Au Japon comme sur les bords du Rhin. La capitulation de l’Eglise

Les réponses des évêques du Japon et de pays du centre de l’Europe au questionnaire du synode consacré à la famille montrent que les catholiques cèdent à la "pensée unique" dominante. Mais aussi que les pasteurs sont incapables de diriger

par Sandro Magister




ROME, le 6 juin 2014 – Jusqu’à présent, six conférences épiscopales ont rendu publiques les réponses aux 39 questions du questionnaire préparatoire au prochain synode des évêques, convoqué pour traiter le thème de la famille. Ce faisant, elles ont violé la consigne de confidentialité qu’elles avaient reçue.

La conférence des évêques d’Allemagne :

> Pastoral challenges to the family…

La conférence des évêques d’Autriche :

> Fragebogen zur Bischofssynode...

La conférence des évêques de Suisse :

> Consultation sur la pastorale de couple…

La conférence des évêques de Belgique :

> Rapport de synthèse...

La conférence des évêques de France :

> Les défis pastoraux de la famille...

La conférence des évêques du Japon :

> Response to the Secretariat...

Comme on peut le constater, cinq de ces conférences sur six appartiennent à cette zone géographique, située au centre de l’Europe, qui a été l’aile marchante des innovations du concile Vatican II mais qui, ultérieurement, a également été la plus touchée par le phénomène de la sécularisation.

Aujourd’hui, c’est principalement de cette zone que viennent les plus fortes pressions visant à obtenir un changement de la doctrine et de la pratique pastorales en matière de mariage, avec en particulier la demande de pouvoir donner la communion aux divorcés remariés.

On sait que le pape François n’apprécie pas cette insistance ciblée uniquement sur la question de la distribution de la communion aux divorcés remariés. C’est ce qu’il a dit aux journalistes qui lui posaient des questions pendant le voyage qui les ramenait de Terre Sainte à Rome. D’après lui, la question est "beaucoup, beaucoup plus vaste" et il est nécessaire de la traiter dans sa globalité. Elle concerne la famille en tant que telle. Or celle-ci est en crise partout, a-t-il affirmé : "Elle traverse une crise mondiale".

Les réponses des évêques japonais au questionnaire pré-synodal sont la confirmation éclatante de cette conviction du pape.

Mais il n’y a pas que cela. Ces réponses sont la confirmation du fait que l'éclipse subie par la conception chrétienne de la famille est le résultat non seulement de la "pensée unique" dominante, mais également de la capitulation de l’Église devant cette pensée.

Les évêques japonais le reconnaissent avec candeur :

"Au Japon, l’Église n’est pas obsédée par les questions sexuelles".

Dans cette affirmation et dans d’autres, on perçoit qu’ils reconnaissent avoir renoncé assez généralement, depuis des décennies, à proposer la nouveauté chrétienne sur ces sujets cruciaux que sont la vie et la famille.

Au Japon, les catholiques autochtones sont à peine 440 000, ce qui représente 0,35 % d’une population qui n’a jamais été christianisée dans son ensemble. Mais la description qu’en font les évêques locaux fait apparaître un style d’Église qui n’est pas du tout celui d’une "minorité créative" en terre de mission. C’est une Église qui est très repliée sur la gestion de l'existant. Elle est très proche du profil moyen de ce catholicisme résiduel, fortement sécularisé, qui est typique de la zone située au centre de l’Europe dont on a parlé plus haut.

De ce point de vue, les faits viennent également contredire la thèse, chère à Jorge Mario Bergoglio, selon laquelle, pendant le pontificat de Jean-Paul II et celui de Benoît XVI, l’Église a été exagérément préoccupée - pour ne pas dire "obsédée" - par les questions de l'avortement, du mariage homosexuel et des moyens de contraception.

En effet, à en juger par les réponses au questionnaire pré-synodal qui ont été rendues publiques jusqu’à présent, il n’apparaît pas du tout que, dans les pays du centre de l’Europe ou au Japon, "Evangelium vitæ" ou les "principes non négociables" aient été un axe majeur de la pastorale de l’Église pendant les dernières décennies, au niveau des évêques, des prêtres et des fidèles, ni que, en compensation, l’Église ait été marquée par un élan missionnaire concentré "sur l'essentiel" de la proposition évangélique.

Aucun de ces deux phénomènes ne s’est produit, comme le prouve l'anthologie ci-dessous, qui est tirée des réponses des évêques du Japon au questionnaire pré-synodal.

Le document des évêques japonais – signé par Peter Takeo Okada, archevêque de Tokyo et président de la conférence des évêques du pays – est d’autant plus intéressant qu’il est le résultat d’une consultation qui a été restreinte aux évêques et aux supérieurs majeurs des ordres religieux masculins et féminins.

Il constitue une sorte d’aveu explicite de capitulation, formulée par ceux-là mêmes qui ont pourtant pour mission de guider cette petite Église parmi les "païens" modernes.

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Morceaux choisis des :

RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE RELATIF À LA FAMILLE

Conférence des évêques catholiques du Japon



Il n’est pas rare que des personnes vivent ensemble sans être mariées… L’avortement et la contraception sont des pratiques courantes et beaucoup de fœtus sont éliminés avant la naissance… Ces phénomènes et ces tendances en matière de mariage existent également chez les catholiques…

Les gens, dans la majorité des cas, ne connaissent pas les enseignements [de la Bible] ni les documents [de l’Église à propos de la famille]. Dans la meilleure des hypothèses, ils en ont une connaissance fragmentaire, qui est le résultat de commentaires faits par des prêtres qui peuvent eux-mêmes ne pas être bien informés…

En général, les gens ne connaissent que les interdits relatifs à l’avortement, au contrôle artificiel des naissances, au divorce et au remariage. Ils sont plus influencés par les us et coutumes de la société que par ces enseignements, en particulier en ce qui concerne le contrôle des naissances… Même chez les catholiques, beaucoup de gens critiquent la position de l’Église à propos de méthodes de contraception telles que le préservatif… 

Pour ce qui est de l’éducation à la foi, nous devons reconnaître que, au niveau national, diocésain et paroissial, il n’existe pas de programmes pastoraux [pour la famille]. Il y a évidemment des activités consacrées à cette question qui sont organisées par des diocèses, des paroisses, des prêtres et des paroissiens, mais elles sont le résultat d’efforts individuels...

Par ailleurs de nombreux catholiques ne se distinguent pas de l’opinion commune en ce qui concerne le divorce et le remariage autorisés par la loi civile, le diagnostic prénatal, l’avortement, etc. et ils critiquent eux aussi l’Église pour son enseignement en matière de conception et de naissance des enfants… Beaucoup d’entre eux considèrent que les enseignements à propos du divorce et de la séparation sont des violations de la sagesse traditionnelle...

Au Japon, les mariages de couples non baptisés et non croyants qui recourent aux rites de l’Église font normalement partie de l’activité de l’Église depuis de nombreuses années, avec l’approbation du Saint-Siège. La pratique habituelle est de demander à ces personnes de suivre avant leur mariage une formation fondée sur la conception que l’Église a du mariage. De plus, il ne doit pas y avoir d’empêchements canoniques au mariage (tels que le divorce), même si certains pasteurs tendent en général à se montrer indulgents...

La préparation au mariage varie en général selon les différents contextes : dans certains endroits, il existe des programmes réguliers mais il y a beaucoup de situations où la préparation dépend de l’intérêt et de l’habileté du pasteur. Au Japon on a introduit la rencontre matrimoniale et la rencontre pour les fiancés, qui ont suscité un véritable intérêt pendant un certain temps mais qui paraissent avoir presque disparu aujourd’hui...

Dans une réponse au questionnaire, on lit : "Presque tous les couples dont j’ai célébré le mariage au cours de ces dernières années ont commencé par vivre ensemble pendant plusieurs mois avant de se marier. Aucun d’entre eux ne pensait que cela puisse être contraire aux enseignements de l’Église"...

Lorsque l’on élabore une orientation pastorale, il est peut-être important de se rappeler que la seule fois, dans les Évangiles, où Jésus rencontre une personne qui est clairement en situation de cohabitation hors mariage (la Samaritaine au puits), l’attention n’est pas focalisée sur cet aspect. Au contraire Jésus traite la femme avec beaucoup de respect et il fait d’elle une missionnaire...

Les divorcés remariés sont, pour la plupart d’entre eux, apparemment indifférents…  Ils décident eux-mêmes de recevoir les sacrements ou de ne pas les recevoir et ils se comportent en fonction de ce qu’ils ont décidé… Il y a des gens qui ne savent pas qu’ils ne peuvent pas recevoir la communion s’ils se sont remariés après avoir divorcé. Et, parmi ceux qui le savent, il y en a qui reçoivent la communion et certains prêtres ne disent rien bien qu’ils connaissent leur situation…

Il n’existe pas de ministère spécifique [pour les divorcés remariés]. Les pasteurs répondent de manière aussi pastorale que possible, mais il semble que le peuple de Dieu ait dépassé le besoin d’un tel ministère. Les gens prennent eux-mêmes des décisions et ils se comportent en fonction de ces décisions...

Au Japon, il n’existe pas de reconnaissance législative des unions de personnes de même sexe… L’état n’encourage pas ces mariages et l’Église n’a pas élaboré de prise de position particulière en ce qui concerne la possibilité d’un éventuel changement...

Aujourd’hui, ou bien les catholiques éprouvent de l’indifférence vis-à-vis de l’enseignement de l’Église [relatif à la régulation des naissances] ou bien ils ne le connaissent pas. Au Japon, beaucoup de catholiques n’ont jamais entendu parler de l’encyclique "Humanæ vitæ"… Il peut y avoir, dans les programmes de préparation au mariage, quelques mentions de l’enseignement de l’Église à propos du contrôle artificiel des naissances, mais dans ce cas la plupart des prêtres ne le soulignent pas d’une manière particulière… En général, la doctrine morale d’"Humanæ vitæ" n’est pas connue et elle n’est pas enseignée ; ceux qui la connaissent ne s’y conforment pas...

Au Japon, l’Église n’est pas obsédée par les questions sexuelles… En dehors de l’avortement, il semble qu’il n’y ait pas beaucoup de sentiments de culpabilité à propos de la contraception…

Même s’il est important de continuer à souligner l’importance de la famille et de la vie, l’Église doit aussi se présenter comme celle qui guérit, qui soutient et qui encourage les gens qui ne parviennent pas à atteindre l’idéal, plutôt que de se limiter à juger et à critiquer…

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Le document de préparation au synode des évêques consacré à la famille, avec le questionnaire qui y est joint :

> Document de préparation

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

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Pour d'autres informations et commentaires, voir le blog que tient Sandro Magister, uniquement en italien:

> SETTIMO CIELO



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6.6.2014 

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