février 1976, § 37, série A no 20, Schmidt et Dahlström c. Suède, 6 février 1976, § 33, série A no 21, et Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 96, CEDH 2008).

    26.  Elle rappelle également que les restrictions pouvant être imposées aux trois groupes de personnes cités par l’article 11 § 2 appellent une interprétation stricte et doivent dès lors se limiter à l’« exercice » des droits en question. Elles ne doivent pas porter atteinte à l’essence même du droit de s’organiser. En tout état de cause, il incombe à l’État concerné de démontrer le caractère légitime des restrictions éventuellement apportées au droit syndical de ces personnes. La Cour estime par ailleurs que les fonctionnaires municipaux, dont les activités ne relèvent pas de l’administration de l’État en tant que tel, ne peuvent en principe être assimilés à des « membres de l’administration de l’État » et voir limité sur cette base l’exercice de leur droit de s’organiser et de former des syndicats (Demir et Baykara, précité, § 97).

    27.  Dans la présente affaire, le Gouvernement n’explique nullement pour quelle raison le requérant, en tant que fonctionnaire municipal, serait soustrait du champ d’application de l’article 11 (voir, mutatis mutandis, Tüm Haber Sen et Çınar c. Turquie, no 28602/95, § 36, CEDH 2006-II). Il ne démontre pas non plus en quoi la nature des fonctions exercées par le requérant, fonctionnaire de l’administration municipale, appelle à le considérer comme un membre de « l’administration de l’État » sujet aux « restrictions légitimes » conformes à l’article 11 § 2, seconde phrase (Demir et Baykara, précité, § 107).

    28.  Dès lors, le requérant peut légitimement invoquer l’article 11 de la Convention, et l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

    29.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    B.  Sur le bien-fondé

    1.  Sur l’existence d’une ingérence

    30.  Le requérant allègue que l’avertissement qui lui a été infligé pour avoir organisé un référendum s’analyse en une ingérence dans son droit à la liberté d’association.

    31.  Le Gouvernement allègue que le requérant a fait l’objet d’une sanction disciplinaire, non pas en raison de son affiliation à une organisation syndicale, mais pour avoir quitté le lieu du travail sans permission. La sanction dont il a fait l’objet est indépendante de son appartenance à une organisation syndicale.

    32.  La Cour relève d’emblée qu’il ressort de la décision du 8 mai 2007 du directeur de la direction des ressources humaines et de la formation de la municipalité (paragraphe 8 ci-dessus) que le requérant a reçu un avertissement pour avoir organisé un référendum sans avoir obtenu l’autorisation de la direction générale de l’EGO et non pas pour avoir quitté le lieu de travail sans permission, comme allègue le Gouvernement. La Cour note ensuite qu’à supposer même que le requérant ait été sanctionné pour avoir quitté le lieu du travail sans permission, il n’en demeure pas moins que c’était pour participer dans une activité organisée par le syndicat Tüm Bel Sen. À l’instar du requérant, la Cour estime que la mesure litigieuse peut être considérée comme une ingérence dans son droit à la liberté d’association.

    2.  Sur la justification de l’ingérence

    33.  La Cour rappelle que pareille ingérence enfreint l’article 11 de la Convention, sauf si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de cet article, et était « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

    a.  Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »

    34.  La Cour constate qu’il n’est pas contesté par les parties que l’avertissement était infligé au requérant en application de l’article 125, A-a de la loi n° 657 et qu’il était conforme à cette disposition.

    35.  Cela étant, la Cour est dans l’incertitude quant à la question de savoir si le comportement pour lequel le requérant a reçu un avertissement, à savoir l’organisation d’un référendum sans avoir obtenu l’autorisation préalable, pouvait bien faire l’objet d’une sanction disciplinaire en droit interne. En effet, alors que les autorités disciplinaires avaient jugé l’obtention par le requérant d’une telle autorisation nécessaire pour l’organisation dudit referendum à l’heure et à l’endroit précis du cas d’espèce, le Gouvernement se réfère à cet égard seulement à l’article 18 de la loi no 4688 relative aux syndicats des fonctionnaires de l’État et aux accords collectifs (voir paragraphe 19 ci-dessus) selon lequel il n’y a pas besoin d’obtenir l’autorisation de l’employeur pour participer à une activité syndicale en dehors des heures de travail. La Cour constate donc qu’en l’espèce est sujette à caution la question de la prévisibilité de la sanction infligée au requérant.

    36.  Toutefois, la Cour estime ne pas devoir se pencher plus avant sur cette question. Elle partira de l’hypothèse que la mesure disciplinaire litigieuse avait un fondement légal, prévisible quant à son application. Elle reviendra sur la question de l’obligation d’obtenir une autorisation préalable lors de l’examen de la nécessité de l’ingérence (paragraphe 47 ci-dessous).

    b.  Sur la question de savoir si l’ingérence poursuivait un ou des buts légitimes

    37.  Le Gouvernement soutient que l’ingérence avait pour but le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre, la prévention du crime et la protection des droits et libertés d’autrui. Le requérant ne se prononce pas sur ce point.

    38.  Tout en ayant des doutes au sujet de la légitimité des buts poursuivis par les mesures prises à l’égard du requérant, la Cour partira de l’hypothèse que l’ingérence visait le but légitime de la défense de l’ordre.

    c.  Sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique »

    i.  Arguments des parties

    39.  Le Gouvernement soutient que la sanction disciplinaire infligée au requérant n’a pas modifié les droits acquis de celui-ci, à savoir son salaire, son avancement et ses indemnités, et que son statut prévoit que des sanctions disciplinaires peuvent lui être infligées. Par ailleurs, il considère que la sanction disciplinaire infligée au requérant ne constitue pas une limitation ou un empêchement à son droit d’adhérer à un syndicat ou d’exercer son droit à la liberté d’association. Il ajoute que le requérant a pu continuer à exercer ses activités syndicales.

    40.  De plus, le Gouvernement soutient que, en sa qualité de fonctionnaire, le requérant est soumis à un régime statutaire et réglementaire, conformément à la loi n° 657, et qu’il est à ce titre tenu à une obligation de réserve. Il ajoute qu’en sa qualité de fonctionnaire, le requérant à des devoirs et des responsabilités envers l’administration, et qu’il est entré dans l’administration en connaissance de cause. Il précise que de la nature du système de discipline de l’administration découle la possibilité d’apporter des limitations à certains droits et libertés des fonctionnaires, ces limitations ne pouvant pas nécessairement être imposées aux personnes qui ne sont pas fonctionnaires.

    41. Sur la question de savoir s’il existait pour l’administration concernée des procédures et principes spécifiques concernant l’autorisation à demander pour l’organisation d’activités comme celle qui fait l’objet de cette affaire, le Gouvernement se réfère à l’article 18 de la loi n4688 relative aux syndicats des fonctionnaires de l’État et aux accords collectifs (paragraphe 19 ci-dessus). Il reconnaît en outre que selon les articles 99 et 100 de la loi n° 657 (paragraphe 17 ci-dessus) et l’article 68 du code de travail (paragraphe 18 ci-dessus), la pause de midi n’est pas considérée comme faisant partie des heures de travail.

    42.  Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il estime qu’il n’avait pas besoin d’une autorisation de la direction générale de l’EGO pour mener ses activités syndicales qui s’étaient déroulées en dehors de ses heures de travail. À cet égard, il se réfère à l’article 18 de la loi n4688 précitée (paragraphe 19 ci-dessus). Il indique aussi qu’à la municipalité d’Ankara, la période entre 12 heures et 13 heures est l’heure de repos et que selon les articles 99 et 100 de la loi n° 657 (paragraphe 17 ci-dessus), cette période ne devrait pas être considérée comme faisant partie des heures de travail.

    ii.  Appréciation de la Cour

    43.  La Cour rappelle que l’article 11 § 1 de la Convention présente la liberté syndicale comme une forme ou un aspect particulier de la liberté d’association (Syndicat national de la police belge c. Belgique, 27 octobre 1975, § 38, série A no 19, Syndicat suédois des conducteurs de locomotives, précité, § 39, Schmidt et Dahlström, précité, § 34, et Demir et Baykara, précité, § 109). Les termes « pour la défense de ses intérêts » figurant dans cette disposition ne sont pas redondants et la Convention protège la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat par l’action collective de celui-ci, action dont les États contractants doivent à la fois autoriser et rendre possibles la conduite et le développement (Wilson, National Union of Journalists et autres c. Royaume-Uni, nos 30668/96, 30671/96 et 30678/96, § 42, CEDH 2002-V, et Danilenkov et autres c. Russie, no 67336/01, § 121, CEDH 2009 (extraits)).

    44.  De plus, la Cour rappelle que l’article 11 de la Convention garantit aux membres d’un syndicat, en vue de la défense de leurs intérêts, le droit à ce que leur syndicat soit entendu, mais qu’il ne leur garantit pas un traitement précis de la part de l’État. Ce qu’exige la Convention, c’est que la législation permette aux syndicats, selon des modalités conformes à cet article, de lutter pour la défense des intérêts de leurs membres (Demir et Baykara, précité, § 141, et Sindicatul “Păstorul cel Bun” c. Roumanie [GC], no 2330/09, § 134, CEDH 2013 (extraits)).

    45.  La Cour note que, dans la présente affaire, le requérant s’est vu infliger un avertissement, à titre de sanction disciplinaire, pour avoir organisé un référendum syndical pendant la pause de midi devant la porte d’entrée du réfectoire de la direction générale de l’EGO, sans en avoir demandé l’autorisation (paragraphe 8 ci-dessus).

    46.  Elle rappelle avoir déjà jugé que le droit d’organiser des manifestations ou actions spontanées ne peut passer outre à une obligation de préavis que dans des circonstances particulières (voir, parmi d’autres, Gün et autres c. Turquie, no 8029/07, § 77, 18 juin 2013).

    47.  Quant à la question de savoir si le requérant était soumis à une obligation d’obtenir une autorisation préalable dans les circonstances de l’espèce, la Cour constate qu’il n’est pas contesté par les parties que la pause de midi est considérée comme ne faisant pas partie des heures de travail. La Cour relève aussi que le référendum a eu lieu devant la porte d’entrée du réfectoire de l’administration concernée, donc en dehors des bâtiments de l’administration, mais situé sur le campus du complexe administratif. En l’absence d’argument avancé par le Gouvernement sur la nécessité d’obtenir une autorisation spéciale pour des activités syndicales se déroulant pendant la pause de midi à l’emplacement précité, la Cour n’est pas certaine de l’existence d’une telle obligation. Elle juge toutefois inutile de trancher cette question. À cet égard, elle est consciente du fait qu’il ne lui incombe pas d’apprécier l’opportunité de la sanction disciplinaire en tant que telle, et en particulier de s’exprimer sur la question de savoir si le requérant a fait preuve « d’insouciance dans la mise en œuvre des procédures et des principes définis par les instances (compétentes) » (voir la décision du directeur de la direction des ressources humaines et de la formation du 8 mai 2007 (paragraphe 8, ci-dessus), se référant implicitement à article 125, A-a) de la loi no 657 (paragraphe 14 ci-dessus)) en n’ayant pas demandé une autorisation à la direction générale de l’EGO pour mener son action.

    48.  Dans la présente espèce, la Cour doit examiner les incidences de la sanction disciplinaire infligée au requérant sur son droit à mener des activités syndicales au regard de l’article 11 de la Convention (Metin Turan c. Turquie, no 20868/02, § 28, 14 novembre 2006). Elle doit donc examiner si cette sanction répondait à un besoin social impérieux et si, eu égard à ses effets, elle était proportionnée au but légitime poursuivi.

    49.  La Cour note qu’au cours de la procédure disciplinaire le requérant a indiqué qu’il avait organisé le référendum en sa qualité de secrétaire d’une section de son syndicat. Elle note ensuite que selon la décision du directeur de la direction des ressources humaines et de la formation, aucune perturbation dans le travail du personnel de la direction générale de l’EGO n’a été constatée (paragraphe 8, ci-dessus). De plus, la manifestation à laquelle le requérant a participé a eu lieu pendant la pause de midi, soit en dehors des heures de travail. La Cour constate que le requérant a été sanctionné pour avoir organisé un référendum pendant la pause de midi, sans avoir obtenu l’autorisation de son employeur, nonobstant le fait que selon l’article 18 de la loi no 4688 il ne peut être infligé de sanction à un fonctionnaire pour avoir participé à une manifestation syndicale qui se déroule en dehors de ses heures de travail même quand il n’a pas obtenu l’autorisation de son employeur (paragraphe 19, ci-dessus). Partant, la Cour considère que le requérant a été sanctionné sans que les autorités disciplinaires n’aient prêté la moindre attention à la qualité dans laquelle il a organisé le référendum.

    50.  La Cour rappelle enfin qu’un individu ne jouit pas de la liberté d’association si les possibilités de choix ou d’action qui lui restent se révèlent inexistantes ou réduites au point de n’offrir aucune utilité (voir, mutatis mutandis, Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 114, CEDH 1999-III). Or, en l’espèce, elle relève que la sanction incriminée, si minime qu’elle ait été, était de nature à dissuader le requérant et les autres membres de syndicats d’exercer librement leurs activités (voir, mutatis mutandis, Karaçay c. Turquie précité, § 37, Kaya et Seyhan c. Turquie, no 30946/04, § 30, 15 septembre 2009, et Şişman et autres c. Turquie, no 1305/05, § 34, 27 septembre 2011).

    51.  Partant, la Cour conclut qu’en l’espèce il n’est pas démontré par le Gouvernement que l’avertissement infligé au requérant répondait à un besoin social impérieux. Il n’est donc pas établi qu’il y avait un rapport raisonnable de proportionnalité entre l’atteinte à la liberté d’association et le but poursuivi - dès lors qu’on admet la légitimité de ce dernier - ni que cette atteinte était « nécessaire dans une société démocratique ».

    52.  Il y a donc eu violation de l’article 11 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

    53.  Le requérant se plaint de l’absence de voie de recours interne pour contester l’avertissement qu’il a reçu. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    54.  Le requérant se plaint plus particulièrement du fait que, selon le droit en vigueur à l’époque, il ne pouvait pas contester l’avertissement devant une juridiction.

    55.  Le Gouvernement indique que le requérant a reçu un avertissement, sur le fondement de l’article 125, A de la loi n° 657. Il ajoute que, selon l’article 135 de la loi n° 657, tout fonctionnaire pouvait faire opposition contre un avertissement auprès de son supérieur hiérarchique ou bien, s’il n’existait pas de supérieur hiérarchique, de l’organe de discipline compétent. Il admet que les décisions rendues après opposition par ces derniers étaient définitives. Il précise en outre que, conformément à l’article 129 de la Constitution tel qu’en vigueur à l’époque des faits, un avertissement ne pouvait pas être soumis au contrôle juridictionnel.

    A.  Sur la recevabilité

    56.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le bien-fondé

    57.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils y sont consacrés. Certes, l’« instance » dont parle cette disposition ne doit pas nécessairement être une instance de nature juridictionnelle. Cependant, ses pouvoirs et les garanties procédurales qu’elle présente entrent en ligne de compte pour déterminer si le recours est effectif. S’agissant des instances non juridictionnelles, la Cour s’attache à en vérifier l’indépendance, ainsi que les garanties de procédure offertes aux requérants (De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, §§ 78-79, CEDH 2012).

    58.  En l’espèce, le seul recours ouvert contre la sanction disciplinaire de l’avertissement était un recours administratif devant le conseil de discipline. La Cour rappelle avoir déjà examiné des griefs identiques à celui formulé dans la présente affaire et avoir conclu à la violation de l’article 13 de la Convention, compte tenu du fait qu’un fonctionnaire ayant reçu une sanction telle qu’un avertissement se trouvait privé de toute garantie lui permettant d’éviter d’éventuels abus ou de simplement faire contrôler la légalité d’une telle mesure disciplinaire (voir, notamment, Karaçay, précité, § 44, et Kaya et Seyhan, précité, § 41).

    59.  Après examen, la Cour considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire.

    60.  Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en l’espèce.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    61.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    62.  Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

    63.  Le Gouvernement conteste cette prétention.

    64.  Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 500 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    65.  Le requérant demande 1 000 EUR pour des frais postaux et de traduction, sans présenter des justificatifs. Concernant les frais de représentation devant la Cour, il les laisse à l’appréciation de la Cour.

    66.  Le Gouvernement conteste ces prétentions au motif que le requérant ne les étaye pas.

    67.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de l’absence de justificatifs présentés par le requérant à l’appui de sa demande, la Cour rejette les prétentions relatives aux frais et dépens pour la procédure engagée devant elle.

    C.  Intérêts moratoires

    68.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mai 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

        Abel Campos                                                                        András Sajó
      Greffier adjoint                                                                        Président


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