Publicité
Interview

Dara Khosrowshahi : « Nous réfléchissons à deux fois avant de recruter en France »

Dara Khosrowshahi (PDG d'Expedia)

ECH21939073_1.jpg

Par Lucie Robequain

Publié le 18 mai 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La croissance mondiale promet d'être relativement faible ces prochaines années. L'industrie du tourisme va-t-elle en pâtir ?
L'industrie du tourisme croît beaucoup plus vite que la croissance mondiale. Et le tourisme en ligne progresse à un rythme encore supérieur. Chaque année, il augmente dans une fourchette de 8 % à 9 %. Les consommateurs y consacrent une part croissante de leurs dépenses. L'Asie est la région qui progresse le plus vite. Les pays d'Asie-Pacifique découvrent enfin les joies du tourisme. Leurs habitants sont de plus en plus nombreux à intégrer les classes moyennes. Leur découverte du monde est progressive : ils voyagent d'abord dans les pays proches, tels que la Corée et la Chine. Puis ils s'aventurent un peu plus loin, vers Bali et la Thaïlande. Leur but ultime, c'est de découvrir les grandes capitales mondiales : Paris, Londres, New York...

Beaucoup de multinationales américaines se plaignent de la flambée du dollar. En faites-vous partie ?
Pour nous, c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Les revenus que nous réalisons en Europe sont plus faibles, car ils nous rapportent moins quand nous les convertissons en dollars. La croissance de notre chiffre d'affaires est au moins de 8 % inférieure à ce qu'elle aurait été avec un dollar stable. Mais la hausse du dollar n'est pas qu'une mauvaise affaire : les Américains voyagent plus souvent et plus longtemps. C'est un élément essentiel pour nous, car ils représentent environ la moitié de notre chiffre d'affaires. Au final, la flambée du dollar est donc plutôt neutre à nos yeux.

Les Etats-Unis sont en train de normaliser leurs relations avec Cuba. Le tourisme américain sera bientôt possible. Comment vous y préparez-vous ?
Cuba va devenir une destination de premier ordre pour les Américains. Mais le tourisme en tant que tel reste pour l'instant interdit. Les voyages à Cuba sont réservés aux professionnels qui ont une raison de se rendre spécifique sur l'île (professeurs, médecins, journalistes, etc.). Expedia ne peut rien faire de concret avant la levée de l'embargo. A ce stade, nous n'en sommes qu'au stade des discussions préliminaires avec les autorités cubaines.

Le tribunal de commerce de Paris vient d'attaquer vos pratiques tarifaires. Il vous accuse de pénaliser les hôtels, en les obligeant à vous accorder systématiquement les prix les plus bas. La décision vous semble-t-elle injuste ?
Nous n'avons pas encore regardé la décision en détail. Il est donc trop tôt pour vous répondre. Mais je tiens à rappeler plusieurs choses : nous offrons une audience mondiale aux hôtels. Il y a quelques années, un petit hôtel du sud de la France n'aurait jamais eu accès aux touristes internationaux. C'est le cas aujourd'hui, grâce à nous. Si nous réclamons les prix les plus bas, c'est évidemment dans l'intérêt des consommateurs. Ceux-ci gardent une liberté totale, ne l'oublions pas. Certains cherchent des hôtels sur notre site et réservent ensuite directement auprès de l'établissement. Nous ne touchons aucune commission dans ce cas. Et pourtant, nous avons aidé l'hôtel.

Publicité

Les hôtels ne contestent pas que vous leur apportiez des revenus. Mais ils jugent excessivement élevées les commissions que vous prélevez (entre 10 % et 30 %). Que leur répondez-vous ?
Les commissions que nous prenons sur chaque transaction ont beaucoup baissé ces dernières années. Nous faisons des économies d'échelle qui nous permettent de restituer un peu plus d'argent aux hôteliers. Il suffit de regarder nos résultats financiers pour s'en convaincre : nous réalisons 6 milliards de dollars de revenus par an, en effectuant des réservations d'hôtel et de billets qui représentent 50 milliards au total. Ce ratio entre chiffre d'affaires et réservations a beaucoup baissé récemment, ce qui montre que nous prenons une commission de plus en plus faible sur les hôtels.

Vous êtes attaqué par d'autres pays européens. Pensez-vous qu'il soit plus difficile de faire des affaires en Europe qu'aux Etats-Unis ?
Le coût y est incontestablement plus élevé. Les régulateurs européens sont plus agressifs que les Américains - parfois à juste titre et parfois à tort. Nous devons respecter une myriade de législations, dans des pays souvent petits. Nous préférerions un cadre européen, avec une seule loi pour tous. Le marché du travail est beaucoup plus flexible aux Etats-Unis. Disons-le carrément : il est même fantastique. Il nous encourage à recruter massivement. Quand nous sommes obligés de licencier - et croyez-moi, ce sont des moments terribles -, nous n'avons pas besoin de négocier trois ans avec les syndicats. La rigidité en Europe ne nous empêche pas d'y investir massivement : c'est un marché sur lequel nous grossissons énormément et nous n'hésitons pas à recruter quand il le faut. Nous avons plus de 4.000 salariés en Europe. Nous avons de formidables équipes à Paris, au sein de l'agence Egencia, que nous avons achetée récemment. L'état d'esprit et l'énergie qui y règnent sont excellents. Les talents sont incroyables et nous n'avons aucun doute sur la réussite de cette entreprise. Mais nous réfléchissons à deux fois avant de recruter en France.

Quand vous réservez un hôtel pour un client français, vous percevez une commission sur laquelle vous ne payez aucun impôt en France. Est-ce normal ? L'Union européenne espère y remédier en taxant les entreprises Internet dans les pays où elles réalisent leur chiffre d'affaires. Qu'en pensez-vous ?
S'il faut payer davantage, nous le ferons. Mais, encore une fois, cela augmentera le coût de notre présence en Europe. Cela nous encouragera à y réduire nos investissements. Si nous avons un dollar à investir, peut-être irons-nous le dépenser ailleurs.

Pensez-vous qu'il y ait une sorte de jalousie européenne à l'égard des succès américains, et notamment des géants Internet ?
C'est une question que l'on peut légitimement se poser. Je n'ai pas de solution particulière à vous apporter : heureusement pour moi, je suis PDG d'une entreprise américaine, et non pas fonctionnaire européen ! Mais le protectionnisme n'est pas la solution, c'est certain.

Vous figurez pourtant parmi les entreprises qui contestent la position dominante de Google en Europe...
Google dispose d'une influence immense sur le marché européen - encore supérieure à ce qu'elle est aux Etats-Unis. Il privilégie ses services commerciaux, ce qui n'est pas forcément normal. Est-ce mauvais pour les consommateurs ? Il est encore trop tôt pour en juger. Cela deviendra-t-il le cas dans le futur ? C'est bien possible.

Les Etats-Unis figurent parmi les seuls pays au monde à taxer les entreprises sur leurs revenus mondiaux - et non nationaux. Est-ce un gros handicap pour vous ? Espérez-vous une réforme au Congrès ?
Moins le Congrès intervient, mieux on se porte ! Nous n'espérons aucune avancée à Washington. Cela étant dit, je regrette que la fiscalité américaine soit si complexe. Le pays accorde des avantages fiscaux à certaines compagnies, notamment pétrolières et gazières. Il devrait imposer une fiscalité plus égalitaire entre toutes les entreprises. La taxation universelle des revenus nous encourage à stocker notre « cash » à l'étranger, le seul moyen pour qu'il ne soit pas taxé. Le système nous décourage donc d'investir dans notre propre pays.

Il n'existe plus que deux grosses agences de voyages en ligne : Priceline et Expedia. Vous êtes en train d'absorber Orbitz, ce qui va encore renforcer la concentration du secteur. Comment pensez-vous convaincre les régulateurs d'approuver cette fusion ?
Nous sommes assez confiants dans le fait d'obtenir le feu vert des régulateurs. C'est une erreur de penser que Priceline et Expedia sont les seuls à vendre des voyages sur Internet. Google vend des chambres d'hôtel, Amazon aussi... Au final, nous ne représentons que quelques points de part de marché. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le tourisme mondial représente l'équivalent de 1.300 milliards de dollars chaque année. Nous effectuons des réservations qui représentent une enveloppe annuelle d'environ 50 milliards de dollars. Comment peut-on parler de monopole ? Nous espérons réaliser la fusion au second semestre de cette année.

Comptez-vous acheter d'autres entreprises, ou pensez-vous que la consolidation du secteur soit achevée ?
Les achats d'entreprise font partie de l'ADN d'Expedia ! Nous cherchons toujours à grandir. La consolidation du secteur n'est pas encore achevée.

Expedia est une entreprise qui milite activement pour le mariage gay. Pourquoi ce combat, plutôt qu'un autre ?
Nous ne sommes pas une entreprise particulièrement engagée dans la politique. Mais, en défendant cette cause, nous reflétons l'opinion de nos salariés, et surtout celle de nos clients. C'est la juste chose à faire.


Son actualité

Expedia espère absorber son concurrent Orbitz avant la fin de l'année. Les régulateurs américains n'ont pas encore donné leur feu vert : ils veulent s'assurer du maintien d'une certaine concurrence parmi les agences de voyages en ligne.

Le tribunal de commerce de Paris vient d'attaquer Expedia pour ses pratiques tarifaires. Il l'accuse de pénaliser les hôtels, en s'octroyant systématiquement les prix les plus bas.

Expedia figure parmi les entreprises qui contestent la position dominante de Google en Europe.

Son parcours

Dara Khosrowshahi est PDG d'Expedia depuis août 2005. Il s'agit de la plus grosse agence de voyage sur Internet, derrière Priceline.

Dara Khosrowshahi dirigeait auparavant l'agence de voyages du groupe IAC, propriété du milliardaire Barry Diller.

A quarante-cinq ans, il vient d'être nommé administrateur du journal « New York Times ». Il a été sélectionné pour sa connaissance de l'économie digitale, notamment.

Iranien de naissance, il a fui le pays au moment de la révolution.

Envoyée spéciale à Bellevue (Etat de Washington) Lucie Robequain

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité