Hungary v Commission (Judgment) French Text [2018] EUECJ T-554/15 (25 April 2018)

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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/T55415.html
Cite as: ECLI:EU:T:2018:220, [2018] EUECJ T-554/15, EU:T:2018:220

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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

25 avril 2018 (*)

« Aides d’État – Aides accordées en vertu de la loi hongroise no XCIV de 2014 sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac – Aides résultant d’une modification apportée en 2014 à la loi hongroise de 2008 sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci – Taxes avec des taux progressifs sur le chiffre d’affaires annuel – Décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Adoption simultanée d’une injonction de suspension – Recours en annulation – Caractère détachable de l’injonction de suspension – Intérêt à agir – Recevabilité – Obligation de motivation – Proportionnalité – Égalité de traitement – Droits de la défense – Principe de coopération loyale – Article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 »

Dans les affaires jointes T‑554/15 et T‑555/15,

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, P.‑J. Loewenthal et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle, d’une part, de la décision C(2015) 4805 final de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA.41187 (2015/NN) – Hongrie – Contribution santé des entreprises du secteur du tabac (JO 2015, C 277, p. 24), et, d’autre part, de la décision C(2015) 4808 final de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA.40018 (2015/C) (ex 2014/NN) – Modification de 2014 de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire en Hongrie (JO 2015, C 277, p. 12),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteur), juges,

greffier : Mme N. Schall, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 octobre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        En décembre 2014, le Parlement hongrois a, d’une part, adopté la loi no XCIV de 2014 sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac et, d’autre part, introduit des modifications à la loi no XLVI de 2008 sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci. Ces actes sont entrés en vigueur, respectivement, le 1er février 2015 et le 1er janvier 2015.

2        La loi no XCIV de 2014 sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac a instauré une nouvelle taxe, applicable aux entrepositaires, importateurs ou négociants agréés de produits du tabac tirant au moins 50 % de leur chiffre d’affaires annuel total de la production ou du commerce de ces produits (ci-après la « contribution santé »). La contribution santé devait être perçue sur le chiffre d’affaires annuel des assujettis selon un taux progressif se présentant comme suit :

–        0 % sur la partie du chiffre d’affaires ne dépassant pas 30 millions de forints hongrois (HUF) (environ 96 500 euros) ;

–        0,2 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 30 millions de HUF et ne dépassant pas 30 milliards de HUF (environ 96,5 millions d’euros) ;

–        2,5 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 30 milliards de HUF et ne dépassant pas 60 milliards de HUF (environ 193 millions d’euros) ;

–        4,5 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 60 milliards de HUF.

3        La loi susmentionnée prévoyait en outre une réduction de la dette fiscale résultant de la contribution santé dans une proportion pouvant aller jusqu’à 80 % de la contribution à payer, si l’entreprise réalisait des investissements admissibles dans des actifs corporels (ci-après la « réduction de la contribution santé en cas d’investissements »).

4        La modification de la loi no XLVI sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci visait, pour sa part, à remanier la structure de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire applicable, en vertu de ladite loi, à tous les opérateurs de la chaîne alimentaire. Avant cette modification, les opérateurs de la chaîne alimentaire devaient s’acquitter de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire calculée selon un taux forfaitaire unique de 0,1 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé l’année précédente. La modification en cause consistait en l’introduction d’un taux progressif de cette redevance applicable spécifiquement aux magasins commercialisant les biens de consommation courante (ci-après la « redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée »). Ce nouveau taux progressif se présentait comme suit :

–        0 % sur la partie du chiffre d’affaires ne dépassant pas 500 millions de HUF (environ 1,6 million d’euros) ;

–        0,1 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 500 millions de HUF et ne dépassant pas 50 milliards de HUF (environ 160,6 millions d’euros) ;

–        1 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 50 milliards de HUF et ne dépassant pas 100 milliards de HUF (environ 321,2 millions d’euros) ;

–        2 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 100 milliards de HUF et ne dépassant pas 150 milliards de HUF (environ 481,8 millions d’euros) ; 

–        3 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 150 milliards de HUF et ne dépassant pas 200 milliards de HUF (environ 642,4 millions d’euros) ;

–        4 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 200 milliards de HUF et ne dépassant pas 250 milliards de HUF (environ 803 millions d’euros) ; 

–        5 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 250 milliards de HUF et ne dépassant pas 300 milliards de HUF (environ 963,5 millions d’euros) ;

–        6 % sur la partie du chiffre d’affaires dépassant 300 milliards de HUF.

5        En décembre 2014, la Commission européenne a pris connaissance de la modification de la loi n° XLVI sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci. En mars 2015, elle a reçu une plainte relative à cette modification. À la même époque, la Commission a reçu une plainte relative à l’introduction de la contribution santé. Par lettres, respectivement, du 17 mars 2015 et du 13 avril 2015 (ci-après les « lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015 »), la Commission a transmis ces plaintes aux autorités hongroises, en leur demandant de présenter leurs commentaires et en les invitant à fournir des informations. Dans ces lettres, formulées en termes substantiellement similaires, la Commission a informé les autorités hongroises que, selon elle, la différenciation entre les entreprises se trouvant dans une situation comparable, découlant, d’une part, du taux progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée et, d’autre part, du taux progressif de la contribution santé, ainsi que de la réduction de la contribution santé en cas d’investissements, pouvait impliquer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Dans chacune de ces lettres, la Commission a évoqué la possibilité d’adresser à la Hongrie une injonction de suspension, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1) et l’a invitée à présenter ses observations sur l’application éventuelle d’une telle injonction dans le délai de 20 jours ouvrables.

6        Les autorités hongroises ont répondu, respectivement, par lettres du 16 avril et du 12 mai 2015.

7        Le 15 juillet 2015, la Commission a adopté, d’une part, la décision C(2015) 4805 final, relative à l’aide d’État SA.41187 (2015/NN) – Hongrie – Contribution santé des entreprises du secteur du tabac (JO 2015, C 277, p. 24, ci-après la « décision relative à la contribution santé »), et, d’autre part, la décision C(2015) 4808 final, relative à l’aide d’État SA.40018 (2015/C) (ex 2014/NN) – Modification de 2014 de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire en Hongrie (JO 2015, C 277, p. 12, ci-après la « décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire ») (ci-après, prises ensemble, les « décisions litigieuses »).

8        En premier lieu, par les décisions litigieuses, la Commission a considéré que le taux d’imposition progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée, d’une part, et le taux d’imposition progressif de la contribution santé ainsi que la réduction de la contribution santé en cas d’investissements, d’autre part (ci-après les « mesures nationales en cause »), comportaient un élément d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et a exprimé ses doutes quant à la compatibilité de ces aides d’État avec le marché intérieur. Eu égard à ces doutes, la Commission a, par les décisions litigieuses, ouvert deux procédures formelles d’examen en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et a invité la Hongrie, ainsi que les parties intéressées, à présenter leurs observations.

9        En second lieu, en ce qui concerne l’application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a considéré que les mesures nationales en cause constituaient des aides illégales, dès lors qu’elles ne lui avaient pas été notifiées et que, au moment de l’adoption des décisions litigieuses, ces mesures étaient toujours appliquées. La Commission a relevé que les mesures susmentionnées pouvaient substantiellement influencer la concurrence sur le marché et, compte tenu de leur application continue, elle a adopté des injonctions de suspension, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, enjoignant à la Hongrie de suspendre, d’une part, l’application du taux d’imposition progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée et, d’autre part, l’application du taux d’imposition progressif de la contribution santé, ainsi que de la réduction de la contribution santé en cas d’investissements, jusqu’à ce que la Commission prenne la décision relative à la compatibilité de ces mesures avec le marché intérieur (ci-après les « injonctions attaquées »).

10      Le 4 juillet 2016, la Commission a adopté deux décisions mettant fin aux procédures formelles d’examen ouvertes par les décisions litigieuses, à savoir la décision (UE) 2016/1846 concernant la mesure SA.41187 (2015/C) (ex 2015/NN) mise à exécution par la Hongrie – Contribution « santé » des entreprises du secteur du tabac (JO 2016, L 282, p. 43), et la décision (UE) 2016/1848 sur la mesure SA.40018 (2015/C) (ex 2015/NN) modification de 2014 de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire en Hongrie mise en œuvre par la Hongrie (JO 2016, L 282, p. 63) (ci-après, prises ensemble, les « décisions finales »).

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 25 septembre 2015, la Hongrie a introduit les présents recours, dirigés contre la décision relative à la contribution santé (T‑554/15) et la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire (T‑555/15).

12      Les 14 et 15 janvier 2016, la Commission a déposé les mémoires en défense dans chacune des affaires.

13      Par lettre du 11 novembre 2016, le Tribunal a, sur le fondement de l’article 131, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, invité les parties à répondre aux questions écrites relatives à la persistance de l’objet des présents recours. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

14      Par décision du président de la neuvième chambre du Tribunal du 24 mai 2017, les parties entendues, les affaires T‑554/15 et T‑555/15 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 68, paragraphe 2, du règlement de procédure.

15      Lors de l’audience du 12 octobre 2017, les parties entendues, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé que les affaires T‑554/15 et T‑555/15 seraient jointes également aux fins de la décision mettant fin à l’instance.

16      Dans l’affaire T‑554/15, la Hongrie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision relative à la contribution santé, dans la mesure où elle ordonne la suspension de l’application du taux d’imposition progressif de la contribution santé et de la réduction de la contribution santé en cas d’investissement ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      Dans l’affaire T‑555/15, la Hongrie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, dans la mesure où elle ordonne la suspension de l’application du taux d’imposition progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      Dans chaque affaire, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la Hongrie aux dépens.

 En droit

 Observations liminaires

19      Conformément à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

20      L’article 108 TFUE organise la procédure de contrôle des aides octroyées par les États membres, en vue de prévenir les distorsions de concurrence causées par les aides incompatibles avec le marché intérieur.

21      Ainsi, d’une part, l’article 108, paragraphe 2, TFUE dispose que si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l’article 107 TFUE, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine.

22      D’autre part, l’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit que les États membres informent la Commission, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si la Commission estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l’article 107 TFUE, elle ouvre sans délai la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure n’ait abouti à une décision finale.

23      L’abondante jurisprudence de la Cour et du Tribunal qui précise les dispositions de l’article 108 TFUE a été largement reprise dans le règlement no 659/1999, abrogé et remplacé avec effet au 14 octobre 2015 par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).

24      Selon l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 659/1999, la Commission ouvre la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE lorsqu’elle constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. La décision prise sur le fondement de cet article est dénommée décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

25      L’ouverture d’une procédure formelle d’examen est possible non seulement lorsque la Commission examine une mesure notifiée, mais également, en vertu de l’article 13 du règlement no 659/1999, lorsqu’elle examine une éventuelle aide illégale, c’est-à-dire, conformément à l’article 1er, sous f), dudit règlement, une mesure que la Commission estime, à ce stade de la procédure, être une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

26      L’adoption d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure nationale dans l’hypothèse prévue à l’article 13 du règlement no 659/1999 modifie la situation juridique de cette mesure, eu égard à la conclusion provisoire de la Commission sur son caractère d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et sur son caractère illégal, découlant de la violation possible de l’obligation de notification de tout projet d’aide nouvelle, établie à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Jusqu’à l’adoption d’une telle décision, l’État membre à l’origine de la mesure, les entreprises bénéficiaires et les autres opérateurs économiques peuvent penser que la mesure est licitement mise en œuvre, par exemple en tant que mesure générale ne tombant pas dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ou en tant qu’aide existante, au sens de l’article 108, paragraphe 1, TFUE et au sens de l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999, dont la poursuite de la mise en œuvre reste légale à ce stade. En revanche, après l’adoption d’une telle décision, il existe à tout le moins un doute important sur la légalité de la mesure en cause, qui, sans préjudice de la faculté de solliciter des mesures provisoires auprès du juge des référés, doit conduire l’État membre à en suspendre l’application, dès lors que l’ouverture de la procédure formelle d’examen exclut une décision immédiate concluant à la compatibilité avec le marché intérieur qui permettrait de poursuivre licitement l’exécution de ladite mesure (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2014, Alro/Commission, T‑517/12, EU:T:2014:890, point 28 et jurisprudence citée).

27      La qualification de la mesure nationale faisant l’objet d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen d’aide d’État illégale oblige donc l’État membre destinataire de cette décision à suspendre immédiatement la mise à exécution de cette mesure (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2005:275, point 39, et du 16 octobre 2014, Alro/Commission, T‑517/12, EU:T:2014:890, point 27 et jurisprudence citée).

28      L’obligation de suspendre la mise à exécution de la mesure nationale non notifiée et qualifiée d’aide d’État illégale trouve son fondement dans l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui institue un contrôle préalable sur les projets d’aides nouvelles dont l’objectif est d’assurer que seules des aides compatibles avec le marché intérieur soient mises à exécution. Afin de réaliser cet objectif, la mise à exécution d’un tel projet d’aide doit donc être suspendue jusqu’à ce que le doute sur sa compatibilité soit levé par la décision finale de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, points 25 et 26 et jurisprudence citée).

29      L’obligation de suspendre la mise à exécution d’une mesure nationale qualifiée d’aide d’État illégale par la décision ouvrant la procédure formelle d’examen découle automatiquement de cette décision, en ce sens que l’État membre est tenu lui-même de tirer toutes les conséquences de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 60).

30      En vue de permettre à la Commission de contrecarrer toute violation des règles de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Cour lui a reconnu en plus le pouvoir d’enjoindre à l’État membre concerné de suspendre immédiatement le versement d’une aide qu’elle estime illégale, après avoir mis cet État membre en mesure de s’exprimer (arrêts du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, EU:C:1990:67, points 18 à 20 ; du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C‑142/87, EU:C:1990:125, points 14 à 16 et 19, et du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, EU:C:1991:136, points 46 à 48).

31      Il ne résulte ni de cette jurisprudence ni de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, qui l’a reprise, que la Commission serait tenue d’enjoindre automatiquement à l’État membre concerné de suspendre le versement d’une aide qui n’a pas été notifiée conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En effet, la solution inverse aboutirait à priver de son intérêt l’obligation légale imposée à l’État membre par l’article 108, paragraphe 3, TFUE de ne pas mettre à exécution les aides projetées avant la décision finale de la Commission et aurait pour conséquence d’inverser les rôles entre les États membres et la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, EU:C:1999:311, point 74 et jurisprudence citée).

32      Il existe des différences d’ordre procédural entre, d’une part, la suspension d’une mesure en cours d’exécution découlant de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen qualifiant cette mesure d’aide d’État illégale et, d’autre part, une injonction de suspension prise à l’égard de ladite mesure. En particulier, en vertu de l’article 12 du règlement no 659/1999, en cas de non-respect de l’injonction de suspension, la Commission est habilitée à saisir directement la Cour de justice de l’Union européenne sans mise en demeure préalable afin qu’elle déclare que ce non-respect constitue une violation du traité FUE.

33      Ces différences d’ordre procédural n’affectent pas pour autant le principal effet juridique qu’emportent tant la décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen que l’injonction de suspension et qui est l’obligation, à charge de l’État membre, de suspendre l’exécution de la mesure faisant l’objet de ces décisions, fondée sur l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 60).

 Sur la recevabilité du recours

34      Par ses recours, la Hongrie demande l’annulation des seules injonctions de suspension énoncées dans les décisions litigieuses. Ainsi, les recours introduits par la Hongrie ne tendent pas à l’annulation des décisions litigieuses en ce que par celles-ci la Commission a ouvert des procédures formelles d’examen. La Hongrie estime qu’une telle annulation partielle est possible en l’espèce, puisque les injonctions attaquées sont détachables des décisions litigieuses au regard du critère de séparabilité de l’acte établi dans la jurisprudence.

35      L’annulation partielle d’un acte de l’Union européenne n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. La Cour a itérativement jugé qu’il n’était pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (voir arrêt du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil, C‑427/12, EU:C:2014:170, point 16 et jurisprudence citée).

36      Or, l’injonction prévue à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ordonnant la suspension d’une mesure susceptible de constituer une aide d’État peut intervenir en même temps que la décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ou lui être postérieure (arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 47).

37      Même lorsqu’elles interviennent en même temps, comme dans le cas d’espèce, la décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen et l’injonction de suspension constituent des actes distincts et régis par des dispositions différentes du règlement no 659/1999, à savoir, d’une part, son article 4, paragraphe 4, et, d’autre part, son article 11, paragraphe 1, et son article 12.

38      Il ressort, en outre, du libellé de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 que le législateur de l’Union a entendu donner à l’injonction de suspension la forme de « décision » au sens de l’article 288 TFUE. Or, selon la jurisprudence, un tel acte doit être considéré comme un acte qui produit des effets de droit obligatoires et qui, par conséquent, est susceptible de recours (arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, points 43 à 46).

39      Il s’ensuit que, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la Commission décide par un seul acte d’ouvrir une procédure formelle d’examen et d’adopter une injonction de suspension, cette injonction est détachable du reste de l’acte et peut donc, à elle seule, faire l’objet d’un recours en annulation.

40      Par ailleurs, comme cela ressort des observations présentées à titre liminaire aux points 26 à 33 ci-dessus, les effets juridiques de l’ouverture de la procédure formelle d’examen et ceux de l’adoption de l’injonction de suspension se recoupent partiellement.

41      Or, dans le cadre des présents recours, la Hongrie ne demande pas l’annulation des décisions litigieuses en ce que, par celles-ci, la Commission a ouvert les procédures formelles d’examen. Il convient de relever en outre que les requêtes déposées par la Hongrie ne contiennent pas de moyens relatifs à une éventuelle qualification erronée des mesures nationales en cause d’aides d’État ou d’aides nouvelles, illégalement mises à exécution. Ainsi, à supposer même que lesdits moyens avancés à l’appui des présents recours soient fondés, cela n’aurait pas pour effet de libérer la Hongrie de son obligation de suspendre la mise à exécution des mesures nationales en cause.

42      À cet égard, il suffit toutefois de rappeler que les États membres n’ont pas à démontrer leur intérêt à agir lorsqu’ils introduisent un recours fondé sur l’article 263 TFUE (voir arrêts du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 36 et jurisprudence citée, et du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 53 et jurisprudence citée). 

43      Au vu de ce qui précède, les présents recours doivent être déclarés recevables.

 Sur la persistance de l’objet des recours

44      Le 4 juillet 2016, la Commission a clôturé les procédures formelles d’examen ouvertes par les décisions litigieuses en adoptant les décisions finales. Dans ces décisions, elle a confirmé l’appréciation effectuée à titre provisoire dans les décisions litigieuses et a considéré que les mesures nationales en cause constituaient des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur. La Hongrie n’a pas contesté les décisions finales dans le délai de recours. Ces décisions n’ayant pas fait, non plus, l’objet d’un recours introduit par un tiers à la suite de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne le 19 octobre 2016 (JO 2016, L 282, p. 43 et 63), elles sont désormais définitives.

45      Dans ces circonstances, et compte tenu des moyens avancés à l’appui des présents recours, le Tribunal a décidé d’entendre les parties sur la question de savoir si ces recours conservaient toujours leur objet.

46      Les parties ont répondu aux questions du Tribunal par l’affirmative. Elles ont fait valoir, notamment, les raisons tenant à l’insécurité juridique quant aux conditions dans lesquelles la Commission est habilitée à faire application de l’injonction de suspension, aux différences entre les effets juridiques des décisions litigieuses et des décisions finales et la nécessité de garantir le contrôle juridictionnel des illégalités pouvant entacher les injonctions attaquées, ainsi qu’au statut privilégié des États membres dans le cadre des recours introduits sur la base de l’article 263 TFUE.

47      Il ressort de la jurisprudence du Tribunal que, lorsque des recours sont introduits, d’une part, contre une décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure nationale et, d’autre part, contre une décision finale, clôturant ladite procédure et déclarant que la mesure nationale examinée constitue une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, le rejet du recours contre cette dernière décision entraîne la disparition de l’objet du recours introduit contre la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen (voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2000, EPAC/Commission, T‑204/97 et T‑270/97, EU:T:2000:148, points 153 à 159 ; du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava/Commission, T‑168/99, EU:T:2002:60, points 22 à 26, et du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑30/01 à T‑32/01 et T‑86/02 à T‑88/02, EU:T:2009:314, points 345 à 363). Selon cette jurisprudence, dès lors que l’appréciation de la Commission contenue dans une décision finale est validée par le juge de l’Union européenne, y compris au regard de la qualification de la mesure nationale examinée d’aide d’État nouvelle, cette mesure doit être supprimée et les aides récupérées ab initio. Par conséquent, dans un tel cas, il n’y a plus lieu de statuer sur la question de savoir si la même mesure, qui devait être suspendue à la suite de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, avait ou non à l’être à juste titre (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑30/01 à T‑32/01 et T‑86/02 à T‑88/02, EU:T:2009:314, point 358).

48      Cette jurisprudence ne saurait être transposée dans le cadre des présents recours.

49      En effet, d’une part, il ressort des arrêts cités au point 47 ci-dessus (voir, notamment, arrêts du 13 juin 2000, EPAC/Commission, T‑204/97 et T‑270/97, EU:T:2000:148, points 154 à 158, et du 9 septembre 2009 Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑30/01 à T‑32/01 et T‑86/02 à T‑88/02, EU:T:2009:314, points 345, 348 et 355) que, dans l’hypothèse telle que celle décrite au point 47 ci-dessus, la question de la disparition de l’objet du recours se confond en réalité avec celle de la disparition de l’intérêt à agir de la partie requérante. Or, ainsi que cela a été rappelé au point 42 ci-dessus, les États membres n’ont pas à démontrer leur intérêt à agir lorsqu’ils introduisent un recours fondé sur l’article 263 TFUE.

50      D’autre part, il ne saurait être exclu qu’une injonction de suspension puisse être entachée d’illégalités autres que celles liées à la qualification erronée de la mesure examinée par la Commission d’aide d’État illégale. Si l’adoption d’une décision clôturant la procédure formelle d’examen devait entraîner la perte de l’objet du recours introduit contre l’injonction de suspension, le contrôle juridictionnel de telles illégalités serait entravé. Or, dans une communauté de droit, telle que l’Union, ni les États membres ni les institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23).

51      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’examiner au fond les présents recours.

 Sur le fond

52      À l’appui de chacun de ses recours, la Hongrie invoque quatre moyens essentiellement identiques, tirés, le premier, d’un « abus de pouvoir d’appréciation » et d’une erreur manifeste d’appréciation lors de l’application de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ainsi que d’une violation du principe de proportionnalité ; le deuxième, d’une violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement ; le troisième, d’une violation de l’obligation de motivation ainsi que des droits de la défense de la Hongrie et, le quatrième, d’une violation de l’obligation de coopération loyale, du principe de bonne administration et du droit à un recours effectif.

53      Par ailleurs, lors de l’audience, la Hongrie a consacré une partie significative de sa plaidoirie à l’exposé d’une argumentation selon laquelle la Commission aurait erronément identifié le cadre de référence auquel dérogeaient les mesures nationales en cause. Cette erreur de la Commission empêcherait d’admettre que lesdites mesures étaient sélectives et, par conséquent, qu’elles pouvaient être qualifiées d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

54      Il y a lieu de considérer qu’en avançant cette argumentation, la Hongrie soulève essentiellement un moyen tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE par une qualification erronée des mesures nationales en cause d’aide d’État.

55      À cet égard, force est de constater, premièrement, que les requêtes déposées par la Hongrie ne contiennent pas un tel moyen. En outre, par les arguments développés dans lesdites requêtes, la Hongrie vise seulement les injonctions attaquées et ne remet pas en cause les raisons qui ont amené la Commission à ouvrir en l’espèce les procédures formelles d’examen. Certes, dans le cadre du premier moyen de ses recours, la Hongrie relève que, dans les décisions litigieuses, la Commission n’a pas défini le cercle des bénéficiaires exclusifs des mesures nationales en cause, alors que, selon la jurisprudence, la détermination d’une telle catégorie d’entreprises serait une condition nécessaire à la reconnaissance du caractère sélectif de ces mesures. Toutefois, cet argument doit être replacé dans le contexte dudit moyen, par lequel la Hongrie ne conteste pas la qualification des mesures nationales en cause d’aide d’État, mais soutient, en substance, qu’aux fins de l’adoption d’une injonction de suspension, cette qualification devrait être plus certaine que dans le cas de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen non assortie d’une telle injonction et s’appuyer sur une pratique établie de la Commission ainsi que sur la jurisprudence. Dans ces circonstances, l’argument soulevé lors de l’audience ne saurait être considéré comme une ampliation du premier moyen des recours.

56      Deuxièmement, les observations faites par la Hongrie lors de l’audience ne se fondent pas sur des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés pendant la procédure.

57      Par conséquent, en vertu de l’article 84 du règlement de procédure qui interdit la production de moyens nouveaux en cours d’instance, l’argumentation avancée par la Hongrie lors de l’audience doit être considérée comme irrecevable.

 Sur le premier moyen

58      Le premier moyen est divisé en deux branches, tirées, la première, d’une violation de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, résultant d’un « abus de pouvoir d’appréciation » et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de cette disposition et, la seconde, d’une violation du principe de proportionnalité.

–       Sur la première branche

59      Par la première branche du présent moyen, la Hongrie soutient, en substance, que, pour pouvoir adopter une injonction de suspension conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 695/1999, la Commission doit démontrer, au-delà des conditions figurant dans cette disposition, la réunion de conditions supplémentaires.

60      À cet égard, elle fait valoir qu’en droit de l’Union, l’application des mesures provisoires est soumise à trois conditions générales qui sont l’urgence, le risque sérieux de préjudice substantiel et irréparable et le fumus boni juris, c’est-à-dire le caractère illégal vraisemblable de la mesure dont la suspension est demandée. Ces trois conditions seraient applicables notamment au sursis et aux autres mesures provisoires que les juridictions de l’Union peuvent ordonner conformément aux articles 278 et 279 TFUE, aux mesures provisoires applicables en matière de concurrence sur le fondement des articles 101 et 102 TFUE, aux mesures que les juridictions nationales peuvent appliquer sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et, enfin, aux injonctions de récupération que la Commission peut ordonner en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 659/1999.

61      Selon la Hongrie, bien que l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ne prévoie pas ces trois conditions, leur réunion serait requise pour l’adoption de l’injonction de suspension, puisque, en leur absence, le pouvoir d’appréciation de la Commission pour adopter ces injonctions ne serait soumis à aucune limite. Il ne saurait, en outre, être admis que le législateur de l’Union ait intentionnellement omis de soumettre l’adoption des injonctions de suspension à ces trois conditions, ni que, du fait de cette omission, le juge de l’Union ne puisse fixer des limites au pouvoir d’appréciation de la Commission en établissant les conditions d’application des injonctions de suspension. La Hongrie précise à cet égard que, par la présente branche du premier moyen, elle n’entend pas invoquer l’inapplicabilité de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, en vertu de l’article 277 TFUE.

62      La Hongrie allègue, en ce qui concerne la condition du fumus boni juris, que, pour pouvoir adopter une injonction de suspension, le caractère d’aide d’État de la mesure nationale concernée ne devrait pas faire de doute au regard de la pratique établie de la Commission ou de la jurisprudence du juge de l’Union. Or, en l’espèce, il n’existerait ni pratique de la Commission ni jurisprudence pouvant confirmer sans équivoque la qualification d’aide d’État d’un taux d’imposition progressif tel que le taux de la contribution santé ou celui de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée. De plus, il ressortirait de la jurisprudence que, afin de pouvoir qualifier une mesure fiscale d’aide d’État, la Commission devrait déterminer une catégorie d’entreprises qui sont les seules favorisées par une telle mesure. Or, les décisions litigieuses ne définiraient ni les entreprises favorisées ni les entreprises pénalisées par les mesures nationales en cause.

63      En ce qui concerne les deux autres conditions, la Hongrie soutient que l’adoption des injonctions attaquées n’est pas nécessaire, puisque, en leur absence, les mesures nationales en cause ne risqueraient pas d’entraîner, de manière immédiate, un préjudice financier grave et irréparable, ce en quoi les décisions litigieuses contrastent avec la décision (2007) 4313 de la Commission, du 27 septembre 2007, concernant l’aide d’État C 41/2007 (ex NN 49/2007) – Roumanie – Privatisation de Tractorul (JO 2007, C 249, p. 21), dans laquelle la Commission aurait invoqué un tel risque pour fonder une injonction de suspension adressée à la Roumanie. La Hongrie poursuit en arguant qu’afin d’établir l’existence du risque d’un préjudice financier grave et irréparable en l’espèce, la Commission aurait dû démontrer qu’à défaut des injonctions attaquées, avant la fin de la procédure formelle d’examen, les entreprises pénalisées par les mesures nationales en cause étaient susceptibles de se trouver dans une situation mettant en péril leur viabilité financière. Or, non seulement la Commission n’aurait pas fourni une telle démonstration, mais il ressortirait des décisions litigieuses qu’il pourrait être remédié à un éventuel préjudice par une obligation de récupération de l’aide illégalement versée dans les décisions finales.

64      Enfin, selon la Hongrie, la possibilité, pour la Commission, d’ordonner la suspension d’une mesure fiscale nationale au seul motif que cette mesure constitue une aide d’État, sans qu’elle doive démontrer la réunion des trois conditions d’adoption de mesures provisoires, perturberait le partage des rôles défini par la jurisprudence de la Cour entre les juridictions nationales et la Commission. Il appartiendrait, en effet, aux seules juridictions nationales de tirer d’éventuelles conséquences d’une violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Le partage clair des rôles entre la Commission et les juridictions nationales confirmerait le caractère exceptionnel des injonctions de suspension et empêcherait la Commission d’adopter de telles injonctions au seul motif qu’une aide continue à être versée au cours de la procédure formelle d’examen. Il impliquerait également que la Commission ne pourrait ordonner la suspension d’une mesure nationale que dans les cas où les mesures provisoires adoptées par les juridictions nationales en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE se seraient avérées insuffisantes.

65      La Commission conteste ces arguments.

66      Il ressort de l’exposé des règles procédurales figurant aux points 24 à 29 ci-dessus que, lorsque la Commission décide d’ouvrir une procédure formelle d’examen au sens de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 659/1999 à l’encontre d’une mesure nationale qui ne lui a pas été notifiée, l’État membre est tenu de suspendre immédiatement l’exécution de cette mesure. Le fait que la qualification de la mesure nationale en cause d’aide d’État illégale soit provisoire n’affecte aucunement cette obligation de suspension.

67      Contrairement à ce que soutient la Hongrie, la jurisprudence de la Cour, qui a très tôt reconnu l’effet direct de l’obligation de suspendre le versement des aides étatiques avant que leur compatibilité avec le marché intérieur ne soit examinée par la Commission (arrêts du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, EU:C:1964:66, p. 1162, et du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73, EU:C:1973:152, p. 8), ne réserve pas aux seules juridictions nationales la tâche de tirer d’éventuelles conséquences d’une violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

68      Selon la jurisprudence, les articles 107 et 108 TFUE réservent à la Commission le rôle central et exclusif pour la reconnaissance de l’incompatibilité éventuelle d’une aide avec le marché intérieur, le rôle des juridictions nationales étant de sauvegarder les droits que les justiciables tiennent de l’effet direct de l’interdiction édictée à la dernière phrase de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C‑354/90, EU:C:1991:440, point 14). Les compétences reconnues aux juridictions nationales dans le domaine du contrôle des aides d’État ne sauraient donc limiter les pouvoirs dont dispose dans ce domaine la Commission. Au contraire, selon la jurisprudence, c’est le pouvoir des juridictions nationales qui se trouve limité lorsque la Commission adopte une décision ouvrant une procédure formelle d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, points 41 et 42).

69      Comme cela a été rappelé au point 30 ci-dessus, en vue de permettre à la Commission de garantir le respect des règles de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, il a été reconnu à la Commission le pouvoir d’enjoindre à l’État membre concerné de suspendre immédiatement le versement d’une aide illégale, après avoir mis cet État membre en mesure de présenter ses observations.

70      Les conditions de l’adoption d’une telle injonction, fixées à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, se limitent à une condition de fond, à savoir la qualification par la Commission, à ce stade de la procédure, de la mesure nationale concernée d’aide d’État illégale, et une condition procédurale, à savoir le fait de donner à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations.

71      Aucune autre condition ne doit être remplie pour que la Commission soit habilitée à adopter une injonction au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, et il convient de souligner que cette situation est le résultat de la volonté et non, comme le soutient la Hongrie, d’un oubli du législateur. En effet, le libellé dudit article, qui reflète l’état du droit ressortissant de la jurisprudence constante citée au point 30 ci-dessus, n’a pas été modifié par les amendements introduits au règlement no 659/1999 et a été repris tel quel dans le nouveau règlement no 2015/1589.

72      En particulier, contrairement à ce que soutient la Hongrie, l’adoption d’une injonction de suspension ne peut être soumise aux conditions prévues pour l’adoption d’une injonction de récupération au sens de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 659/1999 ou à des conditions autrement inspirées de cette disposition.

73      En effet, en premier lieu, l’injonction de suspension constitue un outil visant à prévenir la poursuite de la violation de l’obligation de non mise en œuvre des projets tendant à instituer ou à modifier des aides établie à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Dès lors que, dans le cas des aides non notifiées, cette obligation se concrétise au moment de l’ouverture de la procédure formelle d’examen et de la qualification provisoire de la mesure nationale en cause d’aide d’État illégale, le fait de soumettre l’adoption de l’injonction de suspension à des conditions de fond supplémentaires affaiblirait l’efficacité de ce mécanisme conçu pour garantir le plein respect de l’obligation légale imposée à l’État membre par l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

74      En second lieu, les conditions prévues pour l’adoption d’une injonction de récupération se justifient par la nature de cette injonction et sa place dans le système de contrôle préalable sur les projets d’aides nouvelles instauré par l’article 108 TFUE.

75      En effet, conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, seules les aides incompatibles doivent être supprimées par les États membres, ce qui implique l’obligation de récupération des aides incompatibles déjà versées. En revanche, selon la jurisprudence, le droit de l’Union n’impose pas une obligation de récupération intégrale de toute aide illégale (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06, EU:C:2008:79, points 46 et 52).

76      Selon la jurisprudence, les aides versées par les États membres ne sauraient être considérées comme incompatibles au seul motif qu’elles ont été mises à exécution en violation des obligations de notification et de suspension prévues à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, EU:C:1990:67, points 9 à 11, 16 et 17). C’est pourquoi, même si l’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure nationale dans l’hypothèse prévue à l’article 13 du règlement no 659/1999 oblige l’État membre concerné à suspendre immédiatement le versement de l’aide, elle ne l’oblige pas pour autant à la récupérer.

77      Il n’en reste pas moins que le droit de l’Union n’exclut pas la possibilité de récupérer les aides versées illégalement avant que la Commission ne se prononce sur leur compatibilité.

78      D’une part, afin de donner plein effet aux dispositions de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, il appartient aux juridictions nationales, en cas de méconnaissance de cette disposition, d’en tirer toutes les conséquences, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant la mise à exécution des mesures d’aide, que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition (voir arrêt du 21 juillet 2005, Xunta de Galicia, C‑71/04, EU:C:2005:493, point 49 et jurisprudence citée). En particulier, le fait de constater qu’une aide a été octroyée en violation de la dernière phrase de l’article 108, paragraphe 3, TFUE peut, selon les circonstances, entraîner son remboursement conformément aux règles internes de procédure, même si cette aide est ultérieurement déclarée compatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06, EU:C:2008:79, points 52 et 53).

79      D’autre part, le législateur de l’Union a prévu la possibilité pour la Commission d’adopter des injonctions tendant à récupérer les aides versées illégalement avant la fin de la procédure formelle d’examen. Cependant, en raison de l’affectation de la situation du bénéficiaire entraînée par une telle injonction, il a soumis leur application à des conditions strictes, définies à l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 659/1999.

80      Il résulte de ce qui précède que, premièrement, la Commission n’était pas tenue d’invoquer dans les décisions litigieuses une pratique établie ou une jurisprudence au regard desquelles le caractère d’aide d’État des mesures nationales en cause ne ferait pas de doute.

81      Néanmoins, il ressort du dossier que, plusieurs mois avant l’adoption des décisions litigieuses, par décision C(2015) 1520, du 12 mars 2015, relative à la mesure SA.39235 (2015/C) (ex 2015/NN) – Hongrie – Taxe sur la publicité (JO 2015, C 136, p. 7), la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen à l’égard d’une taxe introduite par la Hongrie dans le secteur de la publicité, taxe qui se caractérisait par un taux d’imposition progressif applicable au chiffre d’affaires dégagé des prestations publicitaires par les entreprises de média et qui, de ce fait, ressemblait à la contribution santé et à la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée. L’adoption de ladite décision a été précédée et suivie par des échanges entre la Commission et les autorités hongroises au vu desquels la Hongrie ne saurait valablement soutenir qu’elle n’était au courant d’aucune pratique de la Commission consistant à qualifier les mesures fiscales nationales comportant un tel taux progressif d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

82      Par ailleurs, la Hongrie ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir déterminé, dans les décisions litigieuses, une catégorie d’entreprises qui étaient les seules favorisées par les mesures nationales en cause. En effet, il n’est pas exigé de la Commission qu’elle détermine une catégorie d’entreprises qui sont les seules favorisées par une mesure fiscale afin de pouvoir qualifier cette mesure d’aide d’État (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 93).

83      Deuxièmement, la Commission n’était pas non plus tenue de démontrer dans les décisions litigieuses que, en l’absence des injonctions attaquées, la mesure nationales en cause  risquait d’entraîner, de manière immédiate, un préjudice financier grave et irréparable ou que les entreprises pénalisées par ces mesures étaient susceptibles de se trouver dans une situation mettant en péril leur viabilité financière.

84      À cet égard, s’agissant de l’argument tiré de la décision (2007) 4313 de la Commission (voir point 63 ci-dessus), il suffit de rappeler que la validité des injonctions attaquées doit être examinée au regard du seul article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et non au regard de la pratique antérieure de la Commission (voir, par analogie, arrêt du 21 juillet 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission, C‑459/10 P, non publié, EU:C:2011:515, point 38 et jurisprudence citée).

85      Troisièmement, contrairement à ce que soutient la Hongrie, le fait que les trois conditions qu’elle évoque dans son argumentation ne soient pas exigées par l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ne signifie pas que le pouvoir d’appréciation accordé à la Commission par la jurisprudence et par le législateur de l’Union quant à l’adoption des injonctions de suspension est illimité ou qu’il n’est soumis à aucun contrôle.

86      En effet, d’une part, les limites dans lesquelles la Commission peut faire application des injonctions de suspension sont définies par l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, dont il résulte que la Commission doit présenter les raisons qui l’amènent à considérer que la mesure nationale en cours d’exécution constitue une aide d’État nouvelle et consulter l’État membre concerné à propos de l’injonction envisagée. Le respect par la Commission de ces conditions procédurale et de fond d’adoption d’une injonction de suspension peut être soumis au contrôle du juge de l’Union par l’État membre concerné. D’autre part, comme cela a été relevé au point 50 ci-dessus, le contrôle du juge de l’Union ne se limite pas aux seules conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et peut s’étendre, notamment, à la conformité de l’injonction de suspension avec le traité FUE et avec les principes généraux du droit (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, E et F, C‑550/09, EU:C:2010:382, point 44 et jurisprudence citée).

87      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en adoptant les injonctions attaquées, la Commission n’a pas violé l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. Il y a donc lieu de rejeter la première branche du premier moyen.

–       Sur la seconde branche

88      Par la seconde branche du premier moyen, la Hongrie soutient, en substance, que l’ajout de conditions supplémentaires à celles figurant déjà à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 695/1999 est nécessaire au regard du principe de proportionnalité.

89      Selon la Hongrie, l’injonction de suspension prévue à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 n’est pas le seul moyen pour corriger les effets d’une mesure fiscale nationale susceptible de recevoir une qualification d’aide d’État à l’issue de la procédure formelle d’examen. En outre, une telle injonction constituerait une ingérence dans l’ordre réglementaire interne d’une telle ampleur qu’elle ne devrait être utilisée qu’en l’absence d’autres instruments moins radicaux.

90      En l’espèce, tout d’abord, la violation du principe de proportionnalité se matérialiserait par le fait que, dans les décisions litigieuses, la Commission semble admettre que les seuls critères d’adoption des injonctions attaquées seraient l’existence d’une distorsion de la concurrence résultant des mesures nationales en cause et le fait qu’elles continuaient à être appliquées au moment de l’adoption des injonctions attaquées. Or, la Commission devrait également examiner la question de savoir si la distorsion de la concurrence résultant des mesures nationales en cause avait un caractère durable et irréversible. La Hongrie relève à cet égard que, dans de nombreuses décisions adoptées au cours des dernières années, la Commission n’a pas eu recours aux injonctions de suspension, même si, dès le début de la procédure, il apparaissait de manière évidente que la mesure nationale concernée s’apparentait à une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.

91      Ensuite, la violation du principe de proportionnalité se matérialiserait par le fait que, dans les lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015 adressées aux autorités hongroises avant l’adoption des injonctions attaquées (voir point 5 ci-dessus), la Commission se serait limitée à les informer de manière très vague et succincte de son intention d’adopter une injonction dans le cas où les informations fournies par ces autorités dans le cadre de la procédure formelle d’examen devraient s’avérer insuffisantes pour dissiper ses doutes quant à la compatibilité des mesures nationales en cause avec le marché intérieur. Cette formulation impliquerait que les seuls doutes de la Commission quant à la compatibilité d’une mesure pourraient fonder une injonction de suspension.

92      Enfin, la violation du principe de proportionnalité se matérialiserait par le fait que la Commission a indiqué dans les décisions litigieuses que seul le caractère fortement progressif des mesures nationales en cause pouvait avoir un effet négatif sur la concurrence. Pourtant, les injonctions attaquées ne viseraient pas seulement le taux fortement progressif, mais le « système progressif » dans son ensemble, ce qui serait clairement disproportionné.

93      La Commission conteste ces arguments.

94      Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 24 mai 2007, Maatschap Schonewille-Prins, C‑45/05, EU:C:2007:296, point 45).

95      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que l’argumentation de la Hongrie avancée dans le cadre de la présente branche se fonde sur la même idée que celle qui soutient la première branche, selon laquelle, pour adopter une injonction de suspension, la Commission devrait démontrer l’existence de conditions qui ne sont pas explicitement prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. Cette argumentation ne saurait prospérer pour les raisons indiquées aux points 70 à 86 ci-dessus.

96      En deuxième lieu, bien que l’argumentation avancée dans ses mémoires soit ambiguë sur ce point, la Hongrie semble soutenir que, malgré l’ouverture des procédures formelles d’examen visant les mesures nationales en cause, les autorités hongroises seraient toujours autorisées à les appliquer et que ce qui les empêcherait de le faire, ce seraient les injonctions attaquées. Il ressort ainsi des mémoires de la Hongrie que ce n’est pas l’ouverture des procédures formelles d’examen, mais seulement les injonctions attaquées qui seraient à l’origine de l’effet suspensif des mesures nationales en cause. Force est de constater qu’une telle argumentation, fondée sur une conception erronée des effets de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen et, plus fondamentalement, des obligations imposées aux États membres par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, est vouée au rejet.

97      Toutefois, lors de l’audience, la Hongrie a affirmé, en réponse à une question du Tribunal, que l’ouverture des procédures formelles d’examen en l’espèce impliquait une obligation de suspendre les mesures nationales en cause, qu’elle a dû respecter. La Hongrie a constaté néanmoins que cet élément n’était pas pertinent pour l’appréciation du bien-fondé de la présente branche du premier moyen.

98      Il ressort des décisions litigieuses (considérant 45 de la décision relative à la contribution santé et considérant 54 de la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire), non contestées sur ce point par la Hongrie, que, en réponse aux lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015, dans lesquelles la Commission a émis des doutes quant à la compatibilité avec le marché intérieur des mesures nationales en cause et a évoqué la possibilité de faire application des injonctions de suspension, les autorités hongroises n’ont pas présenté d’observations au sujet des injonctions évoquées. En outre, il ressort de la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire (considérant 54) que les autorités hongroises se sont limitées à déclarer que, selon elles, le taux d’imposition progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée ne constituait pas une aide d’État. Au vu de ces éléments, que la Commission a interprétés, à bon droit, comme un refus de se soumettre à l’obligation de suspension, l’adoption des injonctions attaquées doit être considérée comme appropriée et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, à savoir, en l’espèce, les articles 107 et 108 TFUE.

99      En outre, s’il est vrai que l’injonction de suspension est une mesure plus contraignante que l’ouverture de la procédure formelle d’examen (voir point 32 ci-dessus), ces deux actes produisent essentiellement le même effet juridique, à savoir l’obligation de suspendre immédiatement le versement de l’aide d’État concernée. Ainsi, les inconvénients causés à l’État membre par une injonction de suspension ne sont pas démesurés par rapport aux buts visés par les articles 107 et 108 TFUE.

100    En troisième lieu, l’argument de la Hongrie selon lequel la Commission lui aurait enjoint de suspendre le « système progressif » dans son ensemble manque en fait. Au considérant 53 de la décision relative à la contribution santé et au considérant 62 de la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, la Commission n’a en effet pas enjoint la suspension d’autres mesures que celles qu’elle a analysées provisoirement comme constitutives d’aides d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, aux sections 4.1 desdites décisions, ainsi que le confirment clairement les considérants 46 et 48 de la première et les considérants 55 et 57 de la seconde, qui figurent dans leurs parties consacrées à la motivation des injonctions attaquées.

101    Enfin, l’argument tiré de la pratique antérieure de la Commission ne saurait prospérer pour les raisons déjà exposées au point 84 ci-dessus. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, dans chacune des affaires citées par la Hongrie, les États membres concernés étaient tenus de suspendre l’exécution des mesures fiscales concernées dès que la Commission avait ouvert les procédures formelles d’examen à l’égard de ces mesures.

102    Il résulte de ce qui précède qu’en adoptant les injonctions attaquées, la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité. Il y a donc lieu de rejeter la seconde branche du présent moyen.

103    Il s’ensuit que le premier moyen doit être écarté.

 Sur le deuxième moyen

104    Le deuxième moyen est tiré d’une violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement.

105    D’une part, la violation de ces principes découlerait du fait que la Commission a décidé d’utiliser les injonctions de suspension vis-à-vis de la Hongrie alors qu’elle n’a pas utilisé cette mesure à l’égard des autres États membres, y compris dans des décisions concernant les mesures fiscales, telles que les taxes aéroportuaires ou les mesures connues sous le nom générique de tax rulings. Qui plus est, alors que, dans le passé, la Commission n’a adopté des mesures de suspension que de façon sporadique, elle a adopté trois injonctions à l’égard de la Hongrie, dont les deux injonctions attaquées, au cours de la seule année 2015.

106    La Hongrie relève, à cet égard, que la Commission a déjà examiné des mesures fiscales reposant sur le même schéma de taxe progressive sur le chiffre d’affaires adoptées en Hongrie, dans le cadre des procédures engagées en vertu de l’article 258 TFUE. Elle soutient que les injonctions de suspension adoptées à son égard traduisent l’intention de la Commission de contourner lesdites procédures et de susciter un effet immédiat dans l’ordre juridique national.

107    D’autre part, la violation des principes susmentionnés, ainsi qu’une violation de l’obligation de motivation, découleraient du fait que, dans les rares cas où la Commission a adopté des injonctions de suspension, elle l’a fait en se fondant sur des critères juridiques différents de ceux appliqués en l’espèce. En particulier, dans les décisions précédentes, elle aurait examiné le caractère irréparable du préjudice qui pourrait résulter de la mesure nationale concernée à défaut d’une ordonnance de suspension.

108    La Commission conteste ces arguments.

109    En premier lieu, il convient de rappeler que le principe de non-discrimination ou d’égalité de traitement exige, selon une jurisprudence constante, que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 26 septembre 2013, IBV & Cie, C‑195/12, EU:C:2013:598, point 50 et jurisprudence citée).

110    En l’espèce, la Hongrie invoque le premier volet de ce principe, selon lequel des situations comparables ne doivent pas être traitées de manière différente. Partant, afin de pouvoir constater une éventuelle discrimination, il conviendra, au préalable, d’examiner la question de savoir si les situations invoquées par la Hongrie sont effectivement comparables.

111    À cet égard, force est de constater que, dans ses mémoires, la Hongrie se limite à renvoyer à un certain nombre de décisions prises par la Commission dans les dernières années, identifiées uniquement par leur titre. Pour une partie de ces décisions, il n’est même pas précisé s’il s’agit de décisions d’ouvrir des procédures formelles d’examen ou de décisions finales, clôturant ces procédures. Le seul critère qui rapprocherait ces décisions, au-delà du fait qu’elles portent toutes sur des aides d’État, est le fait qu’elles concernent toutes des mesures fiscales. La Hongrie ne précise pas, en revanche, si, et dans l’affirmative en quoi, ces mesures fiscales étaient semblables aux mesures nationales en cause. Elle ne précise pas non plus si les décisions qu’elle évoque concernent des mesures qui ont été notifiées à la Commission et si les États membres destinataires de ces décisions ont respecté l’obligation de suspension. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la Hongrie n’est pas parvenue à démontrer que les situations qu’elle invoque ont été effectivement comparables à la sienne.

112    Par ailleurs, il convient de relever que le pouvoir d’adopter des injonctions de suspension dont dispose la Commission n’implique pas l’obligation d’enjoindre automatiquement à l’État membre concerné de suspendre le versement d’une aide qui n’a pas été notifiée conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, EU:C:1999:311, point 74 et jurisprudence citée). Contrairement à ce que soutient la Hongrie, c’est à juste titre que la Commission conclut, sur la base de cette jurisprudence, qu’elle n’est pas tenue de motiver son choix de ne pas adopter d’injonction de suspension dans un cas donné.

113    Partant, le seul fait que la Commission ait ouvert des procédures formelles d’examen au sujet des mesures fiscales existant dans certains États membres sans avoir adopté d’injonction de suspension, alors que, en ouvrant des procédures formelles d’examen au sujet des mesures fiscales existant dans d’autres États membres, elle a adopté de telles injonctions, ne saurait suffire pour établir une violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement.

114    En deuxième lieu, s’agissant de procédures en manquement entamées par la Commission à l’égard de la Hongrie et visant les charges publiques fondées sur un schéma de taxe progressive sur le chiffre d’affaires, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà eu à connaître des situations dans lesquelles les mesures prises par un État membre relevaient à la fois des dispositions du traité FUE concernant le contrôle des aides d’État et des dispositions du traité FUE relatives aux autres aspects du fonctionnement du marché intérieur.

115    La Cour a alors considéré que les différences entre les conditions d’application de ces dispositions, d’une part, et l’étendue des pouvoirs dont dispose la Commission dans leur mise en œuvre, d’autre part, n’empêchent pas qu’une mesure nationale soit assujettie cumulativement aux dispositions de l’article 110, premier alinéa, TFUE et à celles relatives aux aides d’État et qu’elle fasse à ce titre l’objet de deux procédures distinctes, l’une intentée en vertu de l’article 258 TFUE et l’autre en vertu de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 1980, Commission/Italie, 73/79, EU:C:1980:129, points 6 à 10).

116    Il résulte de cette jurisprudence qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir ouvert une procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard d’une mesure nationale qu’elle examine en même temps dans le cadre d’une procédure prévue à l’article 258 TFUE.

117    En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la Hongrie tiré de la comparaison des injonctions attaquées avec une décision précédente dans laquelle la Commission aurait examiné le caractère irréparable du préjudice qui pourrait résulter de la mesure nationale concernée avant d’adopter l’injonction de suspension, il suffit de rappeler, comme cela a été fait au point 84 ci-dessus, que la validité des injonctions attaquées doit être examinée au regard du seul article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et non au regard de la pratique antérieure de la Commission.

118    Il résulte de ce qui précède qu’en adoptant les injonctions attaquées, la Commission n’a pas violé les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement.

119    Il y a donc lieu d’écarter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen

120    Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 296, paragraphe 2, TFUE, de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que des droits de la défense.

121    Selon la Hongrie, tout d’abord, les décisions litigieuses sont entachées d’un défaut de motivation en ce que la Commission n’a pas expliqué pourquoi l’adoption des injonctions attaquées était nécessaire en l’espèce. La Hongrie soutient que le standard de motivation exigé dans le cas de l’adoption d’une injonction de suspension devrait être plus strict que dans le cas de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen. Or, dans les décisions litigieuses, la Commission se serait contentée de remarquer que les mesures nationales en cause constituaient une aide d’État, qu’elles étaient en cours d’exécution et que le caractère fortement progressif des taux de la contribution santé et de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée pouvaient avoir des effets négatifs sur la concurrence.

122    Ensuite, les décisions litigieuses seraient entachées d’un défaut de motivation en ce que la Commission n’a pas exposé les raisons pour lesquelles, en l’espèce, elle a fondé les injonctions de suspension sur des critères différents de ceux qu’elle avait appliqués dans d’autres affaires dans lesquelles elle a adopté de telles injonctions. Qui plus est, contrairement à sa pratique antérieure et à l’attitude adoptée dans d’autres affaires, en l’espèce, la Commission n’aurait pas laissé la possibilité aux autorités hongroises de présenter leur point de vue sur les injonctions attaquées.

123    De plus, la Commission se serait limitée à établir les catégories d’entreprises disposant d’un chiffre d’affaires plus ou moins important et, faisant fi des exigences de la jurisprudence, n’aurait pas défini le cercle des bénéficiaires exclusifs des mesures nationales en cause.

124    Enfin, la Commission se serait contentée d’affirmer que les mesures nationales en cause pouvaient avoir un effet important sur la concurrence au sein du marché, sans préciser de quel marché il s’agit, quels sont les acteurs économiques présents sur ce marché et de quelle manière les mesures nationales en cause pourraient l’influencer.

125    Par ailleurs, dans le cadre du recours dans l’affaire T‑554/15, la Hongrie soutient que la Commission a violé son obligation de motivation dans la mesure où les motifs de la décision relative à la contribution santé, en particulier ses considérants 48 et 53, sont contradictoires et insuffisamment précis. Il ne serait pas possible de déterminer, sur la base de cette décision, quelles dispositions de la loi introduisant la contribution santé devraient être suspendues.

126    La Commission conteste ces arguments.

127    À titre liminaire, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question, soulevée par la Commission, de savoir si un État membre peut se voir appliquer les dispositions de la charte des droits fondamentaux, il convient de rappeler, d’une part, que l’obligation de motivation des actes juridiques pris par les institutions est prévue par le traité FUE et, d’autre part, que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit de l’Union et doit être assuré même en l’absence d’une réglementation spécifique. Le respect des droits de la défense des États membres doit être assuré également dans le cadre des procédures relatives au contrôle des aides d’État (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1987, France/Commission, 259/85, EU:C:1987:478, point 12, et du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, EU:C:1990:67, points 29 à 31).

128    Selon une jurisprudence constante, si la motivation exigée par l’article 296, paragraphe 2, TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte en cause, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’il spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’État membre concerné, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2013, Commission/Conseil, C‑63/12, EU:C:2013:752, points 98 et 99 et jurisprudence citée).

129    En ce qui concerne le standard de la motivation d’une injonction de suspension, il convient de relever qu’une telle injonction est adoptée avant que la Commission ne se prononce de manière définitive sur la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure concernée, et ce indépendamment du fait que cette injonction intervienne en même temps que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen ou qu’elle lui soit postérieure. Dans ces conditions, eu égard à l’objectif des injonctions de suspension (voir points 30 et 69 ci-dessus), il y a lieu de considérer que, en ce qui concerne la qualification de la mesure concernée d’aide d’État illégale, le standard de la motivation de l’injonction de suspension doit correspondre à celui exigé par la jurisprudence pour les décisions d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Or, dans ce type de décisions, la Commission peut se limiter à récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, à inclure une évaluation provisoire de la mesure visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide et à exposer les raisons qui l’incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur (arrêt du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑194/09 P, EU:C:2011:497, points 102 et 103).

130    Enfin, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’elle adopte une injonction de suspension, la Commission doit démontrer la réunion des seules conditions exigées par l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 (voir points 71 et 80 à 84 ci-dessus) et qu’elle n’est pas tenue de motiver son choix de ne pas adopter d’injonction de suspension dans un cas donné (voir point 112 ci-dessus).

131    En l’espèce, en premier lieu, en ce qui concerne la motivation relative aux conditions de fond de l’adoption des injonctions attaquées, force est de constater que, aux considérants 10 à 37 de la décision relative à la contribution santé et aux considérants 20 à 42 de la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, la Commission a exposé les raisons justifiant son constat provisoire selon lequel les mesures nationales en cause constituaient des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Aux considérants, respectivement, 42 et 51 desdites décisions, elle a indiqué que ces mesures constituaient des aides nouvelles qui ne lui avaient pas été notifiées, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et qu’elles devaient donc être considérées comme des aides illégales. Ces éléments de motivation ont été repris de manière succincte, respectivement, aux considérants 46 et 55 des décisions susmentionnées figurant dans les parties de celles-ci relatives aux injonctions attaquées.

132    Ces motifs sont suffisants au regard des exigences établies par la jurisprudence citée aux points 128 et 129 ci-dessus. À cet égard, d’une part, le reproche de la Hongrie relatif à la définition de la catégorie d’entreprises qui étaient les seules favorisées par les mesures nationales en cause ne saurait prospérer pour les raisons exposées au point 82 ci-dessus. D’autre part, s’agissant de l’insuffisance de la motivation des décisions litigieuses quant à la définition du marché concerné, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la Hongrie, la Commission a suffisamment exposé, dans le contexte d’une décision d’ouverture de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, au considérant 36 de la décision relative à la contribution santé et au considérant 41 de la décision relative à la modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, quelles conséquences les mesures nationales en cause étaient susceptibles d’avoir sur le marché de la production et de la vente des produits de tabac et sur le marché de la vente au détail des biens de consommation courante.

133    En deuxième lieu, en ce qui concerne la motivation relative à la condition procédurale de l’adoption des injonctions attaquées, force est de constater que, contrairement à ce que soutient la Hongrie, la Commission lui a donné la possibilité de présenter ses observations sur les injonctions attaquées avant leur adoption. En effet, les lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015, jointes par la Hongrie à ses requêtes, font clairement référence au fait que la Commission prend en considération la possibilité d’utiliser les injonctions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et que, conformément à cette disposition, elle invite la Hongrie à présenter ses observations dans le délai de 20 jours ouvrables. Il ressort également des décisions litigieuses, sans que la Hongrie le conteste, que les autorités hongroises n’ont pas présenté en temps utile leurs observations sur les injonctions envisagées.

134    En troisième lieu, en ce qui concerne la motivation relative à la nécessité d’adopter les injonctions attaquées, il y a lieu d’observer que, s’il résulte de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 que la Commission doit présenter les raisons qui l’amènent à considérer que la mesure nationale en cours d’exécution constitue une aide d’État nouvelle, cette disposition n’impose pas pour autant à la Commission de justifier spécifiquement l’opportunité de l’adoption d’une injonction dans un cas donné. L’opportunité de cette mesure se justifie, en effet, par l’existence d’une violation avérée, par un État membre, de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

135    Néanmoins, dans une situation telle que celle de l’espèce, dans laquelle l’injonction de suspension est insérée dans une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, compte tenu de la large marge d’appréciation dont dispose la Commission en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ainsi que de l’effet juridique spécifique que produit une injonction de suspension en vertu de l’article 12 de ce règlement, il y a lieu de considérer que la décision portant adoption d’une telle injonction doit permettre de comprendre pourquoi, selon la Commission, l’État membre concerné n’allait pas respecter l’obligation découlant de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et suspendre la mise à exécution des mesures examinées à la suite de l’ouverture de la procédure formelle d’examen.

136    En l’espèce, il ressort des décisions litigieuses que, en réponse aux lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015, les autorités hongroises ont soutenu que les mesures nationales en cause ne constituaient pas des aides d’État. En outre, comme cela a été relevé au point 133 ci-dessus, il ressort également des décisions litigieuses que lesdites autorités n’ont pas donné suite à l’invitation de la Commission à présenter des observations sur les injonctions de suspension dont l’adoption était envisagée. Or, ces éléments sont suffisants pour comprendre que la Commission estimait, au vu des circonstances, qu’il existait un risque de mise à exécution des mesures nationales en cause malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen.

137    Enfin, il ressort du dossier que, quelques mois avant l’adoption des injonctions attaquées, la Commission avait ouvert une procédure formelle d’examen à l’encontre de mesures fiscales hongroises fondées sur le même schéma que les mesures nationales en cause (voir point 81 ci-dessus) et que ces mesures n’ont pas été suspendues en dépit de l’ouverture de ladite procédure. Bien que cet élément ne soit pas mentionné dans les décisions litigieuses, il fait partie du contexte de l’adoption des injonctions attaquées et les autorités hongroises ne pouvaient l’ignorer.

138    Dans ce contexte, il convient de considérer que les autorités hongroises étaient en mesure de comprendre pourquoi la Commission a décidé, dans les décisions litigieuses, de recourir effectivement à des injonctions de suspension, d’autant qu’en l’absence d’observations particulières de leur part à l’égard de l’éventualité de ces injonctions, la Commission n’avait pas à répondre dans lesdites décisions à des arguments particuliers.

139    En quatrième lieu, en ce qui concerne l’argument avancé par la Hongrie dans le cadre du recours dans l’affaire T‑554/15, il suffit de constater que la lecture de la décision relative à la contribution santé ne laisse aucun doute quant à l’étendue de l’injonction de suspension. Celle-ci est précisée, à titre de conclusion, au considérant 53 de cette décision, par lequel la Commission invite la Hongrie à suspendre l’application des taux progressifs de la contribution santé ainsi que la réduction de cette taxe applicable en cas d’investissements.

140    Il résulte de ce qui précède que, eu égard aux exigences posées par la jurisprudence en ce qui concerne le respect de l’obligation de motivation, rappelées au point 128 ci-dessus, la Commission a suffisamment motivé les décisions litigieuses.

141    Par ailleurs, le grief tiré d’une violation des droits de la défense doit être écarté, dans la mesure où la Hongrie n’avance aucun argument à son appui. En tout état de cause, comme cela a été indiqué au point 133 ci-dessus, contrairement à ce que soutient la Hongrie, la Commission lui a donné la possibilité de présenter des observations sur les injonctions attaquées avant leur adoption.

142    Il y a donc lieu d’écarter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen

143    Le quatrième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de coopération loyale, prévue à l’article 4, paragraphe 3, TUE du principe de bonne administration et du droit à un recours effectif.

144    La Hongrie soutient que, dans les lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015, la Commission s’est contentée d’évoquer la possibilité d’adopter une injonction de suspension, sans indiquer en substance les raisons qui auraient justifié la nécessité d’adopter cette injonction. Or, le respect de l’obligation de coopération loyale aurait exigé que la Commission et la Hongrie trouvent ensemble une solution qui aurait permis de supprimer les effets anticoncurrentiels des mesures nationales en cause. La Hongrie ajoute à cet égard que, en l’espèce, la Commission a adopté les injonctions attaquées à l’issue d’une procédure extrêmement courte, réduite à un seul échange de courriers.

145    Les circonstances susmentionnées révèleraient également une violation des droits de la défense, plus particulièrement du droit d’être entendu, ainsi que du principe de bonne administration, consacrés par les articles 41, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux. En effet, dans la mesure où la Commission n’aurait pas présenté aux autorités hongroises sa position au fond quant à la nécessité d’une injonction, ces autorités n’auraient pas été mises en mesure de faire valoir leurs arguments avant l’adoption des décisions litigieuses.

146    En outre, la Hongrie fait valoir que les injonctions attaquées l’ont contrainte à modifier sa réglementation avant même que la qualification des mesures nationales en cause d’aides d’État illégales soit examinée. Si la Hongrie avait supprimé ces mesures pour respecter les injonctions attaquées, la Commission aurait clôturé la procédure formelle d’examen et l’aurait privée ainsi de la possibilité de contester la qualification de ces mesures d’aides illégales devant les juridictions de l’Union.

147    La Commission conteste ces arguments.

148    En vertu du principe de coopération loyale, inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités. Ce même principe oblige les États membres à prendre toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. Les États membres sont également tenus de faciliter l’accomplissement par l’Union de sa mission et de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union.

149    L’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit que les États membres informent la Commission, en temps utile pour qu’elle puisse présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Les États membres sont tenus de ne pas mettre à exécution les aides notifiées jusqu’à ce que la Commission se prononce sur leur compatibilité avec le marché intérieur, y compris pendant la phase préliminaire de la procédure, précédant l’éventuelle ouverture d’une procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73, EU:C:1973:152, p. 8).

150    D’une part, il convient de rappeler également que, afin de ne pas bloquer l’action législative des États membres, le règlement no 659/1999 prévoit un délai court de deux mois dans lequel la Commission doit terminer l’examen préliminaire de la notification. En outre, l’article 4, paragraphe 6, de ce règlement prévoit que, lorsque la Commission n’adopte pas de décision terminant la phase préliminaire de la procédure dans le délai de deux mois, l’aide est réputée avoir été autorisée et l’État membre concerné peut la mettre à exécution. D’autre part, la Commission a adopté des règlements déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 TFUE, qui fixent les conditions dans lesquelles certaines catégories d’aides ne doivent plus être notifiées et qui mettent ainsi les États membres en mesure d’évaluer la nécessité de notification. Le règlement applicable en l’espèce ratione temporis est le règlement (UE) no 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 [TFUE] (JO 2014, L 187, p. 1).

151    Enfin, ainsi que cela a été rappelé aux points 25 à 29 ci-dessus, conformément à l’article 13 du règlement no 659/1999, l’examen des aides non notifiées, en violation de l’obligation découlant de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, peut déboucher sur une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen qui oblige l’État membre à suspendre immédiatement la mise à exécution de l’aide en cause. Si un État membre continue à exécuter une aide d’État non notifiée, la Commission est autorisée à lui adresser une injonction de suspension conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. Cette injonction peut également être insérée dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, à condition que l’État membre concerné ait été mis en mesure de se prononcer à ce sujet avant l’adoption de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 47).

152    En l’espèce, comme cela ressort des décisions litigieuses, non contestées sur ce point par la Hongrie, en réponse aux lettres d’information du 17 mars et du 13 avril 2015, les autorités hongroises se sont limitées à déclarer que, selon elles, les mesures nationales en cause ne constituaient pas des aides d’État. Elles n’ont pas présenté d’observations au sujet des injonctions de suspension dont l’adoption par la Commission a été annoncée dans ses lettres. Force est de constater qu’au vu de ces éléments, qui pouvaient être interprétés par la Commission comme créant un risque de refus des autorités hongroises de collaborer dans le cadre de la procédure instaurée par l’article 108 TFUE en se soumettant à l’obligation de suspension, la Commission a pu, sans enfreindre le principe de coopération loyale, utiliser les moyens prévus par le législateur de l’Union pour assurer le respect des articles 107 et 108 TFUE.

153    Contrairement à ce que soutient la Hongrie, l’utilisation de ces moyens par la Commission n’aboutit pas à une violation du droit à un recours effectif. Selon la jurisprudence, les États membres disposent, en effet, d’un recours devant le Tribunal, tant contre les décisions d’ouvrir la procédure formelle d’examen que contre les injonctions de suspension (voir points 39 et 50 ci-dessus).

154    Dans le cadre d’un tel recours, les États membres peuvent contester tant la qualification de la mesure nationale concernée d’aide d’État que sa qualification d’aide nouvelle soumise à l’obligation de suspension, ce qui leur permet de démontrer que cette mesure n’était soumise ni à l’obligation de notification ni à celle de suspension.

155    Les États membres peuvent également, comme le fait la Hongrie en l’espèce, s’abstenir de critiquer la qualification de la mesure concernée d’aide d’État illégale et se contenter de dénoncer les vices de l’injonction de suspension. Toutefois, dans un tel cas, à supposer même qu’un tel recours soit accueilli, il ne pourra pas avoir pour conséquence la disparition de l’obligation de suspension, étant donné que celle-ci se rattache également à la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

156    Par ailleurs, s’agissant du grief tiré d’une violation du principe de bonne administration, il suffit de constater que la Hongrie n’avance aucun argument à son appui. Ce grief doit donc être écarté.

157    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’écarter le quatrième moyen et, partant, de rejeter les recours dans leur ensemble.

 Sur les dépens

158    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

159    En l’espèce, la Hongrie ayant succombé en ses conclusions, tant dans l’affaire T‑554/15 que dans l’affaire T‑555/15, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés dans chacune de ces deux affaires, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      La Hongrie est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Madise

Kowalik-Bańczyk

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 avril 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.

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