Ma boite-CV-puzzle-Monoprix, ou l’expérience du "culte du profil" (et le happy-end en startup)

Ma boite-CV-puzzle-Monoprix, ou l’expérience du "culte du profil" (et le happy-end en startup)

 Je travaille depuis 3 ans sur un projet nucléaire anglophone, et bien que j’apprécie mes collègues et que j’y ai appris beaucoup de tous points de vue, je commençais sérieusement à m’ennuyer, fatiguée de la complexité et la lourdeur des processus internes que l’on ne peut pas améliorer ou simplifier. Je cherchais depuis longtemps à travailler dans un milieu qui me correspond plus (dynamique, créatif), en faisant ce que j’aime le plus dans mon travail actuel : de la communication avec de la rédaction et de la mise en forme de supports de communication. Après plus d’un an de candidatures infructueuses tous azimuts pour des offres en communication et après plusieurs entretiens qui se sont arrêtés très près du but, j’ai décidé de ne plus minimiser mon envie d’un travail qui me stimule et passionne, mais de - au contraire - jouer là-dessus.

J’ai donc fait une vingtaine de boites-CV-Puzzle-Monoprix : mon CV imprimé sur du carton épais découpé en 12 pièces, et lorsqu’on l’assemble : "Vous aimez vous creuser les méninges ? Moi aussi !"

Avec mon CV version papier classique et deux lettres de recommandation, le tout dans une boite habillée au packaging de Monoprix (repris parce qu’il est coloré, attirant, efficace, simple à reproduire : la création graphique n’est pas mon métier). La fabrication et l’envoi à des entreprises et agences de communication m’ont coûté plus de 170€.

J’ai eu deux réponses spontanées quelques temps après l’envoi, sept agences de communication et entreprises ne m’ont jamais répondu, et les autres ont répondu à mes relances par en substance "On adore mais on n’a pas de poste".

 L’agence de recrutement dans la communication Elaee à laquelle j’avais envoyé une boite a écrit le premier article , qui a été un excellent moyen de faire ma "publicité" : les posts LinkedIn et Facebook ont eu beaucoup de succès, puis je me suis inscrite sur Twitter et, rapidement, appuyée par le collectif #i4emploi, le CV a bien circulé.

(Visuels postés au fur et à mesure sur mon compte Twitter)

L’agence de recrutement digitale Edgar People m’a proposé d’écrire un autre article sur ce CV, celui qui a vraiment lancé le buzz : plus de 1000 visites sur mon profil LinkedIn en 2 jours, presque autant sur mon CV en ligne Prezi, 800 partages LinkedIn ou Facebook, plus de 700 "j’aime" et 300 commentaires sur le post LinkedIn de l’agence…

 Les articles ont continué de circuler sur Twitter, Facebook et LinkedIn, et j’ai continué de contacter des personnes et entreprises (plus de 150 en tout) pour leur demander si ma démarche les intéressait. L’écart était très important entre le nombre de personnes qui adoraient mon idée, me soutenaient, m’encourageaient, la partageaient à tous leurs contacts, me demandaient si ça avait marché… et le peu de pistes concrètes avec les entreprises.

Ceux qui travaillaient dans la communication ou les RH –quoique pour la plupart bienveillants et bien intentionnés - me faisaient presque tous les mêmes reproches: "Votre idée est bonne mais votre profil n’est pas clair, on ne comprend pas ce que vous voulez, on ne voit pas ce que vous pouvez apporter de plus que des personnes ayant déjà travaillé dans le domaine, votre CV et votre parcours ne sont pas formatés pour les métiers de la communication, il sera très difficile pour vous de convaincre quelqu’un de prendre le risque de vous embaucher. Renvoyez-nous un CV qui répond à une offre précise, qui utilise le bon vocabulaire associé, et vous aurez peut-être un entretien." Et si je répondais que j’étais polyvalente et que je me sentais capable d’apprendre beaucoup de choses, on m'a accusée d'être prétentieuse et de m'entêter dans une voie sans issue.

J’ai découvert que j’étais apparemment considérée comme un "profil atypique" : pour moi, les profils atypiques c’était par exemple un maçon quarantenaire qui voulait se reconvertir dans la danse, ou une personne avec plusieurs trous dans son parcours et peu de diplômes. Quand j’ai voulu opérer ce petit virage professionnel - passer de la gestion de l’information/documentation à la communication- avec un master en Information Communication, 3 ans d’expérience dans un projet nucléaire majeur, 5 stages (dont Canal+, Radio France, le Musée du Louvre, le Grand Lyon), je ne pensais pas que je serais de ces "atypiques". S’il est vrai que je ne sais pas me donner une étiquette précise ou dire exactement dans quelle case je rentre, je ne pensais pas que les entreprises seraient si méfiantes de ce qui sort un peu de l’ordinaire.

Je commençais sérieusement à désespérer lorsque je suis allée à un salon de startups. Et là, qu'elle n'a pas été ma surprise d'être plusieurs fois accueillie par des "Ah c’est vous la fille au CV Monoprix! J’en ai entendu parler / je l’ai vu circuler…". J’ai après découvert que trois autres articles (les blogs de RegionsJob, RH Performances, Papote) avaient été écrits sur mon CV, et qu’il avait encore beaucoup circulé… Les personnes que j’ai rencontrées semblaient très intéressées, ma créativité et mon enthousiasme ont plu.

 Trois startups spécialisées dans la data (visualisation de données, open data, smart data, smart cities…) m’ont contactée par la suite, pour me proposer des postes très intéressants et de belles opportunités malgré ma petite expérience. J’ai été très étonnée et flattée qu’on me fasse confiance et que l’on me propose même de construire toute une communication digitale.

Dans ces entretiens, j'ai enfin entendu ce dont je rêvais depuis longtemps : "Ce ne sont pas votre parcours et vos compétences acquises qui sont les plus importantes. On préfère quelqu'un de motivé, créatif, adaptable et qui aura envie d'apprendre à quelqu'un qui maîtrise un logiciel ou un domaine mais qui évoluera moins, et qui sera très scolaire dans son travail. Vous avez montré que vous pouviez être créative et penser différemment, c'est ce qui nous intéresse!" J'ai au final eu le choix du roi... Et j'ai dû refuser deux pistes très intéressantes pour un travail qui m'intéresse encore plus ("Sales enablement specialist", soit la conception de supports de communication pour appuyer l’équipe de vente d’OpenDataSoft), et dans un domaine très porteur et plein de possibilités : la data en général, et l’open data en particulier (la mise à disposition des citoyens de données publiques d’état utiles à la communauté, concernant les transports publics, la gestion de la ville, la politique...).

Mais j'ai l'impression que mon histoire est d’actualité, et qu’elle en dit pas mal sur la mentalité française. On parle beaucoup de notre tissu de PME et startups françaises qui participent au dynamisme économique de la France en ayant les idées innovantes et originales que les autres n’ont pas eues et/ou su développer. 

Mais dans quelle mesure les méthodes de recrutement des entreprises françaises sont-elles un frein à l’innovation ? Il semble que les entreprises classiques - ou travaillant dans la communication, milieu supposé être créatif et ouvert - ont peur de tout ce qui diffère de ce qu’elles connaissent déjà, de ce qui est trop hors cadre. Elles disent préférer les "soft skills", une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine. Or, ce qui semble diriger le choix des recruteurs c’est le "culte du profil": le titre du CV et la liste des compétences doivent être exactement identiques à ceux de la fiche de poste sous peine d’être étiquetées "hors-profil" et écartés aussitôt.

 Il est compréhensible et louable de vouloir sécuriser les recrutements et les évolutions, et nécessaire face au grand nombre de candidatures pour chaque poste. Cependant, si on contrôle trop le cadre dans lequel les idées peuvent émerger, on risque de manquer d’idées originales… Le discours "Embauchez-moi et vous verrez!" peut évidemment effrayer. Mais une personne motivée, débrouillarde, qui sait s’adapter et qui a envie d’apprendre, pourra-t-elle vraiment être une erreur de recrutement ? Recruteurs, il pourrait être intéressant de vous poser la question... 

Edit:

D'autres articles sur le CV sont parus par la suite sur PiweeIl était une pub, Modes d'emploi (Régions Job) Buzzfil, La Minute RH (repris sur EcoInfos et Hypee-Style).

J'ai ensuite eu la chance d'avoir une page entière consacrée à cette expérience dans le magazine papier Archimag, spécialisé dans la documentation (rédigé en style un peu journalistique...):

Marion Labetoulle

Talent Acquisition & Employer Branding at Padok

4y

Hyper intéressant comme retour d'expérience, on voit passer de plus en plus de candidatures créatives et décalées qui font le buzz, mais on connait rarement l'issue de l'histoire. Félicitations pour ton idée et pour ta ténacité !

Marion Fouret

Translator | from German to French |

5y

Coucou Lise, je n'avais pas encore pris le temps de lire le récit de "toute l'aventure" ! Super article , merci .

Quelle belle histoire, je pense que toutes les boîtes qui vous ont dit "non" vous regretteront, et je pense qu'elles ont de quoi !

Guy Matteotti

High Tech International trade expert - Performance Analysis, Entertainement and Social Media

7y

Continuez, vous réussirez.

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Laurent Yonner

Planning Manager, Project Controls, PMO - Infrastructure and Complex Projects

7y

Parfaite illustration du "thinking out of the box" et "self branding". Lise, tu as su réagir en publiant des tweets efficaces, directs et engagés. Une autre facette de tes talents et de ta personnalité qui méritait d'être révélée pour in fine trouver le job qui te ressemble à 100% ! Good luck

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