N’en déplaise au compositeur Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Paris, et à ses opinions sur l’incompatibilité entre la féminité et le métier de chef d’orchestre (1), le hasard de la programmation de l’Opéra de Bordeaux présente Otello, l’œuvre la plus aboutie de Giuseppe Verdi – aux côtés de son ultime Falstaff – conduit par une équipe féminine. Coproduit avec l’Opéra de Nuremberg, le spectacle réunit en effet la chef d’orchestre britannique Julia Jones et la metteuse en scène allemande Gabriele Rech. Deux femmes qui prennent l’ouvrage de Verdi à bras-le-corps.

Archétype du drame de la jalousie magnifié par William Shakes­peare et adapté pour Verdi par Arrigo Boito, Otello est une œuvre coup-de-poing d’une violence étourdissante, où le compositeur ménage néanmoins des plages d’un lyrisme sublime et d’une douceur extraordinaire. Ce qui en fait un chef-d’œuvre aussi magistral que le Tristan et Isolde de Richard Wagner.

La scénographie de Dieter Richter transporte l’action dans les années 1950, dans une grande salle où trône une table de billard : pour Iago, le Maure Otello et la Vénitienne Desdémone ne sont que des boules avec lesquelles il joue…

Sans-faute

La mise en scène de Gabriele Rech est efficace et les chanteurs s’y fondent volontiers, malgré quelques moments contestables : ainsi de la danse qu’exécute Desdémone durant son si mélancolique air du Saule qui n’avantage guère la silhouette un peu lourde de son interprète, où l’Otello blanc qui se noircit le visage et les mains au milieu du troisième acte, puis, à l’acte IV, se tranche la gorge et s’effondre loin du lit où il vient d’assassiner sa femme…

En tête de distribution, Carlo Ventre est un Otello puissant au timbre corsé adapté aux caractères quasi wagnériens du rôle-titre. Aux côtés de ce ténor uruguayen, la soprano américaine Leah Crocetto, Desdémone ardente à la voix éclatante, transcende une corpulence pulpeuse par une grâce naturelle.

Mais l’événement de la soirée fut la prise de rôle de Laurent Naouri en Iago, dont il fait un personnage impressionnant d’énergie, d’engagement, de haine et de duplicité. Maigre, « déjanté », le baryton français fait froid dans le dos. À saluer également, le Cassio solide du Français Benjamin Bernheim et la chaleureuse Emilia de la mezzo-soprano russe Svetlana Lifar.

Dans la fosse, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine fait un sans-faute sous la direction implacable de Julia Jones : elle donne à la partition une force dramatique étourdissante, peut-être un peu trop sonore parfois, mais qui sait mettre en lumière les instants de tendresse et de sensualité.

(1) Le compositeur a affirmé que « les femmes ne sont pas forcément intéressées » par la carrière de chef, évoquant « un métier très éprouvant » par son « aspect très physique ». Il a surtout usé de l’expression bien malheureuse de « service après-vente de la maternité », qui peut être un frein pour une femme dans ce métier…

Jusqu’au 2 décembre.

Rés. : 05.56.00.85.95.

 www.opera-bordeaux.com