« Originaire du Rwanda où elle a passé son enfance », indique sobrement la biographie de Dorothée Munyaneza sur le programme du Monfort théâtre à Paris. Dans ces neuf mots, beaucoup de souvenirs, douloureux, bien sûr, mais joyeux, aussi.

Comme ces samedis soirs passés autour de la radio à écouter l’émission « Samedi détente », à chanter et danser au rythme de la musique. Ces moments à jouer entre amis dans la rue, à mimer la guerre pour rire. « Les enfants, vos jeux sont de mauvais présages », leur disait-on.

Cette fille de pasteur a voulu rendre hommage aux disparus du génocide de 1994, restituer bien hauts les noms des proches massacrés parce que le mot « Tutsi » était marqué sur leurs papiers. En cent jours, 800 000 personnes ont péri selon les estimations de l’ONU. « C’est la première fois dans l’histoire qu’autant de gens sont morts en si peu de temps. »

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Vingt ans plus tard…

À l’époque, Dorothée Munyaneza n’a pas encore douze ans. Vingt ans plus tard, interprète de plusieurs aventures musicales et d’un album solo, elle entreprend de partager cette matière intime et historique : « On a tellement peu parlé de ce génocide. Et quand on en parlait, on en parlait mal ».

Comment évoquer au plus près, au plus vrai, ces jours terribles sans s’effondrer ? C’est à Strasbourg, au Théâtre Pôle Sud, que l’artiste en résidence écrit le texte de « Samedi détente ».

Cette histoire, il lui appartient de la raconter. Elle fut marquée par l’éparpillement de sa famille, des départs précipités, des moments suspendus et des attaques, des corps sur les trottoirs bientôt lavés à grandes eaux.

Des chants puissants et magnifiques

Ce texte digne et terrifiant est prononcé avec la résolution d’un long accouchement. Parfois, une image, une phrase ou un cri hantant sa mémoire transforme ses paroles en chants puissants, magnifiques. Ses bras se tordent dans son dos, son corps danse la joie pour dire la douleur.

Sur le plateau, peu de choses : une bâche, toute une garde-robe à porter sur soi, une machette, un poste de radio d’où s’échappent des bruits de tirs, des extraits d’interviews. Dorothée Munyaneza s’est entourée du compositeur français Alain Mahé et de la danseuse ivoirienne Nadia Beugré, qui traduit par ses interventions les corps disparus ou survivants, et les corps lointains de ceux qui « tergiversent ».

Pas d’accusations, mais des citations, des souvenirs, des faits accablants pour la communauté internationale, la France, l’Église catholique, au moment où une enfant en fuite fixait des satellites dans le ciel nocturne. « J’espérais que tout le monde nous voie. »

Jusqu’à demain au Monfort théâtre, 106 rue Brancion, Paris 15e . Rens. : 01.56.08.33.88 et www.lemonfort.fr

Tournée jusqu’en juin : anahi-spectacle-vivant.fr/calendrier