L'auteur du “Trône de fer” : “On ne peut pas rendre la guerre propre et jolie”

George R.R. Martin sort un nouveau roman : “L'Œuf de dragon”. A cette occasion, il nous parle de ses livres, de son rapport à l'Histoire, de l'aventure “Game of thrones”…

Par Cécile Mury

Publié le 07 juillet 2014 à 11h59

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h16

A l'occasion de la sortie française de son roman L'Œuf de dragon, George R.R. Martin, l'auteur américain de la saga du Trône de fer (dont est tirée la série Game of Thrones), était de passage à Dijon. Nous avons pu le rencontrer. La saison 3 de la série sera diffusée sur Canal + avant la fin de l'année.

Tout le monde rêve de découvrir la suite du cycle du Trône de fer, Winds of Winter. Pouvez-vous nous donner un indice, sur sa date de sortie ou sur son intrigue ?
Je suis encore en train de l’écrire. Il y aura des batailles épiques, c’est tout ce que je peux vous dire ! Pas d’autres prédictions !

Vous changez complètement d’époque, avec L’Œuf de dragon (Ed. Pygmalion), votre dernier récit : l’action se situe dans le même univers, mais quatre-vingt-dix ans avant Le Trône de fer. Pourquoi ce choix ?
Ce n’est pas une initiative récente ! Plutôt un travail en parallèle. Je développe les aventures de Dunk, chevalier errant, et de L’Œuf, son écuyer, prince targaryen et futur roi, qui voyage incognito avec lui depuis une dizaine d’années. L’Œuf de dragon fait suite à plusieurs récits [Le Chevalier errant, L’Epée lige, aux éditions J'ai Lu, NDLR], et il y en aura certainement bien d’autres : j’ai l’intention de chroniquer toute la vie de ces personnages…

… jusqu’à rattraper l’époque du Trône de fer, pour composer une saga géante ?
Non, chaque cycle se suffit à lui-même. Les deux histoires, c’est vrai, se déroulent dans le même monde, la même civilisation, et certains événements peuvent influencer le futur. Mais c’est comme Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des anneaux chez Tolkien : les récits sont liés, mais indépendants. Et puis, j’aime bien, de temps en temps, m’échapper dans un contexte différent, avec une autre époque, d’autres héros : ça me distrait et ça me change des enjeux énormes du récit principal.

Ce « prélude » pourrait-il être adapté à l’écran, comme Le Trône de fer ?
Légalement, pour l’instant, c’est compliqué. HBO a acheté les droits du Trône de fer, pour la télévision et le cinéma. Même si elle ne détient pas ceux du prequel, la chaîne « possède » désormais aussi, littéralement, l’univers de mes romans : si on faisait Dunk et l’Œuf avec d’autres producteurs, il faudrait supprimer toutes les références, de Westeros aux Targaryens, ou au trône de fer lui-même. Pas impossible, mais presque. Donc, il faudrait que nous passions un autre accord. Peut-être pourra-t-on l’envisager lorsque la série actuelle sera terminée…

Culture, mœurs, héraldique, politique, et même gastronomie… Le monde féodal imaginaire du Trône de fer trahit à chaque page votre passion pour le Moyen-Age, et même une véritable érudition. L’avez-vous étudié ?
Je lis énormément, mais je ne prétends pas être historien ou expert : la plupart des ouvrages que je dévore sont sérieux, mais destinés au grand public. C’est une source d’inspiration considérable : mon pays principal, Westeros, ressemble en effet à l’Angleterre médiévale. Et j’ai imaginé mon conflit de succession entre grands seigneurs en pensant notamment à la Guerre des Deux-Roses, qui opposa les York et les Lancaster au XVe siècle…

Vos livres sont d’ailleurs presque plus proches du roman historique que du fantastique. Le merveilleux reste discret, à la marge, alors que les intrigues politiques et les batailles sont au premier plan…
Je suis un grand amateur de fictions historiques. j’ai été très influencé par exemple, par Maurice Druon et ses Rois maudits, les spasmes de la succession, des derniers Capétiens aux premiers Valois… Avec Le Trône de fer, je tente de combiner la démesure et l’émerveillement d’une fantasy à la Tolkien avec le réalisme, parfois même la brutalité, des romans « d’époque » de Druon à Thomas B. Costain ou Nigel Tranter. Et puis, bien sûr, il y a Shakespeare : sa série de pièces sur la Guerre des Deux-Roses m’a autant fasciné et influencé que le conflit en lui-même. Richard II, Henry IV et Henry V, Henri VI et Richard III constituent une véritable saga sur cette période. Historiquement très fantaisiste, mais extraordinaire.

Il y a une dizaine d’années, vous déclariez en interview que vos livres n’étaient pas faits pour être adaptés à la télévision. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
HBO ! La télévision américaine, jusqu’à une période récente, était dominée par quatre grandes chaînes – CBS, ABC, NBC et Fox – obsédées par les coupures publicitaires. Chaque épisode doit durer exactement 46 minutes, pour pouvoir ajouter et intégrer 14 minutes de pub. A cette contrainte s‘ajoute une censure assez stricte : pas trop de violence, pas trop de sexe, pour ne choquer personne. Or, la violence, le sexe, tout cela est au cœur de mon histoire. On ne pouvait pas l’édulcorer sans la saccager. Tout a changé avec l’essor récent des chaînes câblées comme HBO, Showtime et bien d’autres, où l’on dispose d’une vraie liberté de création. HBO est la meilleure de toutes : je savais, après avoir vu (et adoré) des séries comme Rome ou Les Soprano, que je pouvais travailler avec eux.

Depuis le tout début, vous êtes producteur exécutif de la série, et écrivez vous-même un épisode de temps à autres. Quel bilan faites-vous, après quatre saisons ?
Ma plus grande satisfaction, c’est qu’on a les meilleurs interprètes de toute la télévision ! Ils donnent magnifiquement vie à mes personnages, à mes mots : Peter Dinklage en Tyrion Lannister, Sean Bean en Ned Stark… Et les enfants ! Maisie Williams est par exemple une Arya extraordinaire. Tant d’acteurs magnifiques. Je pourrais vous les citer tous, encore et encore… J’ai cependant un vrai regret : nous n’avons pas assez de temps. Il y a dix épisodes, soit dix heures par saison. Je voudrais qu’on en ait douze ou treize, comme le autres shows de HBO. Nous n’aurions pas à couper autant. Nous pourrions garder certains personnages, certaines scènes qui ont dû être sacrifiées.

Que pensez-vous de la récente polémique sur l’excès de violence et de viols dans votre œuvre et dans la série ?
J’ai répondu dans mon blog. J’écris sur la guerre. C’est au centre de la saga. Vous ne verrez pas beaucoup de fictions qui se déroulent dans le bonheur et l'harmonie. Ce sont les périodes troublées, les déchirements, qui produisent du récit. En racontant la guerre – en particulier au Moyen-Age –, je pense qu’on a presque l’obligation éthique de la montrer telle qu’elle est vraiment. La série n’est rien, par exemple, comparée à la Guerre de cent ans, ses bandes de soudards et de « routiers » qui ravageaient les campagnes. On ne peut pas se détourner, rendre la guerre propre et jolie. La guerre est dérangeante, choquante. Sa représentation doit absolument l’être aussi. Si certains sont outrés, qu’il en soit ainsi. Au moins je suis honnête.

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