Bruxelles

Un demandeur d'asile sur quatre est une femme... et court un plus grand danger

Femmes hébergées au centre pour demandeurs d'asile de la Croix-Rouge de Jette

© RTBF

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Par Hélène Maquet

Parmi les 12 133 personnes qui ont demandé l'asile depuis le début de l'année (du 1er janvier au 31 juillet), plus d'un quart sont des femmes. A Jette, un centre de la Croix-Rouge héberge celles qui ont voyagé seules ou avec leur(s) enfant(s). Souvent au péril de leur vie.

La lèvre d’Angèle tremble. Doucement. "Ici je peux appuyer sur pause. Me dire que mon enfant joue deux étages plus haut, que nous sommes tous les deux en sécurité ". La jeune femme a quitté le Cameroun il y a deux ans. Menacée de mort, elle s’est précipitée hors du pays, emmenant avec elle son tout jeune enfant. Dans les mains : deux valises, dans les poches : l’équivalent de 10 euros. A son arrivée au centre pour demandeurs d’asile de Jette, il ne lui restait plus que deux pantalons. "Au fur et à mesure il fallait se débarrasser, il fallait apprendre la simplicité. Oublier sa vie…"

Un demandeur d’asile sur quatre est une femme

Angèle est arrivée exténuée au centre de la Croix-Rouge, il y a une semaine. Ici, vivent avant tout des femmes : sur 88 résidents, il n’y a que 3 hommes. " On a soit des femmes isolées, soit des femmes avec leur enfant, ou encore des femmes enceintes, qui accouchent ici au centre. On a eu quelques naissances ces derniers mois" explique Chloé Michelet, la directrice adjointe. Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile dédiés uniquement aux femmes sont plutôt rares. En effet, la migration reste plutôt le fait des hommes : depuis le début de l’année (7 premiers mois de 2015), 12 133 personnes ont déposé une demande d’asile en Belgique. Parmi elles, il n’y a que 3364 femmes, soit un peu plus d’un quart des demandes introduites. Une partie de ces femmes arrivent en famille. D’autres, comme celles du centre de Jette, voyagent seules ou avec leur(s) enfant(s). Seules sur les routes de l’exil, elles ont affronté la peur et le danger. Alors, comme le raconte Marie Moreau, l'assistante sociale qui les accueille, quand elles arrivent à Jette, il leur faut un peu de temps pour atterrir : " Beaucoup arrivent et on voit dans leurs yeux qu’elles ont peur, pendant les deux premiers jours… Puis on les voit d’un coup se relaxer ! "

Séquestrée en Espagne

Se détendre. Après des mois de route. Angèle a quitté le Cameroun parce qu’elle était menacée de mort par sa famille. Elle s’est d’abord enfuie en Afrique, puis s’est envolée vers l’Espagne. C’est là que toute la rudesse du voyage a éclaté : " Quand je suis arrivée, la personne qui devait m’héberger a tout confisqué. Voilà. On s’est retrouvé séquestré en Espagne. Je n’avais plus nos passeports, je n’avais pas assez à manger. Je ne savais pas comment faire bonne figure devant mon enfant". Angèle a pu finalement s’échapper. " Là, on est parti par la route. On a fait trois jours de route avec un inconnu. J’ai eu vraiment peur… Pendant trois jours, je n’ai pas dormi parce que je me disais : mais qu’est-ce que tu fous là, avec ton enfant ? Et si jamais c’était un malade ? Et si quelque chose nous arrive ? "

A vingt dans un canot gonflable, de l’eau jusqu’à la poitrine

Yasmine est aussi maman. Syrienne, elle est arrivée au centre il y a une dizaine de jours, alors que ses deux filles de 9 et 13 ans, et son mari, médecin, sont restés derrière elle en Arabie Saoudite. Un choix douloureux. Après 15 ans passés en Arabie Saoudite, le mari a perdu son contrat de travail, avec pour conséquence que leurs visas saoudiens ont expiré. Retourner en Syrie, dans un pays déchiré par la guerre, est impensable. Rester seule, femme en séjour illégal avec deux petites filles, en Arabie Saoudite est presque impossible. C’est donc son mari qui est resté sur place, pour veiller sur leurs filles. Et Yasmine a tenté le tout pour le tout : " Rentrer en Syrie avec les filles, c’était dangereux pour elles et moi. Traverser la Méditerranée, ce n’était dangereux que pour moi!".

Le calcul est vite fait. Yasmine part, seule, pour la côte turque. Après trois essais, elle embarque, avec un passeur, sur un canot gonflable. Ils devraient être maximum dix, mais pour la traversée ils seront vingt. " La traversée devait se faire de nuit. C’est la seule possibilité pour s’échapper, mais la plupart des gens comme moi, ne savaient pas nager". La traversée a duré une heure et demie, faite de remous, de vagues. L’eau est montée dans le canot, jusqu’à hauteur de la poitrine. Yasmine a perdu tous ses papiers. Mais aux aurores, les plages grecques sont apparues… et le canot a accosté dans une petite crique. Quand elle en parle, avec quelques semaines de recul, Yasmine est encore submergée par l’émotion : " J’ai eu très, très peur ".

Abus, viols,… : les femmes courent un plus grand danger

La peur. A chaque minute. Le voyage d’Angèle depuis le Cameroun est fait de ça. "Sur la route, il n’y a aucune sécurité. Il faut avoir toutes ses affaires sur soi, il faut être habillée comme en plein hiver, même si c’est l’été. Il faut tout le temps se protéger. Il faut être en alerte. Parce qu’il y a des prédateurs qui rôdent... Un homme se défendrait plus facilement, je pense ". Ces récits de femmes seules sur la route, Marie Moreau, l’assistante sociale du centre, les a souvent entendus. "Il y a énormément de femmes qui, en chemin, sont soit violées, soit contraintes à la prostitution. C’est parfois inimaginable le nombre de fois où elles se sont faites abuser, violer…"

Aujourd’hui, Angèle et Yasmine sont en sécurité, au centre. Yasmine espère obtenir le statut de réfugiée et faire venir sa famille via le regroupement familial. Elle a tous les jours des contacts avec ses filles et son mari : "Ils sont fiers de ce que j’ai fait". Angèle a moins d’espoir, l’histoire qu’elle a vécu remplit plus difficilement les critères de l’asile. Pour elle, la Belgique ne sera peut-être qu’une étape, alors qu’elle sait que tout retour au pays est impossible. "Ici, en Belgique, je ne suis rien. Mais chez moi j’étais quelqu’un, donc c’est super difficile. J’étais cheffe d’entreprise, et ça allait bien. J’avais une vie. Une vraie belle vie".

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