Économie, des lions menés par des ânes

Dans un livre paru en 2003, l'économiste français Charles Gave avait anticipé le crash économique qui touche notre pays aujourd'hui.

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Photo d'illustration. © Sipa

Temps de lecture : 5 min

Il aurait pu être professeur d'économie ou haut fonctionnaire. Il s'est finalement contenté de réussir brillamment dans la gestion et la finance internationale. Charles Gave est un cas. Un vrai libéral qui a fait fortune hors de France, à Londres comme analyste financier, puis à Hong-Kong comme stratégiste de marché. Il s'est efforcé de comprendre les phénomènes sous-jacents, les plaques tectoniques de la mondialisation en étudiant de près les interconnexions entre la finance, l'économie et la politique. Pour mieux comprendre les batailles, on y voit toujours plus clair du haut de la colline que du bas de la tranchée.

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Évidemment, il a fait de belles études : DESS d'économie à Toulouse, Sciences Po à Paris et un MBA à New York. Il a surtout été proche, pendant une vingtaine d'années, de Milton Friedman, le célèbre Prix Nobel d'économie en 1976, fondateur de l'École de Chicago, critique pugnace de l'intervention étatique et des politiques keynésiennes, grand défenseur du libéralisme.

L'État et les technocrates sont toujours les gagnants

Charles Gave a attendu ses 60 ans pour publier son premier livre en 2003. Des lions menés par des ânes, essai sur le crash économique (à venir mais très évitable) de l'Euroland en général et de la France en particulier (Éd. Robert Laffont) s'est écoulé à 20 000 exemplaires. Un premier succès d'estime. Que nous dit-il dans son ouvrage ? Que les entrepreneurs français sont des "lions", que les fonctionnaires et une bonne partie de la classe politique sont des "ânes". Que nos "élites" ont passé leur temps à chercher des solutions à des problèmes qui n'existaient pas et fait beaucoup d'efforts pour éviter les vrais défis que la France avait affrontés et allait encore devoir affronter. Que les politiques économiques, monétaires et sociales de ces élites entravent toutes les libertés en freinant la croissance. Les seuls gagnants de cette dérive perpétuelle sont toujours les mêmes : l'État et ses technocrates, jamais l'emploi ni les profits, ces derniers étant la condition des emplois de demain.

Des lions menés par des ânes est original à plus d'un titre, avec cette approche pragmatique de l'économie qui consiste à utiliser des graphiques simples et explicites, faciles à comprendre, comme le ferait un Que sais-je ? intelligent. Ce livre possède également de l'humour, ce qui est rare dans ce genre d'exercice, avec des citations bien senties. "Si on paie ceux qui ne travaillent pas et si on impose ceux qui travaillent, il ne faut pas s'étonner si le chômage augmente" (Milton Friedman), ou encore : "Lorsque les riches s'appauvrissent, les pauvres crèvent de faim" (proverbe chinois).

Il faut toucher le fond pour remonter à la surface

Vers la fin de l'ouvrage, après une implacable démonstration sur les dérives du "tout-État", Charles Gave enfonce le clou : en France, "le citoyen ordinaire est abruti par une propagande (étatique) incessante" et "la police des pensées veille", cette "pensée unique" qui est "une invention typiquement française." En vérité, écrit-il, "la France n'est plus aujourd'hui en démocratie, mais un pays en coupe réglée sous le joug d'une écrasante technocratie". Et il ajoute : "Les technocrates au pouvoir et leur idéologie SONT le problème, et attendre d'eux la solution est hilarant. Cela revient à confier la clé de sa cave à vins à un sommelier alcoolique."

L'intérêt porté par le public à son livre a fini par convaincre Charles Gave de continuer ses recherches sur le "social-clientélisme" à la française et sur ceux "qui ont dépensé toute l'épargne accumulée par les générations précédentes, puis emprunté l'épargne future de leurs enfants et maintenant de leurs petits-enfants". Ainsi, vont naître par la suite plusieurs essais, dont Un libéral nommé Jésus (2005), Libéral, mais non coupable (2009) et L'État est mort, vive l'État ! (2010), ce dernier ouvrage sous-titré Pourquoi la faillite étatique qui s'annonce est une bonne nouvelle. Autrement dit : quand on est en train de se noyer dans la piscine, il faut d'abord toucher le fond, pour pouvoir, ensuite, mieux remonter à la surface... Aurait-on fini par atteindre, dix ans après Des lions menés par des ânes, le bas de cette échelle ?

Un pilote d'avion aux commandes d'une locomotive

Entre-temps, Charles Gave est entré au conseil de la SCOR, un réassureur français de classe mondiale, présidée par Denis Kessler. Il a aussi fondé un think tank libéral, l'Institut des libertés. En 2013, il fête à la City de Londres, avec des amis, son 70e anniversaire et ses 50 ans de recherches en économie depuis ses études supérieures à Toulouse. Et que constate-t-il ? Que les choses continuent de s'aggraver : "L'État n'est bon à créer ni richesse, ni liberté, ni emploi, ni croissance. Tout au plus des fonctionnaires." Si le taux de croissance de l'économie française ne cesse de baisser structurellement, c'est à cause de cette "évidence accablante : plus la part de l'État dans l'économie est forte, plus la croissance est faible. Plus la croissance est faible, plus le taux de chômage monte. Plus le taux de chômage monte, plus les dépenses de l'État augmentent. Et plus la croissance est faible... Un cercle vicieux dans toute son horreur."

Pire encore quand Tartuffe s'en mêle : "Comme Tartuffe, les socialistes se servent de la morale, qui est utilisée par eux comme un instrument de domination sur les autres et non comme quelque chose qui doit être vécu intérieurement." Résultat : "Cette hypocrisie qui autorise une captation illégitime des biens [des autres aboutit] toujours et partout à un appauvrissement général." Charles Gave va encore plus loin dans l'une de ses interventions récentes à l'Institut des libertés : "Einstein disait que la définition de la folie, c'était de faire la même chose toujours et encore, en espérant à chaque fois des résultats différents. Nous y sommes. Nous sommes gouvernés non par des incompétents mais par des fous."

Pour en revenir à nos "lions" et nos "ânes", le premier livre de Charles Gave, il se concluait sur cette phrase : "Attachez vos ceintures, la météo annonce de considérables trous d'air, le pilote de l'avion est fou et pense qu'il est aux commandes d'une locomotive." Prémonitoire, n'est-ce pas ?

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Commentaires (70)

  • On se bat toujours pour ce qui

    Dixit Jacques Rueff en 1949  ! Mais l'économie n'est pas une science exacte, car Laval et Rueff ont commis les mêmes âneries en 1934 en cassant l'économie française ! Si le SME fût longtemps un petit casse tête chinois pour nos ministres des finances, il n'en demeure pas moins que cette construction monétaire européenne a complètement échappé à nos politiciens au profit des technocrates non élu qui s'en sont accaparé au même titre que l'étalon or  ! Pourtant abandonné en 1971 (Bretton Woods) fort justement où les réserves de Fort Knox ne suffisaient plus à en assurer la parité laissant la suite à la planche à billet de la FED  ! Suivi 5ans plus tard par les accords monétaires mondiaux de la Jamaïque. La charrue(l'€) étant mise avant les bœufs (Europe politique fédérale) L'€ étant une monnaie unique c'est donc par construction une graves ânerie et une très grave erreur car vous ne pourrez jamais maintenir un taux de change fixe avec des pays ayant des niveaux de productivité complètement différents !
    C'est la raison pour laquelle j'ai toujours défendu l'Ecu une monnaie commune sans cotation donc sans possibilité de spéculation dans ce marché libre pour refléter au mieux la compétitivité des membres sans leur nuire. La BCE resterait en place mais changerait de casquette en assurant le contrôle des changes et au taux extérieur fixé. Garder l'euro en y ajoutant Francs€, etc. Rien de nouveau en soit puisque Keynes en 1944 à l’International Clearing Union avait envisagée la monnaie commune qui permettrait la mise en place de règles (dévaluation/réévaluation) ayant pour effet d’indexer les réalignements de change sur les soldes courants quand ils sont polarisés, simplement de rendre le droit à dévaluation pour les pays déficitaires qui évitent que seuls les salaires et l'emploi en fassent les frais.

    L'Euro tuera à coup sûr l'Europe si rien est fait  ! Souhaitons que la prochaine crise sera la bonne  !

  • hope for France

    Si le débat n'est pas libéralisme, contre économie étatisée, en France, quel est-il ?
    Quand un pays absorbe 57% de son PIB pour ses dépenses publiques, que ses prélèvements obligatoires absorbent 46, 5% de son PIB, quand ses transferts sociaux (34% du PIB) sont les plus élevés au monde, quand les agents publics y sont les plus nombreux d'Europe, par rapport à la population active, quand on a le nombre de collectivités locales le plus élevé d'Europe, quand la règlementation fiscale, sociale, environnementale y est particulièrement abondante et changeante, du jour au lendemain, quand on a des élus qui veulent assimiler la fraude fiscale à un crime comme le terrorisme, quand on a les taux d'imposition du travail, comme du capital, les plus élevés d'Europe, quand est on le seul pays à avoir un ISF, quand l'Etat décide de tout et a tous les droits, avec les pouvoirs conférés par une Constitution taillée pour un monarque, quand la plupart des lois votées portent atteinte aux libertés publiques dans l'indifférence générale, quand la marge des entreprises est plus basse qu'ailleurs, comment appelle-t-on ce type d'économie et de société ?
    Une société libérale ?

    Feu Jacques Marseille disait de la France que "c'est la petite Union Soviétique", n'avait-il pas raison ?

  • Thocle

    Le débat n'est pas : libéralisme vs planification centralisée, depuis la chute du Mur les choses sont claires et pas grand monde ne propose de revenir à une économie planifiée et centralisée, ni moi, ni même les socialo, faut regarder du côté du NPA pour ça. La question (que vous refusez) est : quelle est la part nécessaire de règles dans le fonctionnement d'une économie de marché. Vous allez me dire que l'idéal est : zéro, sinon ce n'est pas du libéralisme selon vous. C'est là où vous êtes (avec d'autres, hope for france... ) des idéologues aveugles. La moindre règle, heu pardon contrainte, est pour vous synonyme de marxisme. Il est d'ailleurs curieux de vous voir sans cesse utiliser ce vocabulaire que (presque) plus personne ne revendique, même à gauche. A chaque fois qu'il y a eu absences de règles cela a amené à de graves crises, regardez l'histoire. Et surtout, beaucoup d'économistes néo-libéraux ont, depuis 2008, réclamé des règles à l'échelle internationale en reconnaissant que leur absence a entraîné la crise.
    @hope for france : la résolution pragmatique n'est pas une chose si simple. A vous entendre nous n'aurions d'autres choix que de se mettre au niveau des pays émergents (salaires, protection sociale... ). Si leur concurrence est effectivement un problème votre vision est caricaturale, comme d'habitude. La solution viendra d'une meilleure organisation et harmonisation au niveau européen et d'une augmentation du niveau de vie dans les pays émergents, ce qui est en train de se passer (certes lentement). Enfin, votre catastrophisme est tout sauf pragmatique. Si la France connaît de réelles difficultés, elle possède encore des atouts : elle reste un des premiers pays pour les IDE, 6ème exportateur mondial... Je vous rappelle que vous aviez déjà annoncé la mise sous tutelle de la France par le FMI si Hollande était élu. Or, si nous allons connaître un médiocre 0. 1% de croissance en 2013, cela reste mieux que -0. 4% dans la zone euro, attention aux caricatures.