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John Hennessy : «Le défi majeur est d’apprendre à apprendre tout au long de la vie»

Pour le mythique président de Stanford, les compétences-clés pour l’avenir sont l’interdisciplinarité, la créativité et l’éthique.

Propos recueillis par  et

Publié le 02 mars 2016 à 19h40, modifié le 18 octobre 2016 à 14h23

Temps de Lecture 5 min.

John L. Hennessy, 10ème président de l'université de Stanford lors de sa visite à Paris le 2 mars 2016.

Surnommé par Marc Andreessen, fondateur de Netscape, « le parrain de la Silicon Valley », John Hennessy, 63 ans, quittera en septembre la présidence de l’université Stanford (Californie) qu’il occupe depuis seize ans. Sous son impulsion, l’université californienne a conquis la première place mondiale dans les classements internationaux. En tournée européenne pour promouvoir le fonds de 700 millions de dollars (636 millions d’euros) qu’il vient de lancer avec Philip Knight (Nike) pour attirer à Stanford la « nouvelle génération de leaders mondiaux », il explique comment l’université qui vit naître Google, Snapchat, Instagram ou LinkedIn, essaie d’anticiper les besoins d’un marché de l’emploi rendu imprévisible par la fulgurance des évolutions technologiques.

Vous avez placé les approches interdisciplinaires au cœur de tous vos cursus. En quoi cela répond-il aux besoins des entreprises ?

Un dirigeant doit bien sûr avoir un domaine d’expertise. Mais il doit de plus en plus être en capacité d’interagir et de travailler avec d’autres personnes, d’autres disciplines. Regardez le problème du changement climatique. Il n’existe pas de solution magique. Climatologues, économistes, politiques, experts en technologies alternatives doivent travailler ensemble. Les défis auxquels nous faisons face, en économie, en politique ou en environnement nécessitent des capacités de collaborations pour être résolus. Cela s’apprend.

Est-ce facile de faire dialoguer les disciplines ? En France, cela ne va pas de soi…

Rassurez-vous, aux Etats-Unis non plus ! Dans l’industrie, les approches transversales sont plus faciles à initier car, au final, un produit doit sortir, de la valeur doit être créée. Dans le monde académique, les personnes ont plutôt tendance à travailler en silo. Nous avions néanmoins un atout : l’existence d’un campus réunissant, sur un faible périmètre, de multiples disciplines. Nous avons ensuite créé des incitations pour que chercheurs et étudiants travaillent ensemble, par exemple des facilités de financement pour les recherches transdisciplinaires.

Plus inattendu au cœur de la Silicon Valley : vous avez placé l’art au cœur du campus. Qu’en attendiez-vous ?

Les grandes sociétés ont de grands artistes : la culture apporte de la profondeur, ce que l’on respire d’ailleurs partout en France. En outre, nous voulions permettre aux étudiants d’avoir accès à quelque chose qui pourrait devenir une source de joie pour toute leur vie. Mais l’art a aussi une vertu pédagogique : sa fréquentation et sa pratique stimulent la créativité, nous confrontent à des cultures différentes, à des idées qui sortent des cadres établis. Nous avons donc cherché à donner aux étudiants ce que j’appelle la confiance créative. Leur apprendre à émettre et aussi à recevoir les critiques sans en prendre ombrage. Cette compétence est de grande valeur.

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Même les entreprises qui se disent en quête de créativité ont parfois du mal à accepter ces idées « qui sortent des cadres établis »…

Le défi, pour une entreprise, est de garder l’étincelle de l’innovation, notamment dans les grandes organisations. Google, par exemple, consacre beaucoup d’énergie à conserver cette agilité. Dans la Silicon Valley, les idées qui sortent de l’ordinaire jaillissent à chaque coin de rue. D’ailleurs, les universités devraient être ce lieu où les idées émergent en permanence, et elles devraient se réinventer en permanence.

Avec l’avènement des cours massifs en ligne (Moocs), la Silicon Valley a promis de révolutionner les universités. Pour l’heure, les changements sont minces…

Il est naïf de penser qu’un modèle unique répondra à tous les besoins. Certains étudiants préfèrent vraiment une vidéo à un manuel, notamment les plus jeunes. D’autres non. Le grand apport des Moocs est de permettre un enseignement de masse, quels que soient les rythmes et les bagages académiques de chacun. Ce dont nous ne tirons pas encore assez profit, c’est la façon dont ces approches peuvent s’articuler et enrichir l’enseignement, ne serait-ce qu’en évitant aux étudiants de rentrer chez eux avec dix kilos de livres dans leur sac. D’autres innovations sont en train de faire leurs preuves. Prenez la classe inversée – la « flipped classroom »-, qui consiste à apprendre ses leçons en dehors des cours, puis à consacrer les séances à réaliser des expériences, à approfondir, à travailler en groupe. Elles apparaissent très efficaces. Il en va de même du recours au big data pour personnaliser l’enseignement.

Ces approches permettent-elles de faire des économies ?

Oui, et sans renoncer à l’exigence de qualité, ce qui est un enjeu important dans le contexte financier de l’enseignement supérieur, partout dans le monde. Aux Etats-Unis par exemple, les financements publics décroissent drastiquement depuis des années.

Le changement est-il assez rapide ?

Nos institutions sont terriblement lentes à évoluer. Il faut impérativement expérimenter, tenter des modèles pédagogiques nouveaux, les évaluer et voir ce qui marche. C’est ce que nous essayons de faire à Stanford.

Vu de France, cela semble plus simple à accomplir dans la Silicon Valley…

Détrompez-vous ! C’est très difficile ! Il faut en permanence rappeler que la priorité ce sont les étudiants, pas le confort des enseignants, même si je comprends parfaitement qu’il n’est pas simple de changer sa façon d’enseigner. Mais le plus important, c’est vraiment de développer cette capacité de nos étudiants à apprendre dans de nouveaux domaines, que nous n’imaginons même pas aujourd’hui.

Il s’agit donc d’« apprendre à apprendre » tout au long de la vie ?

Absolument. C’est le défi majeur. Notamment pour trouver un emploi. A mon époque, je savais que j’aurais trois ou quatre employeurs au maximum. Maintenant, les jeunes ne pensent plus en termes de carrière linéaire. Ils se projettent dans une multitude de carrières et travailleront pour dix ou quinze employeurs différents. Ils devront se remettre en question en permanence. Le monde va si vite que nous sommes d’ailleurs bien incapables de leur enseigner ce qu’ils devront savoir ne serait-ce que dans dix ans.

Si vous deviez néanmoins désigner une évolution majeure pour la prochaine décennie, quelle serait-elle ?

Le big data. Il devient l’outil central d’aide à la décision dans une multitude de domaines.

L’accès à ces données massives et personnelles donne un pouvoir considérable à des entreprises privées. Quel contre-pouvoir peut déployer l’université ?

Enseigner l’éthique. C’est ce que nous faisons depuis 2014 dès la première année pour tous les étudiants. Ils suivent des cours sur les enjeux éthiques attachés à leur spécialité – ingénierie, informatique, médecine, etc. Ils ont aussi des cours de philosophie à proprement parler. Le monde devient extraordinairement complexe et rapide. Leur donner accès à une capacité de penser pour prendre les bonnes décisions est central, avant qu’ils exercent le pouvoir qui sera le leur dès qu’ils entreront dans le monde du travail, où ils devront réagir en temps réel. Il est crucial que nous leur donnions les bons réflexes.

L’université s’oppose à des intérêts privés surpuissants. N’est-ce pas utopique ?

Nous pouvons lutter. Expliquer. Développer des arguments. Dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Je ne sais pas si nous gagnerons cette bataille. Mais il est de notre responsabilité de la mener.

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