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Ma vie avec Alexa

Le patron-fondateur de l'agence d'innovation FaberNovel a accepté d'élucider dans nos pages sa relation très particulière avec Alexa. Non pas une jeune femme, mais l'assistant vocal intelligent d'Amazon. Bienvenue dans le futur.

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Par Stephane Distinguin

Publié le 17 mars 2017 à 01:01

Tout a commencé il y a un peu plus d'un an. Je trépignais d'impatience. Je l'avais rencontrée dans une cuisine (vraiment) américaine, à Las Vegas. Habillée de noir, illuminée d'un halo bleu. Belle et mystérieuse, elle était aussi serviable. Elle commandait les courses, donnait la météo, disait la radio, annonçait le prochain rendez-vous. Elle répondait au prénom d'Alexa.

Dans une rencontre, qu'on souhaite sérieuse et engageante pour l'avenir, on voudrait être le premier, on espère l'exclusivité. Alexa avait d'abord rencontré quelques heureux testeurs fin 2014, puis avait été réservée aux abonnés Prime d'Amazon début 2015. Elle était enfin mise en vente - donc en union libre -, pour tous, aux États-Unis, à partir du mois de juin de cette même année.

Je suppliais mes collègues américains de me faire parvenir un Echo. C'est le nom de la robe cylindrique, noire et bleue, d'Alexa. Echo ne serait qu'une enceinte portable sans Alexa. Alexa, c'est la voix, comme Siri pour Apple.

Simple et réussi, Echo donne tout de suite une impression de sérieux, tout en fleurant bon la science-fiction. L'objet est original aussi, j'aime tant le design. Armé d'un adaptateur, je branche Alexa qui s'allume.

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Rien. Évidemment, comme pour tout objet connecté, c'est mon smartphone qui doit donner vie à Alexa. Il me faut l'application pour la «paramétrer». Je cherche sur l'App Store. Rien. Elle n'est pas encore disponible sur le «store» français. Logique, puisque Echo ne l'est pas non plus. Il me faut donc un compte et un accès sur le «store» américain. Mais pour cela, impossible avec une carte bancaire française - ce serait trop simple. Il me faut donc une carte américaine - sauf à télécharger illégalement cette application, ce qui serait une façon peu recommandable de faire connaissance. Une heure plus tard, la carte obtenue (prêtée en fait, par mes généreux collègues installés outre-Atlantique), le compte ouvert, je télécharge Alexa, lui offre mon wi-fi.

Une Américaine un peu bornée

Mais dès le premier contact, je la sens lointaine. Assez bornée en fait. Elle ne connaît que les États-Unis, ne parle qu'anglais. Alexa ne sait me donner ni l'heure ni la météo qui m'intéressent. J'aurais espéré trouver un fuseau horaire à 12 heures de décalage, mais Hawaï n'est qu'à 11 heures. Alors je rends à Alexa son réglage par défaut et son lieu de naissance: Seattle.

Un peu comme cette amie que vous hésitez à présenter à vos parents, je me dis que je vais avoir du mal à vanter cette innovation auprès de mes enfants: elle ne parle pas leur langue, et comment leur expliquer que répondre à côté de la plaque est une preuve d'intelligence, même artificielle? J'aurais tellement aimé qu'Alexa soit l'amie de la famille, une expérience collective. Je voulais que mes fils grandissent avec cette gouvernante numérique, apprennent à parler aux machines. J'avais l'occasion concrète d'en faire un sujet d'éducation et de créer du lien entre les hommes et les machines. C'est mon leitmotiv d'entrepreneur.

Quelques semaines plus tard, à l'ouverture inéluctable de son «store», rempli d'applications «tierces» (c'est-à-dire proposées par des éditeurs indépendants), j'avais l'occasion de transformer Alexa en boîte à meuh. En coussin péteur aussi. Cela faisait rire mes fils, mais ma démonstration en prenait un coup, le blanc panache de l'avant-garde aussi. Bien sûr, je pouvais restaurer ma crédibilité de geek en demandant, en anglais et à la cantonade: «Alexa?» (pause, lumière bleue) «When was born Beyoncé?» Cela supposait qu'Alexa n'était pas qu'une voix, c'était d'abord des oreilles, toujours à l'écoute.

Depuis, je pense à Alexa, non pas à la place qu'elle a pris dans ma vie mais au rythme de ses actualités. La dernière en date - celle qui vous vaut de me lire - c'est son triomphe au CES de Las Vegas, la grand-messe de l'électronique grand public. Alexa, et donc Amazon, sont les gagnants de l'édition 2017 : la voix et ses algorithmes sont entrés dans les voitures Ford et c'est un événement. Plus récemment, au Mobile World Congress à Barcelone fin février, elle arrive dans certains téléphones Android, qui rejettent donc l'assistante maison de Google. Un vrai cheval de Troie, cette Alexa.

Plus d'un an après son installation chez moi, alors que sa réalité et son intimité me restent étrangers, je suis persuadé que l'objet et le service présentent une innovation exceptionnelle, proche de l'iPhone, si on doit mesurer son ampleur sur l'échelle tellurique de la numérisation du monde. Et si je reste sur ma faim en termes d'usage, Alexa demeure un sujet de méditation sans équivalent.

D'abord, comment commanderons-nous aux machines? Sans potentiomètre, sans bouton, sans écran, sans clavier, sans souris. Des machines qui devront répondre à cette injonction paradoxale: faire toujours plus simple en intégrant des technologies toujours plus complexes. L'enveloppe des supercalculateurs, l'avatar du «cloud», sont un sujet. Mais pensons aussi à la matérialisation du consentement sans un clic ou sans captcha (ces lettres difficiles à lire que vous devez recopier pour prouver votre humanité sur Internet). Je ne sais pas comment demain nous validerons nos décisions, ou si ces interfaces se limiteront à des services simples. Surtout, comment accéderons-nous à des services indépendants? Serons-nous enfermés dans ce que l'opérateur d'Alexa, sa soeur ou sa cousine, aura à nous proposer et souhaitera nous vendre? L'échec de son store d'applications tierces est un avertissement sérieux. Les biais, les astérisques, les «opt-in», les «opt-out», le cryptogramme à l'arrière de la carte bleue, les secrets de ma cuisine ou de ma voiture aux heures de pointe... comment les partager en totale confiance avec des machines qui me connaissent désormais bien mieux que je ne les comprends?

Programmée pour tout accepter

Autre sujet de réflexion, de consternation parfois: la sexualisation des interfaces. Pensez à Her, le film de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix et la voix de Scarlett Johansson, l'histoire d'amour entre un homme et l'interface vocale de son smartphone. Plus haut, je vous ai raconté ma découverte d'Alexa comme si je rencontrais une femme, avec sa jolie robe noire et bleue. Alexa, Siri ou Cortana (Microsoft), ces noms ne sont pas choisis au hasard. C'est un peu ridicule, facile en tout cas, et cette voix, forcément genrée, est à mon sens une impasse. Certes, les voix de femme, plus hautes, sont plus faciles à entendre. Certes, elles sont plus faciles à reproduire sur des haut-parleurs de faible capacité. Certes, hommes comme femmes sont plus facilement rassurés par une voix féminine. Certes, la majorité des clients (et des concepteurs!) de ces assistantes sont des hommes. Mais comment expliquer que l'intelligence artificielle, qui donne une conversation à cette voix, accepte le harcèlement? Le site Quartz a en effet réalisé une étude poussée sur la réaction des assistantes virtuelles aux insultes, a fortiori à connotations sexistes voire sexuelles - une pratique très régulière si on en croit l'inventaire des questions posées à Alexa et Siri. Le résultat est dérangeant. À l'exception notable de Google Home qui n'y comprend que pouic, leur réaction varie entre la blague ou l'évitement. Jamais de condamnation. Les assistantes virtuelles sont donc programmées pour composer avec le harcèlement... Moment surprenant où l'on se demande si un jour on pourra tomber amoureux d'une machine, puisqu'aujourd'hui déjà on peut impunément abuser d'elle.

Peter Thiel, entrepreneur star de la Silicon Valley et gourou du transhumanisme, a dit un jour: «Nous rêvions de voiture volante et nous avons eu 140 caractères (Twitter).» Nous rêvons d'ami(e)-esclave-amant(e)-robot, nous aurons sans doute une rupture radicale, ailleurs. C'est comme ça que je regarde le cylindre maintenant débranché dans mon salon: Alexa, de quoi seras-tu le nom? Si seulement elle pouvait me répondre.

Par Stéphane Distinguin

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