"Islamique", "islamiste" : la fâcheuse confusion de François Fillon

"Islamique", "islamiste" : la fâcheuse confusion de François Fillon
François Fillon, candidat de la droite et du centre pour la présidentielle 2017, ici à Paris le 25/10/16 (CHAMUSSY/SIPA) ( FRANÇOIS FILLON, CANDIDAT DE LA DROITE ET DU CENTRE POUR LA PRÉSIDENTIELLE 2017, ICI À PARIS LE 25/10/16 (CHAMUSSY/SIPA))

Surpris par le titre du dernier ouvrage du candidat de la droite à la présidentielle, le philosophe et essayiste Abdennour Bidar observe : "Le diable est dans les détails, surtout quand on parle de religion..."

Par Le Nouvel Obs
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Abdennour Bidar est philosophe, essayiste, spécialiste de l'islam et des évolutions contemporaines de la vie spirituelle. 

J'ai lu attentivement le livre de François Fillon "Vaincre le totalitarisme islamique". Une question m'a très vite accompagné. Pourquoi "islamique" dans le titre puis "islamiste" dans le livre lui-même ? Page 48, plus précisément : "Si je parle de totalitarisme islamiste, c'est en connaissance de cause et non pour faire rouler ces mots dans ma bouche." Le diable est dans les détails, surtout quand on parle de religion…

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L'islamisme, comme l'explique très bien François Fillon plus loin, c'est "la montée d'un islam rigoriste, peu importe qu'on l'appelle islamisme, salafisme ou fondamentalisme, et qui est à l'œuvre partout dans le monde, à commencer par le monde musulman". En effet, mais alors ma fausse naïveté s'étonne : comment se fait-il que cette pathologie "islamiste" de l'islam soit appelée "islamique" dans le titre, comme si le mal était dans l'essence même de l'islam ?

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Le mot "islamique" désigne simplement en effet ce qui relève de la civilisation de l'islam : philosophie islamique, art islamique, religion islamique, etc., tandis qu'"islamiste" désigne proprement ce qui dans cette civilisation relève d'un radicalisme religieux. Le "totalitarisme islamiste" ne peut donc pas être qualifié en même temps d'"islamique", ou bien c'est la civilisation même de l'islam qui est associée à ce totalitarisme…

L'islam se caricature

Le titre du livre induit très fâcheusement cette confusion. Il fait croire que l'islam est l'ennemi, alors que c'est l'ennemi de l'islam qui est notre ennemi à nous aussi : ce mal du radicalisme qui dénature, détruit, pervertit aujourd'hui un peu partout la civilisation et la spiritualité de l'islam. A la décharge de François Fillon, il faut en effet dire et répéter que la civilisation de l'islam se caricature si constamment aujourd'hui qu'elle est menacée d'être recouverte tout entière par l'islamisme.

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Le totalitarisme exercé par le radicalisme religieux sur cette civilisation écrase presque partout la diversité de ses cultures sous le joug d'une religiosité uniforme, et, si rien n'est fait pour l'empêcher, rien d'autre demain ne subsistera que cette hégémonie. Lorsque les choses auront dégénéré à ce point, ce sera alors en vain qu'on voudra encore objecter que l'islam est autre chose que l'islamisme… Car on réclamera les droits d'un mort.

L'islamisme est un islamicide

L'islamisme est un islamicide. La civilisation de l'islam qui paraît si conquérante est en danger de mort - sa reconquête ou conquête d'espaces dans les sociétés et les consciences est en fait une sorte de métastase ou de prolifération cancéreuse qui la tue. Et pour dénoncer cela, je ne peux que reprendre les efforts de mes devanciers Mohammed Arkoun, Abdelwahab Meddeb et Malek Chebel (paix à leurs âmes), qui ont essayé de mettre les musulmans en garde contre l'idéologie mortelle qui contamine aujourd'hui hélas tant de consciences :

"Attention, ce que vous appelez 'islam' quand vous parlez de soumission à Dieu, de soumission à la loi religieuse, de soumission à des règles morales ancestrales, de soumission des femmes à des rôles et vêtements stéréotypés, d'une soumission à venir de tous les peuples de la terre à l'islam, tout cela vous trompe, c'est un islamisme qui veut se faire passer pour la spiritualité authentique de l'islam."

Celui-ci ne signifie pas soumission, contrairement à ce qui trop souvent a été enseigné depuis le berceau, mais "paix" et "consécration de soi au Bien". Et là, je suis d'accord avec vous, monsieur Fillon, "contre Daech, nous livrons un combat pour des valeurs qui rassemblent tous les êtres de bien, croyants ou non, monothéistes ou pas, chrétiens, juifs ou musulmans".

Abdennour Bidar

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