Musique : Ibrahim Maalouf et Oxmo Puccino au pays des merveilles

VIDÉO. Une vraie pépite que cet album Au pays d'Alice que le trompettiste et le rappeur ont réalisé ensemble. Entretien.

Propos recueillis par Hassina Méchaï

Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf ont sorti ensemble un album :
Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf ont sorti ensemble un album : "Au pays d'Alice". © Denis Rouvre

Temps de lecture : 6 min

Ibrahim Maalouf et Oxmo Puccino revisitent donc ensemble Alice au pays des merveilles. L'un est volubile et réfléchi, l'autre aussi. L'un lance ses mots avec méticulosité et précision, l'autre avec emphase et poésie. L'un est alchimiste des notes, l'autre magicien des mots. Dans Au pays d'Alice, leurs talents combinés se déploient avec évidence. Ces 15 plages musicales offrent au rappeur franco-malien Oxmo Puccino l'occasion de revisiter avec brio l'oeuvre de Lewis Carroll. À la composition, le trompettiste de jazz franco-libanais Ibrahim Maalouf déroute parfois, enchante toujours. Les compositions rock, les cristaux angéliques du choeur des enfants de la Maîtrise de Radio France et la voix caverneuse du chanteur se fondent pour créer un univers inquiétant et irréel. Durant l'interview, les deux artistes s'écouteront l'un l'autre avec bienveillance, complétant leurs réponses dans une ronde bien ajustée, mais non mécanique. Ibrahim Maalouf laissera avec un plaisir évident se déployer la verve du rappeur. Oxmo Puccino ponctuera ses réponses d'étonnements admiratifs envers le jazzman, tout juste récipiendaire ce jour-là du grand prix de la SACEM. Le voyageur qui aura écouté cet album aux notes et mots parfaitement ajustés n'aura qu'une envie : suivre à nouveau le lapin blanc de leur créativité.

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Le Point Afrique : quelle a été la genèse du projet ?

Oxmo Puccino : La région Ile-de-France, dans le cadre de son festival, avait proposé à Ibrahim de faire un spectacle musical ayant pour thème les Merveilles. L'histoire d'Alice s'est vite imposée. Ibrahim m'a alors proposé d'écrire le livret. Nous nous apprécions mutuellement, ça m'a semblé évident, c'est comme si nous avions rendez-vous artistiquement.

Ibrahim Maalouf : Je rêvais d'écrire tout un album avec lui, mais comme ce n'est pas mon genre de proposer une collaboration, j'ai saisi cette occasion pour lui proposer d'écrire le livret, comme ça, sans en avoir l'air. On a travaillé un an pour ce concert ; une fois fini, on s'est pris dans les bras, et on voulait encore travailler ensemble. Et trois ans plus tard, l'album existe. Et là, déjà on pense à le mettre en scène.

Et qu'est-ce qui, dans vos univers artistiques respectifs, vous a encouragés à cette collaboration ?

Oxmo Puccino : J'étais un fan invétéré avant même que nous travaillions ensemble. Son cuivre particulier, sa texture, je les reconnais toujours. Ce que je fais avec mes mots est compréhensible, explicable et discutable. Mais ce qu'il fait avec sa trompette est inqualifiable, indescriptible. On ne peut pas photocopier une émotion. On peut avoir plein d'avis différents sur une même phrase, selon son bagage culturel, son héritage, mais une musique, parce qu'elle fait appel à l'indicible et à l'émotion, rassemble tout le monde.

Ibrahim Maalouf : On a tous deux une forme de liberté, j'allais presque dire une forme de nonchalance, une forme de créativité décomplexée qui s'échappe des codes. Je lui fais confiance parce que je sais qu'il est comme moi dans sa façon d'envisager son travail.

Pourquoi Alice ?

Ibrahim Maalouf : Donner son interprétation d'une oeuvre aussi prestigieuse, au début, c'est un peu intimidant. Mais je me dis que ma musique aura été mêlée un temps à ce morceau d'éternité et ça me fait du bien. Ensuite, je trouve que Lewis Carroll, sans son oeuvre, a aussi ce même regard que je cherche chez tout artiste : un plasticage des codes, une inventivité rare. C'est cette liberté où tout est possible que je cherche musicalement. Je peux aller dans toutes les directions, personne ne pourra me dire : "ça n'a pas de sens", puisque le sens sera ce que j'aurai décidé. Oxmo dit parfois que la réalité dépasse la fiction ; sa formule me plaît. Quand on transpose la réalité de manière artistique, elle peut être beaucoup plus fantastique que la plus fantasque des fictions.

Comment avez-vous travaillé ?

Ibrahim Maalouf : Cela a été assez magique, je crois. À l'époque, chacun était dans ses propres projets personnels, on ne pouvait donc pas coordonner nos créations au fur et à mesure. On a travaillé séparément avec pour seul viatique, la confiance. Je voulais vraiment qu'Oxmo s'approprie l'histoire comme il en avait envie. Jamais je ne l'ai appelé pour savoir ce qu'il voulait faire, comment il allait réinventer cette histoire. Je savais que ce serait bien. On obtient le meilleur des gens quand on les laisse être libres. Et le résultat est là : je peux dire qu'on est vraiment fiers de cet album, je pense que c'est un des plus beaux que j'ai pu composer.

Oxmo Puccino : Je préfère le mot "légèreté" pour qualifier notre façon de travailler, c'est très beau, j'aime bien... Cela a fonctionné parce que la légèreté, tu ne la simules pas. Je pense que beaucoup de choses n'aboutissent pas parce qu'on y réfléchit trop. C'est comme un saut dans le vide, on y va parce qu'on sait qu'on sera porté.

Réinventer une histoire aussi connue tout en ayant une forme de liberté artistique, ça a dû être une gageure ?

Oxmo Puccino : Je suis parti d'une sorte de scénario calqué sur la trame de l'histoire originelle. J'ai imaginé Alice comme une sorte de voyageuse silencieuse qui se laisse porter par les événements. Mais j'ai réinterprété quelques personnages, le tempérament de la reine de coeur par exemple, le lapin, les cartes, j'ai changé les tenants et aboutissants de l'histoire.

Votre musique, Ibrahim, a quelque chose de cinématographique et fait naître des images...

Oui, je fonctionne beaucoup avec des images, parce que pour moi musique et images vont de pair. Quand je compose, une musique raconte toujours une histoire. Ce n'est jamais le son pour le son. Dans tous les cas, le cinéma est là. Mais je ne me suis pas réfugié là non plus ; je voulais vraiment partir dans tous les sens. Je voulais désarçonner les gens par la musique, être toujours là où ils ne s'attendaient pas à me trouver. Je milite beaucoup pour l'improvisation et j'aime l'idée du pas de côté...