“Je ne me suis jamais sentie aussi proche de Paul que depuis que nous nous sommes quittés”, lance Charlotte 35 ans. Pour la trentenaire, le divorce a permis à ses ex de devenir plus complices, et plus légers aussi, débarrassés de la peur de faire foirer leur couple. “Nous ne sommes plus ensemble mais nous nous aimons toujours, et sans doute pour de meilleures raisons”, ajoute-t-elle.

Ces quelques mots de Charlotte résument bien les choses : une rupture amoureuse n’est pas toujours synonyme de la fin des sentiments. Parfois, c’est une métamorphose. Les ex débutent alors une relation plus sereine, plus adaptée que celle du couple. Avec des sentiments nouveaux et inclassables : complicité fraternelle pour les uns, amitié amoureuse pour d’autres, solidarité parentale, liens charnels libérés du quotidien…

Partenaires de vie

“Il y a des partenaires de vie qui le restent, même s’il ne s’agit plus de la même vie”, explique la psychanalyste Sophie Cadalen*. Une séparation peut être riche, à condition que l’histoire ait été respectable, car on se sépare souvent comme on s’est aimés. Aussi, il faut parvenir à être au clair avec soi-même. “Beaucoup de ruptures sont encore polluées par le fait qu’on reste aliéné à l’autre, qu’on le considère comme fautif de l’échec de la relation”, ajoute la spécialiste. “Mais se séparer est moins compliqué qu’avant, et même si on n’est plus ensemble dans le couple, on fait toujours couple”, explique-t-elle.

L’ex, quand il n’est plus considéré comme un ennemi, permet de relier le passé au présent. Il devient un repère, le témoin de notre existence. “Et à une époque où on peut se permettre de cumuler plusieurs vies, ce “compagnonnage” prend tout son sens… Quitte à déranger l’entourage, qui juge souvent suspects ces duos insolites”, renchérit Sophie Cadalen.

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Une séparation peut être riche, à condition que l’histoire ait été respectable, car on se sépare souvent comme on s’est aimés

“On est encore trop souvent dans un raisonnement binaire, commente-t-elle. Il faut en sortir. On reproche à ces binômes de remettre en question l’idée qu’on se fait du couple, on ne peut pas les inscrire dans un tableau. Cet aspect simplificateur de la norme rassure, on voudrait conserver quelques petites certitudes.” Mais rien de moins certain que le couple. Rien de moins figé et réductible à une norme. Comme le prouvent par exemple ces trois femmes qui ont fait de leur ex un partenaire à part entière de leur présent et qui ont accepter de partager leur histoire.

Une maîtresse platonique

La première, Marion est séparée de Vincent depuis 10 ans déjà. A 45 ans, elle revient sur cette rupture. “Avec Vincent, ce n’est pas parce qu’on ne s’aimait plus qu’on s’est séparés. Il a toujours su que je ne voulais pas d’enfant, et au début lui-même ne tenait pas à devenir père. Mais c’est en perdant son frère dans un accident de voiture qu’il s’est mis à ressentir le besoin viscéral d’assurer la lignée de la famille”, raconte-t-elle. Mais pour elle, hors de question de se trahir en devenant mère alors qu’elle n’en avait pas envie. Elle a aussitôt compris que leur histoire était condamnée et après six ans de vie commune, ils ont décidé de mettre fin à leur couple.

Notre correspondance est aujourd’hui notre jardin secret. Je suis une sorte de maîtresse platonique. Nous ne sommes pas un couple mais un binôme.

Même si elle était sûre de ce choix, elle ne peut s’empêcher de culpabiliser de ne pas pouvoir combler l’homme qu’elle aimait. Finalement, Vincent se vite recase, avec une amie qui avait toujours été plus ou moins amoureuse de lui. “Je suis allée à leur mariage avec le sentiment d’assister à la vie que je nous avais refusée. Leur fils est né presque neuf mois plus tard, Vincent était fou de joie. Je savais qu’il réalisait son rêve, et j’étais heureuse pour lui”, continue Marion, qui de son côté, a du mal à s’autoriser à profiter de cette nouvelle liberté.

Et puis un jour, Vincent lui écrit. Un mail bref mais si tendre, qui aide la jeune femme à se réconcilier avec elle-même. “Notre correspondance est aujourd’hui notre jardin secret. Je suis une sorte de maîtresse platonique. Nous ne sommes pas un couple mais un binôme. Je suis devenue le témoin de sa vie. C’est à moi qu’il confie ses fragilités, il sait qu’entre nous il y a une liberté de parole absolue”, confie-t-elle en souriant. Dix ans après cette rupture, Marion ne regrette rien. Elle voyage, elle peint. “Je vis des histoires plus ou moins réussies, mais Vincent reste mon grand amour. Je suis fière d’avoir connu ça, quand d’autres passeront à côté de l’amour toute leur existence… Notre lien a survécu à la rupture, plus rien ne peut désormais nous atteindre”, conclut-elle.

Un couple parental

Aude, 39 ans et mère de deux enfants, s’est séparée de Bruno il y a sept ans déjà. “Bruno, c’est mon alter ego. On se connaît par cœur, il termine mes phrases et est le premier à anticiper mes coups de blues. Lorsque je l’ai quitté, il y a sept ans, j’ai dû endosser le rôle de la méchante, celle qui brisait ce couple que tout le monde nous enviait”, résume-t-elle, un peu pensive. Ce qui a poussé la trentenaire à la rupture à l’époque, c’est la volonté de se protéger et de protéger celui qu’elle aimait tant. “On était devenus incompatibles”, lache-t-elle. “Nous ne regardions plus l’avenir avec les mêmes yeux. Lui voulait tout planifier, épargner, nous construisant un cocon balisé et sécurisé à l’excès. Et moi, j’étouffais. J’aimais toujours cet homme, mais j’ai compris avant lui que nous ne nous faisions plus du bien”.

Et puis Bruno finit par se mettre en ménage avec Sophie, qui comprend vite la place d’Aude dans la vie de son compagnon. “Elle a été formidable : elle a laissé Bruno devenir « l’ex idéal », celui qui venait me consoler lorsque j’avais un chagrin d’amour, le seul qui réussissait à m’arracher un sourire dans mes moments de déprime”, poursuit la trentenaire. Des années plus tard, l’ex-couple forme un couple parental. Certains proches trouvent leur lien presque malsain, d’autres pensent qu’ils finiront par se remettre ensemble. “Je crois que notre lien dérange car on s’entend mieux que beaucoup de couples”, s’amuse Aude. La rupture n’a pas tué leur amour, bien au contraire. Elle lui a permis de se transformer et, surtout, de ne pas s’abîmer. “Bruno est la famille que je me suis choisie. C’est une chance inestimable de l’avoir dans ma vie”, conclut-elle.

Un lien à part et pur

A 37 ans, Marie est maman d’un enfant. Elle s’est séparée de Diego, le père de son fils, depuis 5 ans, et pourtant il fait toujours partie de sa vie. “Je me dis souvent que Diego c’est l’ex de ma vie.  Il est là, toujours dans mes pensées, même lorsqu’il est absent. On a essayé mille fois de vivre ensemble et de faire durer cette électricité qui passe entre nous”, raconte-t-elle. Mais rien n’y fait, et les disputes l’emportent sur leurs sentiments. “On s’attire, on s’aimante, on s’adore mais on se fait du mal. Il a fallu beaucoup de souffrances et de temps gaspillé à se déchirer avant d’en arriver à cette conclusion. Et de cesser de s’entêter à former un couple comme les autres”, poursuit-elle.

On dit que les contraires s’attirent, c’est sans doute un peu ce qui pourrait résumer cette histoire d’amour. Mais il ne s’agit pas juste d’une passion destructrice. Car il y a aussi beaucoup d’humour et de tendresse entre eux. “On s’estime et on se respecte, on ressent une vraie bienveillance réciproque. Mais, au quotidien, ça ne fonctionne pas”, lance Marie.

“Aujourd’hui, je sais que Diego et moi ne sommes pas faits l’un pour l’autre, mais cette incompatibilité n’empêche pas les sentiments”, continue-t-elle. “C’est un lien à part et très pur, qui ne nous interdit rien. Je suis heureuse dans ma vie, j’aime mon mari et mon fils, je ne me sens ni frustrée ni dans le fantasme d’un amour passé. Diego réapparaît par intermittence. Un SMS s’affiche, qui sonne l’heure des retrouvailles. [...] C’est une sorte de parenthèse secrète et sans conséquences, un instant de bonheur volé, rien qu’à nous, hors du temps, hors de tout”, conclut-elle.

(*) Auteure d’« Inventer son couple,Préserver le désir au quotidien », éd. Eyrolles.

Article et témoignages publiés initialement dans le magazine Marie Claire, mai 2012 - réédité en mai 2019