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Un « soldat » en déroute

La chorégraphie tournoyante de Jean-Claude Gallotta ne fait que se superposer au théâtre et à la musique là où l'on attendait une œuvre d'art totale. Jean- Louis Fernandez

L'Opéra-Comique livre une interprétation fade et monotone du chef-d'œuvre de Stravinsky.

Sur le papier, l'idée était vraiment séduisante. Coupler L'Histoire du soldat de Stravinsky et L'Amour sorcier de Manuel de Falla dans sa version originale, c'était réunir deux des chefs-d'œuvre les plus originaux de la modernité naissante. Avec pour points communs d'avoir été composés pendant la Première Guerre mondiale et d'inventer de nouvelles formes de théâtre musical de tréteaux, optant pour un dépouillement et une crudité qui étaient une réponse à l'enflure et au pathos du postwagnérisme.

Las, la production de l'Opéra-Comique, précédemment créée à la MC2 de Grenoble, nous laisse largement sur notre faim. Dans L'Histoire du soldat, la mise en scène de Jacques Osinski opte pour une lenteur et une pénombre esthétisantes qui contredisent la merveilleuse simplicité du poème vaudois de Ramuz, rompant la dynamique musicale et basculant dans la monotonie. Le léger accent du récitant néerlandais Johan Leysen n'est pas gênant, au contraire de cette manie de moduler un texte qui devrait être débité recto tono, strictement en rythme: on vous accordera que le grand Jean Cocteau tombait déjà dans ce piège dans un célèbre enregistrement.

On soulignera l'investissement de l'inattendue Olivia Ruiz, chanteuse de variétés transformée en cantaora gitane doublée d'une danseuse

Les deux acteurs Alexandre Steiger et Arnaud Simon s'en tiennent à une neutralité assumée qui ne rend pas justice à la sève de cet irrésistible texte. L'alliance avec la danse paraissait devoir aller de soi, quand on se souvient que ce joyau fut créé par Ludmilla Pitoëff, mais la chorégraphie tournoyante de Jean-Claude Gallotta ne fait que se superposer au théâtre et à la musique là où l'on attendait une œuvre d'art totale.

Privilégiant le chant au texte parlé, L'Amour sorcier laisse la danse s'exprimer de manière plus éloquente, mais, là encore, le souci d'élégance passe à côté de l'extraordinaire âpreté de cette gitaneria étrange et fantastique, où la moiteur languide de la nuit espagnole rejoint l'esprit de la transe. On soulignera l'investissement de l'inattendue Olivia Ruiz, chanteuse de variétés transformée en cantaora gitane doublée d'une danseuse. Elle s'y coule avec une discipline et une humilité dignes d'admiration, non sans un côté appliqué: on sent trop qu'elle compte les mesures, et elle manque de la raucité gutturale qui fait toute la bizarrerie du cante jondo.

Nous prenant toujours par surprise dans ses choix de répertoire, Marc Minkowski, qui a enrichi pour l'occasion ses Musiciens du Louvre d'un magnifique violoniste, Roberto Gonzalez Monjas, n'est pas à son meilleur dans ces musiques qui osent la nudité. Face aux sept instruments de L'Histoire du soldat (avec un trompettiste virtuose, André Feydy), il manque de mordant et de tranchant dans l'acuité rythmique. Plus à l'aise dans L'Amour sorcier, il y recherche climats et sensualité, au risque de grossir les effets et de négliger les arêtes vives et le ciselage des alliages instrumentaux de cette musique arabo-hispanique.

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