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Les femmes victimes du secret des grilles de salaires

L’écart des salaires ne se creuse pas après la naissance d’un enfant, quand les hommes se concentrent sur le travail rémunéré et les femmes sur les responsabilités familiales, mais commence dès l’entrée sur le marché du travail.

Depuis sa création en 1927, la BBC s’enorgueillit d’être une «référence mondiale». Réputée pour son impartialité et la qualité de ses programmes, il est cependant un domaine où la vénérable institution ne fait pas autorité: l’égalité salariale entre hommes et femmes.

Samira Ahmed. (BBC)

Récemment, une nouvelle affaire est venue ternir l’image déjà peu reluisante de la chaîne britannique. Après avoir en vain tenté d’obtenir une paye équivalente à celle de son homologue masculin, Samira Ahmed, animatrice de l’émission Newswatch depuis sept ans, a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux londoniens.

«Au dos de ma carte d'identité BBC, sont inscrites les valeurs de la chaîne, notamment "nous nous respectons et célébrons notre diversité", a-t-elle déclaré. (…) Je demande simplement pourquoi la BBC pense que je ne vaux que le sixième de la valeur du travail d'un homme pour un travail très similaire ( ndlr : Jeremy Vine était payé 3000 livres par émission, contre 440 livres pour la journaliste).»

Les bébés n’expliquent pas tout

Les inégalités salariales, on le sait, ne sont pas propres à la BBC. En Suisse, pour ne citer que notre pays, les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes par heure, selon l'Office fédéral de la statistique. Environ deux tiers de cette différence s’expliquent par des caractéristiques objectives (ancienneté, secteur, statut professionnel). Mais un tiers reste inexpliqué.

Benita Combet. (DR)

De façon intéressante, et contrairement aux idées diffusées avec grand zèle par les économistes et une partie des médias, l’écart des salaires ne se creuse pas après la naissance d’un enfant, quand les hommes se concentrent sur le travail rémunéré et les femmes sur les responsabilités familiales. Il commence dès l’entrée sur le marché du travail, assurent Benita Combet et Daniel Oesch, co-auteurs d’une étude parue en juin 2019 intitulée L’inégalité salariale entre hommes et femmes commence bien avant la fondation d’une famille.

Les auteurs expliquent avoir comparé les salaires d’une cohorte de jeunes adultes sans enfants âgés de 20 à 30 ans. Le constat est sans appel: dans les deux enquêtes menées parallèlement, les femmes gagnent 4 à 5% de moins que les hommes. «Même en tenant compte des différences de formation, d’expérience et de profession, nous trouvons une différence de salaire inexpliquée de 4 à 5%. Exprimé en salaire annuel, cet écart signifie que les jeunes femmes sans enfant touchent un demi-mois de salaire de moins pour les mêmes attributs productifs.

400 francs de différence dans les banques

Dans le domaine de la vente par exemple, au bout d’un an et demi d’expérience professionnelle, les hommes parviennent à franchir le seuil des 4000 francs, alors que les femmes ne gagnent qu’environ 3850 francs.

Daniel Oesch. (FORS)

Dans l’industrie, les jeunes hommes ayant une formation professionnelle supérieure gagnent plus de 6000 francs, tandis que les jeunes femmes gagnent moins de 5800 francs. Enfin, pour les jeunes diplômés universitaires travaillant dans les banques et assurances, les salaires de départ des hommes sont supérieurs de 400 francs à ceux des femmes (après 18 mois d’expérience professionnelle).

«De toute évidence, celui qui ne blâme que les enfants et la famille pour l’inégalité salariale entre les sexes se rend la tâche trop simple», poursuivent les auteurs. Ils ajoutent que cet argument est cependant très pratique sur le plan politique. «Si l’inégalité salariale ne découle que de décisions privées au sein du couple, l’intervention publique sur le marché du travail est inutile.» Autrement dit, cet argument permet aux politiques publiques de se dédouaner de leur inaction.

La croissance dépend aussi des femmes

Pourtant, faut-il le rappeler, la discrimination salariale pénalise autant les femmes que la société dans son ensemble. «L’État doit accorder plus d’aides sociales tout en percevant moins d’impôts et de cotisations aux assurances sociales, note le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes . L’économie dispose d’un réservoir de main-d’œuvre qualifiée plus faible, lorsque les femmes sont insuffisamment présentes sur le marché du travail. Enfin, la discrimination salariale représente une distorsion de la concurrence entre entreprises et peut menacer la paix sociale.»

Contre ces maux, une solution s’impose. «La transparence salariale est un moyen d'action essentiel pour mettre en lumière les écarts de salaire entre les femmes et les hommes dans les entreprises», rappelle l’OCDE. Pour le dire autrement, les écarts surviennent lorsque les salaires sont négociés individuellement, au lieu d’être fixés selon une grille établie et transparente.

Un logiciel qui lutte contre les disparités salariales

A cet égard, des outils simples sont à la disposition des employeurs. Fabio Ronga, CEO et co-fondateur de l’entreprise nyonnaise beqom , vient de recevoir le prix EY Entrepreneur de l’année 2019 dans la catégorie Commerce/Service. «Nous avons créé un logiciel qui cible le problème de l’écart salarial entre les sexes. Il aide les cadres à définir et à communiquer la manière de rémunérer leurs employés, en matière de salaires, bonus, commissions, stock-options ou autres avantages en nature afin de garantir une rémunération équitable, puis de la communiquer de façon transparente aux intéressés. Il n’est plus possible de fixer arbitrairement un salaire.»

Il ajoute que le manque de transparence est démotivant pour les employés. «Un salarié veut comprendre son rôle, sa mission dans l’entreprise et être convaincu qu’il est rémunéré de manière équitable. C’est plus que jamais fondamental avec les nouvelles générations.»A noter que des sociétés comme Microsoft, Vodafone et BNP Paribas ont déjà sélectionné beqom pour gérer le processus de rémunération et de performance de leurs collaborateurs.

Rappelons enfin que les employés peuvent agir à leur niveau pour lutter contre l’opacité des salaires. Plusieurs syndicats et associations alémaniques à l’origine du site Zeig deinen Lohn («montre ton salaire») encouragent ainsi les travailleurs à publier leur salaire mensuel brut, accompagnés de leur nom, fonction et auto-portrait. Un millier de personnes l’ont déjà fait, et le phénomène s’étend en Suisse romande.