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Ces biais cognitifs qui nous gouvernent

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Par Yann Verdo

Publié le 5 nov. 2012 à 01:01

S'il est un livre dont la lecture devrait être rendue obligatoire dans tous les conseils d'administration, comités de direction et autres lieux de prise de décision, c'est bien celui-ci : « Système 1/Système 2 : les deux vitesses de la pensée ». Et pas seulement parce que son auteur est prix Nobel d'économie ou classé par Bloomberg parmi les 50 personnalités les plus influentes de la finance globale. Professeur émérite à Princeton, spécialiste mondialement reconnu de la psychologie cognitive et figure tutélaire de l'économie comportementale, Daniel Kahneman est surtout porteur d'un message dérangeant mais essentiel : « Nous ne pensons pas de la manière dont nous pensons penser », explique-t-il dans un entretien aux « Echos ».

Nous croyons penser de façon rationnelle, ou du moins raisonnable; nous avons foi en notre intuition; nous tenons pour acquis le fait que nos jugements ou nos décisions ont une base solide. En réalité, démontre avec force l'auteur au fil du livre, nous sommes tous, presque continuellement, le jouet d'un grand nombre de biais cognitifs, analogues mentaux de ces illusions d'optique qui trahissent si facilement notre sens visuel.

La psychologie cognitive nous enseigne que l'esprit humain, tel Janus, présente deux visages, que Daniel Kahneman décrit comme deux personnages fictifs cohabitant sous notre crâne, le Système 1 et le Système 2. Tout les oppose : l'un, le Système 1, est rapide, intuitif, émotionnel et fonctionne en mode automatique, sans que nous ayons conscience de son travail ni même de son existence. L'autre, le Système 2, plus lent, plus réfléchi, plus calculateur, contrôle le premier; il ne s'active que pour effectuer une tâche cognitive bien précise, au prix d'un certain effort mental.

Travail de filtrage
Cet effort n'est pas neutre dans la mesure où l'énergie mentale permettant au Système 2 de fonctionner n'est pas illimitée. Quand la jauge est trop basse, les psychologues parlent d'épuisement de l'ego. « Des expériences ont montré que les juges des détentions, chargés d'éplucher les demandes de liberté conditionnelle, se montrent sensiblement plus sévères dans les deux heures qui précèdent leur pause que dans les deux heures qui la suivent. Pourquoi ? Parce que l'épuisement de l'ego juste avant la pause les pousse inconsciemment à faire le choix par défaut, celui qui leur demande le moins d'efforts et qui est de rejeter la demande », raconte Daniel Kahneman. C'est l'autre caractéristique majeure du Système 2, son incorrigible paresse !

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Son rôle est de vérifier la réponse intuitive que le Système 1 fournit immédiatement à une question. Mais il s'affranchit bien souvent de ce travail de filtrage, comme le montre cette devinette devenue un classique de la psychologie cognitive : une batte et une balle coûtent 1,10 dollar; la batte coûte 1 dollar de plus que la balle; combien coûte la balle ? Plus de 50 % des étudiants de Harvard, du MIT et de Princeton, si intelligents soient-ils, ont répondu 10 cents. Mais cette réponse intuitive est fausse, la bonne réponse est 5 cents. Mais ce travail de vérification, si simple et rapide soit-il, leur Système 2 s'en est exempté. Par paresse.

Plus troublant encore : soumettez à la même catégorie d'étudiants la même devinette, mais écrite dans une police de caractères plus pâle, et donc moins lisible : le taux d'erreurs baisse de plus de moitié ! « La légère tension cognitive provoquée par cette difficulté de lecture mobilise le Système 2, qui fait alors son travail de vérification », décrypte Daniel Kahneman.

C'est dire si nombre de nos réponses, jugements ou décisions, que nous croyons produits par notre moi conscient, proviennent en fait de notre Système 1. Au coeur de son fonctionnement se trouve la mémoire associative, ce réseau non seulement de souvenirs, mais aussi d'idées, d'émotions et de préférence, qui s'activent en un clin d'oeil et se renforcent mutuellement. Un mode de pensée efficace (et que les chercheurs en intelligence artificielle tentent de reproduire), mais qui a ses failles. L'une des principales est qu'il aboutit à nous donner du monde une image plus cohérente qu'il ne l'est. Comme si nous avions sur le nez des lunettes aux verres déformants, grossissant certains éléments tout en rapetissant ou en occultant d'autres, afin de nous permettre d'en faire une lecture qui ait du sens.

L'autre grande caractéristique du Système 1, liée à la précédente et elle-même à l'origine de multiples biais cognitifs, est sa propension à préférer les explications causales aux explications statistiques, pourtant, dans de très nombreux cas, seules pertinentes. « Nous nous identifions naturellement à notre Système 2. La vérité est que nous sommes bien davantage le produit de notre Système 1 », conclut, doux-amer, le psychologue.

YANN VERDO

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