Le courrier de la sommelière

Mystérieuse minéralité

Essayer de décrire un vin n’est pas un exercice facile. Entre amis, autour d’une bouteille, ça va encore, on cherche les mots, et on finit par se comprendre parce que c’est plus facile quand on a le vin sous la main. Mais lorsqu’on cherche à décrire un vin à des gens qui n’en ont pas un verre sous le nez, la tâche s’avère beaucoup plus complexe.

Je me questionne toujours sur ma façon d’en parler. Souvent, quand je me relis, je trouve que ça ne veut rien dire, que je n’arrive pas à bien faire passer ce que je ressens. Quand une note de dégustation ressemble à une liste d’épicerie – une simple énumération d’arômes –, ça ne dit pas grand-chose sur le vin. Mais c’est comme ça qu’on nous a appris l’évaluation sensorielle, et c’est difficile de s’en sortir. Il n’est pas facile de se défaire de ses acquis.

Et encore, quand on dit pomme, réglisse ou vanille, la plupart des gens comprennent au moins à quoi on fait allusion. Mais d’autres mots sont beaucoup moins clairs, même pour ceux qui les utilisent. « Minéralité », que j’emploie fréquemment, fait partie de ces mots-là. Chaque fois, je me demande : combien de personnes n’ont aucune idée de ce que je parle ? Parce que ce n’est vraiment pas très clair…

Lorsqu’on parle de minéralité, on fait référence à des arômes qui n’entrent dans aucune autre catégorie.

Pour aider à l’identification des arômes du vin, on les a séparés en plusieurs grandes familles : les arômes de fruits, d’épices, de végétaux et d’herbes, de fleurs, de bois (torréfaction, vanille, caramel, etc.), de terre, les arômes chimiques et ceux du monde animal. Mais parmi les centaines d’arômes qui peuvent être présents dans le vin, certains n’entrent dans aucune de ces cases. Des arômes qui rappellent la mine de crayon, la craie, la pierre à fusil ou le carburant. Je dis même parfois qu’un vin est caillouteux. Ça peut sembler absurde : la mine de crayon et le pétrole ont bien une odeur, mais les roches ? On va même plus loin en parlant parfois de granite, d’ardoise ou de calcaire. Et pour compliquer les choses, il n’est pas seulement question d’arômes, mais aussi de texture, de sensations tactiles en bouche.

« Minéralité » est un terme qui est très contesté. Parce que les minéraux présents dans un sol où pousse la vigne ne se retrouvent pas dans le vin qui y est produit. Pas plus que les roches des sols. Les scientifiques le répètent sans cesse. Et on est entièrement d’accord. Mais on essaie tout simplement de mettre des mots sur des sensations.

Ce qui me rassure, c’est que de nombreux scientifiques, amateurs de vin, comprennent de quoi on parle, même s’ils ne peuvent, encore, l’expliquer.

Toutes sortes d’hypothèses ont été avancées. Certains disent que nous confondons minéralité avec acidité ou avec salinité. Je ne le crois sincèrement pas. Tout d’abord, l’acidité et la salinité sont uniquement des goûts, pas des arômes. Ils peuvent en effet accentuer l’impression de minéralité dans un vin. Mais je retrouve des arômes que je qualifie de minéraux dans des vins rouges de climats chauds, donc avec une faible acidité. Et le sel est pour moi un goût très distinct, qui n’a rien à voir avec le caractère crayeux ou caillouteux d’un vin que je qualifie de minéral.

Ce débat autour de la minéralité soulève une tout autre question. Est-ce qu’on a vraiment besoin de tout expliquer ? De tout comprendre ? 

Le vin est un sujet infiniment vaste et complexe, qui recèle encore beaucoup de mystères. Et ces mystères font indéniablement une grande partie de son charme. Un vin que je déguste et qui m’interpelle, qui pique ma curiosité, m’allume beaucoup plus qu’un vin qui ne me réserve aucune surprise. Est-ce qu’on ne peut pas tout simplement se laisser emporter par l’inconnu, l’inexplicable, sans vouloir à tout prix tout comprendre ?

Chercher à y parvenir est fascinant, et l’apprentissage continu est ce qui rend beaucoup d’amateurs de vin accros. Mais encore plus, c’est le plaisir ! Le plaisir de partager, de découvrir, d’être interpellé, de discuter, d’échanger. D’essayer de comprendre. Le jour où l’on aura tout compris sur le vin, il deviendra sûrement moins intéressant.

On ne prétend pas avoir le vocabulaire idéal pour décrire les vins, et surtout pas la vérité absolue. On essaie simplement, tant bien que mal, de trouver la façon la plus juste de transmettre nos impressions.

CINQ VINS À DÉGUSTER

Jean Perrier & Fils Savoie Apremont Cuvée Gastronomie 2015

Très belle introduction aux vins blancs de Savoie, ce vin à base du cépage jacquère a des arômes fruités intenses, de pommes et de poires bien juteuses. Simple, mais très franc, frais et goûteux, et indéniablement charmeur. Parfait pour une raclette, une fondue au fromage ou tout simplement à l’apéro. Garde : de un à trois ans.

17,55 $ (11965182) 11,5 %

Domaine Cauhapé Chant des Vignes Jurançon Sec 2015

Élaboré avec les cépages gros manseng et camaralet aux pieds des Pyrénées, dans le sud-ouest de la France, ce vin offre d’abord des arômes d’herbes et d’agrumes qui rappellent le sauvignon blanc, puis des arômes de fruit très mûr, de pêche et d’abricot. En bouche, il est ample, presque caressant, avec ce fruit très mûr qui lui donne de la plénitude, équilibré par une grande fraîcheur. Les notes herbacées et de très légers tanins ajoutent complexité et texture à la finale. Riche, mais aussi leste et tonique. Très beau vin pour la table, où il accompagnera à merveille des poissons ou fruits de mer cuisinés aux agrumes ou des pétoncles poêlés sur une purée de chou-fleur aux poires.

18,40 $ (11481006) 14 %

Benjamin Bridge Brut 2009

Je vous parlais en janvier de ce producteur de la Nouvelle-Écosse qui fait des vins mousseux de toute première classe. En voici un bel exemple. Élaboré avec le cépage phare de la vallée de Gaspereau, l’acadie, avec un peu de chardonnay et de seyval, selon la méthode champenoise, avec un vieillissement sur lies de trois ans. Beaucoup de classe et d’élégance : des arômes délicats de poire, d’agrumes et de brioche, des bulles très fines et vives, une excellente tenue en bouche et une longue finale. Complexe, mais subtil, délicat, élancé, et aussi ferme, doté d’une acidité franche qui lui permettra encore de se développer pendant au moins quatre à six ans. Superbe apéritif, mais encore meilleur à table avec des huîtres gratinées, du crabe ou un tartare de poisson.

45,75 $ (13217663) 11,5 %

Montsecano Pinot Noir Refugio Valle de Casablanca 2015

Sans aucun doute l’un des meilleurs pinots noirs d’Amérique du Sud. Incontestablement pinot, avec ses arômes de fruits rouges, de rhubarbe et de terre fraîche, mais avec une bouche plus mûre, plus soyeuse qu’un pinot du Vieux Monde. Frais et juteux en bouche, avec juste ce qu’il faut de tanins sur une longue finale aux accents de sous-bois. À passer en carafe une heure ou deux avant le service, et accompagner de poulet rôti aux légumes racines, de pâtes aux champignons ou à la saucisse avec tomates séchées. Garde : de deux à quatre ans.

26,10 $ (12184839) 14 %

Ar Pe Pe Rosso di Valtellina 2014

Nichée tout au nord de la Lombardie, en Italie, la région de Valtellina, voisine de la Suisse, est reconnue pour le cépage chiavennesca. En fait identique au nebbiolo du Piémont, mais avec ici un caractère plus alpin. Entre les mains de l’un des meilleurs vignerons de l’appellation, et élaboré de façon très traditionnelle, ça donne un vin émouvant, plutôt pâle mais parfumé, avec des arômes de cerise, de fleurs séchées, d’épices. Beaucoup de vitalité en bouche, de l’éclat, un fruit pur, le tout porté par une acidité presque vive mais très bien intégrée, et des tanins plutôt souples. Parfait pour un bœuf braisé à l’anis, des pâtes sauce à la viande et aux tomates, ou encore un osso buco. Garde : de cinq à huit ans.

38 $ (12257997) 13 %

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