La pêche de grand fond : la fin d’une histoire ?

Océans

Pendant quelques décennies, une poignée de chalutiers, principalement français et espagnols, ont ravagé les grandes profondeurs de l’océan Atlantique-Est, allant chercher le poisson jusqu’à 1000 mètres de fond. Après des années de blocage politique et de lobbying de l’industrie, l’Union européenne a fini par adopté en 2016 un règlement limitant la pêche profonde à 800 mètres.

Qu’est-ce que la pêche profonde ?

Comme son nom l’indique, la pêche de grand fond vise à pêcher des poissons qui vivent à proximité des fonds marins, à de très grandes profondeurs. Or, à ces profondeurs, il n’y a plus de lumière. Les écosystèmes qui s’y développent sont très particuliers, fragiles et encore largement méconnus. Ce sont par exemple des espèces telles que l’empereur, le flétan, le sabre noir ou certains requins. Le plus souvent, elles sont pêchées au chalut de fond. Le chalut est un filet tracté par un navire de pêche qu’on appelle le chalutier. Le filet est lourdement lesté de plaques de métal, suit au plus près le fond océanique et racle tout sur son passage sans distinction aucune. Le plus grand de ces filets est aussi large qu’un terrain de football et aussi haut d’un immeuble de trois étages !

Quelles sont les conséquences de la pêche profonde ?

Les espèces ciblées par la pêche de grand fond sont extrêmement vulnérables. Il a suffi de 20 ans pour épuiser le grenadier de roche en Atlantique. La biologie des profondeurs est si lente qu’elle ne peut supporter aucune pression de pêche intensive.

Par ailleurs, les filets utilisés par les chalutiers ne ramassent pas que les espèces commerciales ciblées, mais pleins d’autres espèces qui le plus souvent ne sont pas valorisées. C’est ce que l’on appelle les prises accessoires. Elles représentent en moyenne 30 à 40 % du contenu des filets. Parfois, beaucoup plus ! Ces prises sont rejetées à la mer aussitôt pêchées, mortes ou mourantes, ce qui épuise les stocks de certaines espèces qui ne sont même pas celles qu’on est venu pêcher. La nouvelle Politique commune de la pêche (PCP) a interdit le rejet des prises accessoires mais bien trop tard.

En plus de ramasser trop et sans faire de détails, ces filets épuisent les fonds marins. Ils anéantissent les habitats, les récifs éponges et les colonies coralliennes qui ont mis des siècles à se développer. Ils aplanissent le sol et ne laissent que du sable mis à nu après leur passage, des débris rocailleux et de coraux.

Le chalutage en profondeur, même si c’est une activité de niche représentant des volumes assez faibles, met en danger nos océans en détruisant des écosystèmes remarquables et la biodiversité marine qui y vit. C’est d’autant plus grave que les espèces pêchées ont souvent besoin de nombreuses années avant de devenir adulte et de pouvoir se reproduire. Par exemple, l’empereur vit 150 ans mais ne se reproduit qu’à partir de l’âge de 20 ans. En conséquence, des quotas très stricts ont été adoptés à la fin des années 1990 car les niveaux de population avaient atteint un stade alarmant.

Par définition la pêche de grand fond n’est pas une pêche durable. Ce n’est pas une pêche qui répond à nos besoins sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elle est le fait d’une poignée de pays qui possèdent les moyens techniques de pratiquer une pêche lointaine, déconnectée d’un territoire donné et qui a la capacité de se déplacer dès qu’une ressource s’épuise. Outre le fait que le chalutage de grand fond soit particulièrement gourmand en carburant, c’est également l’une des pêche qui emploie le moins de pêcheurs par tonne de poisson débarquée.

Greenpeace a fait campagne contre le chalutage profond dès le début des années 2000, sur les zones de pêche mais aussi au niveau politique. En France, le principal acteur, l’armateur Scapêche, propriété d’Intermarché, a été la cible de nos campagnes et de celles de l’association Bloom. En 2015, Intermarché a annoncé que sa flotte allait progressivement sortir du chalutage profond et qu’il se limitait d’ores et déjà à 800 mètres. C’est une belle victoire. Cette pêche qui n’existait que grâce à des subventions obtenues pendant des décennies était aussi un non sens économique. Il est temps de tourner la page et de se concentrer sur la mise en place d’une pêche durable et artisanale.