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Les derniers mots d'un condamné

Récit. Face à l'impasse de sa semi-liberté, Olivier M., libérable le 2 janvier 2015, s'est jeté dans l'Adour le 27 septembre, en laissant derrière lui une série d'enregistrements, sorte de testament.

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Publié le 09 décembre 2013 à 10h43, modifié le 11 décembre 2013 à 15h39

Temps de Lecture 4 min.

Il a glissé un magnétophone dans son blouson et est allé à ses derniers rendez-vous : son conseiller d'insertion et de probation, la responsable de sa formation professionnelle, son juge d'application des peines. Discussions banales. Olivier M., un peu embarrassé, un peu mal à l'aise, a répondu du bout des lèvres, assuré que son régime de semi-liberté se passait bien et mesuré en silence dans quelle impasse il se trouvait. Il suivait une formation de comptable le jour, rentrait en prison le soir. Il avait acheté un jeu de cartes pour tuer le temps. Et puis il a envoyé les enregistrements à son avocat, qui y a vu une sorte de testament, les derniers mots d'un condamné, des fichiers renommés avec des titres de chansons d'Amy Winehouse. Et il s'est jeté dans le port de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), où son corps a été repêché le 27 septembre.

Olivier M., 31 ans, avait été condamné en 2003 à dix-huit ans de réclusion criminelle pour avoir tué sa petite amie alors qu'il avait 19 ans. Il était libérable le 2 janvier 2015, et après douze ans de détention à Muret (Haute-Garonne), près de Toulouse, avait obtenu en avril de finir son temps à Bayonne, en régime de semi-liberté. La maison d'arrêt de Bayonne, « à la surpopulation inquiétante », indiquait un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a été construite en 1879 et s'appelle en réalité « la Villa chagrin ». Olivier M. a compris pourquoi.

Les trois premières semaines, il était fouillé par palpation. « Puis les choses ont évolué, a écrit le détenu, et j'ai été obligé de me déshabiller presque entièrement au moins trois fois par semaine alors que je passe tous les soirs sous le portique magnétique et mon sac est passé aux rayons X. Lundi dernier, le surveillant m'a demandé de baisser le caleçon, sans aucun motif valable. Je me suis rendu compte qu'ils fouillaient quasiment tous les jours ma cellule. » Son avocat, Me Mathieu Oudin, a obtenu en juillet devant le tribunal administratif la condamnation de l'administration pénitentiaire pour ces fouilles systématiques abusives. Evidemment, les surveillants ont regardé le détenu de travers et ont fait un rapport quand il a voulu rapporter deux paquets de café (le café, interdit depuis 1986, est pourtant à nouveau autorisé depuis janvier en détention).

« JE SOUHAITE SIMPLEMENT VOUS DIRE CECI : JE SUIS EN TRAIN DE CRAQUER »

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La semi-liberté est un sas utile pour préparer une réinsertion (1 842 personnes en bénéficiaient au 1er novembre), mais elle est « bien souvent laissée pour compte dans les maisons d'arrêt », avait estimé Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des prisons, dans un avis sévère de septembre 2012. Les locaux sont souvent anciens, surpeuplés (trois lits dans 9,14 m2, un placard et deux chaises pour trois), l'accès aux soins en prison n'est plus possible alors que le semi-libre n'a pas toujours de couverture sociale, les horaires de sortie ne coïncident pas toujours avec les exigences d'une profession. Les contraintes « sont, dans la pratique, très lourdes, avait prévenu Jean-Marie Delarue, ce pourquoi la semi-liberté ne peut durer de facto que pendant un temps limité ».

C'était bien l'avis d'Olivier M. « Si vous avez des clients qui veulent aller en semi-liberté pour un an et plus, je déconseille formellement », a-t-il écrit le 3 septembre à son avocat. Au début, ça allait. Il essayait de parler aux gens au restaurant, pour se réhabituer. Il était libre un week-end sur deux, il avait eu envie d'aller voir l'océan. « Ensuite, j'ai mangé dans une petite crêperie sympathique, a-t-il dit à sa conseillère d'insertion. S'il avait fait beau, j'aurais fait une petite sieste, j'aurais pris un café. » Mais il pleuvait des cordes, il est rentré en prison à 17 h 30.

Il était inquiet. Son stage de comptable était bientôt terminé, il ne voyait pas comment trouver un boulot, et son dernier rendez-vous avec la juge d'application des peines avait été remarquablement sec. Elle s'était dite « étonnée » de son placement en semi-liberté, décidé à Toulouse, surtout à la lecture du jugement du tribunal de l'application des peines qui décrivait le détenu comme « figé dans ses certitudes, autocentré, parfois hautain voire provocateur, incapable de faire preuve d'empathie à l'égard de la victime ». Il avait répondu mollement que ce n'était pas vrai. « J'ai toujours beaucoup de mal quand je suis face à un magistrat, à un directeur de prison, avait répondu Olivier M. On attend de moi une réponse toute faite. »

La juge n'avait pas été convaincue. Il lui a demandé s'il pourrait avoir, plus tard, un bracelet électronique. « Sur le plan juridique, c'est tout à fait envisageable, avait répondu la magistrate. Il faut attendre ce que donnent votre stage et votre embauche éventuelle. Il faut des garanties financières stables. Je ne suis pas sûre de vous lâcher un peu dans la nature si vous n'avez pas une activité quotidienne derrière. » Elle lui avait expliqué qu'il n'aurait pas de remise de peine supplémentaire, sauf « efforts exceptionnels ». « Je veux être claire, avait-elle dit. Vous avez déjà la chance d'avoir été libéré alors qu'il n'y a pas énormément d'efforts. Vous pouvez faire votre demande, elle sera examinée. Et vous pourrez faire appel. »

Il en était sorti abattu et voyait bien qu'à la fin de son stage, le 29 novembre, il serait réincarcéré. Le 2 septembre, il écrit à son avocat : « Je souhaite simplement vous dire ceci : je suis en train de craquer. » Le 22 septembre, il n'est pas rentré à la prison. Cinq jours plus tard, il s'est jeté dans l'Adour. Me Oudin l'a appris à Paris. Il en « a pleuré comme un con, sur le trottoir ».

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