La zone euro n'a pas encore le courage d'affronter la vérité !

Il est temps de dire aux Européens qu'à court terme l'avenir est sombre, que la croissance n'est pas pour demain et que la solvabilité des États se dégrade.

Par Patrick Artus

Photo d'illustration.
Photo d'illustration. © AFP

Temps de lecture : 6 min

Dans de nombreux domaines, les autorités de la zone euro, les gouvernements de la zone euro n'osent pas, d'après nous, affronter la vérité et se réfugient derrière une vue anormalement optimiste. Nous donnons les exemples des politiques macroéconomiques de soutien à l'activité, de l'illusion de la solvabilité monétaire, des illusions aussi quant au rôle des politiques monétaires expansionnistes, de la réindustrialisation souhaitée des pays du sud de la zone euro.

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Commençons par la question de la compensation des effets négatifs des politiques structurelles. Les pays de la zone euro ont besoin de mettre en place des politiques de soutien de la croissance de long terme : réformes du marché du travail (facilitation des licenciements pour favoriser les embauches), réformes du marché des biens et services (réduction des rentes, ouverture des professions fermées), réformes des retraites, réformes fiscales (taxation de la consommation pour réduire la taxation du travail...). Toutes ces politiques dites "structurelles" ont comme point commun, si elles améliorent la perspective de croissance à long terme, de réduire la demande et l'activité à court terme (augmentation initiale du nombre de licenciements, réduction de l'emploi et de l'investissement initialement dans les secteurs où la concurrence est accrue, réduction de la consommation si la TVA est accrue).

Il n'y a pas de réformes structurelles indolores à court terme

On croit le plus souvent que cette perte d'activité à court terme due aux réformes structurelles peut être compensée par des politiques macroéconomiques stimulantes. Mais ce n'est pas le cas avec l'"usure" des politiques contracycliques qui ne peuvent plus être utilisées puisque les taux d'endettement sont déjà trop élevés (avec des taux d'endettement public supérieurs à une année de PIB en Espagne, en Italie, au Portugal, en Grèce, en Espagne, en Belgique), et que les taux d'intérêt sont déjà très faibles. Il faut donc accepter l'idée que le soutien de la croissance à long terme dans la zone euro entraînera initialement une perte de croissance : il n'y a pas de réformes structurelles indolores à court terme.

La seconde question est celle de l'illusion qui est maintenue de la solvabilité budgétaire des pays de la zone euro d'après les autorités européennes et les gouvernements, seule la Grèce aura finalement fait défaut. Or certains pays de la zone euro ont ou vont avoir des taux d'endettement public très élevés avec la taille élevée de leurs déficits publics et la faiblesse de leur croissance.Compte tenu du niveau d'endettement et de la croissance en valeur, il faudrait en 2013, pour stabiliser le taux d'endettement public par rapport au PIB, réduire le déficit public de : 8 points de PIB en Espagne, 3 points de PIB en Italie, 9 points de PIB au Portugal, 15 points de PIB en Grèce, 4 points de PIB en Irlande, ce qui montre l'ampleur du problème de solvabilité. La théorie officielle est que, mise à part la Grèce, tous ces pays sont solvables budgétairement et vont mener des réformes structurelles qui vont y accroître la croissance de long terme.

Le problème essentiel de la zone euro est la disparition des gains de productivité et du progrès technique

Mais les excédents budgétaires primaires nécessaires à long terme pour assurer la solvabilité budgétaire : plus de 4 points de PIB en Espagne et en Italie et de 8 points de PIB au Portugal, seront extrêmement difficiles sinon impossibles à assurer ; de plus, on ne voit pas, sauf en Espagne, d'amélioration de la productivité. En réalité, il nous semble qu'il faut s'inquiéter de la solvabilité budgétaire d'autres pays de la zone euro que la Grèce.

La troisième illusion est celle qui concerne le rôle des politiques monétaires expansionnistes, de la BCE. Beaucoup d'analystes suggèrent que la mise en place dans la zone euro d'une politique monétaire très expansionniste, comme au Japon, permettrait de sortir la zone euro de la crise. Il faut corriger cet espoir : le problème essentiel de la zone euro est la disparition des gains de productivité et du progrès technique, qui vient du faible nombre d'entreprises innovantes, de la contraction de l'industrie, et qui ne peut pas être corrigée par la politique monétaire. La productivité du travail stagne, la productivité de l'ensemble travail + capital recule. De plus, une très forte expansion monétaire peut avoir des effets indésirables qu'on commence à observer au Japon : apparition d'inflation anticipée et remontée des taux d'intérêt nominaux, bulles sur les prix des actifs (les cours boursiers ont remonté de 60 % au Japon).

Enfin, on peut douter de la véritable capacité à réindustrialiser les pays du Sud. On avance souvent l'espoir que l'Espagne, la Grèce, le Portugal pourront se réindustrialiser) grâce à l'amélioration de la compétitivité (aux "dévaluations internes"), aux politiques "structurelles" (voir plus haut). Pour l'instant, on observe au contraire une désindustrialisation accélérée : la production industrielle, depuis le début de 2008, a reculé de 27 % en Espagne, 30 % en Grèce, 26 % au Portugal.

Il ne faut pas oublier que la désindustrialisation de ces pays vient aussi de leur éloignement géographique, de l'insuffisante qualification de leur population (tableau 1), donc de leurs désavantages comparatifs par rapport aux pays du nord de la zone euro, pas seulement des problèmes de coûts ou de règles du marché du travail.

Tableau 1

Structure de la population active par niveau d'éducation



Allemagne



France



Espagne


Pourcentage, selon le niveau de formation

Inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire

Tertiaire

Inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire

Tertiaire

Inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire

Tertiaire

2000

18

58

23

37

41

22

62

16

23

2011

14

59

28

28

42

30

46

22

32




Italie



Grèce



Portugal


Pourcentage, selon le niveau de formation

Inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire

Tertiaire

Inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire

Tertiaire

Inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire

Tertiaire

2000

58

33

9

51

32

18

81

11

9

2011

44

41

15

33

41

26

65

18

17

Sources : Regards sur l'éducation OCDE, NATIXIS

La réindustrialisation sera donc extrêmement difficile dans ces pays. Ne faut-il pas dire enfin la vérité aux Européens ?

Il serait peut-être temps de leur dire : que les politiques structurelles qui augmentent la croissance de long terme vont déprimer encore plus l'activité à court terme ; que d'autres pays de la zone euro pourront avoir un problème de solvabilité budgétaire ; que les politiques monétaires même très expansionnistes ne corrigeront pas les causes fondamentales de la crise de la zone euro ; qu'il sera très difficile de réindustrialiser les pays du sud de la zone euro et de redresser leur économie. Plutôt que d'entretenir une sévère illusion.


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Commentaires (60)

  • Andy37

    Que démontre l'Espagne : un pays socialement démonté, du chômage à tout va, un endettement énorme, des désengagement de l'état sur la recherche, les aides...

    Image : des jeunes sans emploi : les forces du futur, des enfants dans les familles qui ne mangent plus qu'une fois par jour, en 2014 dans un pays riche de surcroit, des gens qui errent dans les rues pour trouver de quoi subsister, balance commerciale en berne... Et le reste.

    Bravo Me Merkel est venu saluer la bonne politique, l'Espagne a respecté ses engagements, Bruxelles est content.

    Nous devrions avoir honte, ce pays va devenir un pays pauvre, pour l'instant il a récupéré toute une partie des délocalisations de production de ses voisins européens lui créant des richesses artificielles. Ceci par dumping social, effet d'aspirateur que de créer du productivisme à pas cher.

    Dans tout cela l'Europe devrait avoir honte, de considérer que les masses populaires ne sont que des variables ajustables, de la matière première à faible coût.

    Quand les extrémistes parlent de nous, les pays riches, en dénonçant nos turpitudes, notre joug porté sur les populations... On va finir par y croire.

    Et certains de nos jeunes déçus de ce qu'on leur prépare ont franchit le pas.

    Dictature, despotisme à une époque, mais que faisons nous si ce n'est de la servitude financière, une dictature par l'économie, par l'argent, par des règles de gestion des peuples qui s'affranchissent de toute morale.

    Triste résultat de cette industrialisation à marche forcée où les repères ont été perdus

    C'est formidable la croissance, les investissements dans une économie concurrentielle qui fait totalement abstraction de la condition humaine.

    On va nous dicter encore cela jusqu'à l’écœurement, un XXI siècle qui sera celui de la misère humaine, de la décrépitude des peuples, du nivellement par le bas.

  • BonSens01

    C'est simple à comprendre, depuis 8 ans l'Euro n'est pas à sa vraie valeur, il devrait subir une dévaluation de 40% !

    Mais voilà, un Euro sur-gonflé artificiellement a profité à l'Allemagne seulement, alors que la France, l'Italie et l'Espagne, l'Irlande et la Grèce en on subit les contre-coups.

    Il manque 1500 milliards d'Euros pour couvrir les besoins à court terme des Pays en difficultés dans la Zone monétaire.

    Les Pays on sur-imprimé des billets 24 heures par jour depuis 8 ans... Accélérant la baisse réelle de la valeur de l'Euro.

    Le ballon va finir par éclater avec la Politique stupide de la Banque Centrale.

    Les dollars Nord Américains (US et Canadiens) représentent encore le meilleur refuge de stabilité pour des placements.

  • FrancoisCarmignola

    Ainsi donc 3 thèses
    - il n'y a pas de changement structurels indolores
    - beaucoup trop de pays européens ont des problèmes budgétaires graves
    - les stimulations économiques ne réindustrialisent pas

    1 réalité : les conceptions "économiques" de l'activité humaines ont des limites.
    La richesse ne se décrète pas et Mélanchon a tort : elle ne s'entretient pas par la dépense mais par l'épargne et par le travail.

    Une conception dévoyée par les économies de guerre du XXème siècle est que l'emprunt public est le seul moteur de la richesse : elle est fausse et on va le voir en grand.
    - oui, l'embauche illimitée de fonctionnaires inutiles va s'arrêter et les bénéficiaires corrompus (quelque soit les montants des pactes) vont souffrir, et ce ne sera que justice : comment être indulgent envers des retraités de 50 ans ?
    - oui que les effarants investissement publics décidés par des fonctionnaires sans projets de profits ruinent pour des années les pays qui s'y sont livré est inévitable. Que cela marque leur histoire et que cela les rende enfin soucieux de leur véritables intérêts et bien cela n'est que justice.
    - oui l'exclusif souci du tourisme et des "services" à la personne a contaminé des peuples entiers leur faisant oublier la nécessité du travail produisant des vrai biens ; que leur ruine leur fasse comprendre l'inanité de ces "choix de société" n'est que justice.

    Car l'Europe doit d'abord restaurer sa puissance, et si cela doit passer par la pauvreté de quelques générations de perdants, d'abord trompés par les illusions qu'ils ont cultivé eux même, et bien cela ne sera que justice.