Tribune

Contre le racisme et l'Etat policier

Plusieurs personnalités du monde universitaire et militants invitent, dimanche à 14 heures à Paris au départ de Nation, à la Marche pour la justice et la dignité à l’initiative de familles victimes de crimes policiers.
par Immanuel WALLERSTEIN, sociologue, Keeanga-Yamahtta Taylor, écrivaine, Bhaskar Sunkara, fondateur et directeur de publication de «Jacobin Magazine», Kristin Ross, essayiste, professeur de littérature, David Harvey, géographe, Ramon Grosfoguel, sociologue et Angela Davis, universitaire et militante politique
publié le 18 mars 2017 à 10h51

De Ferguson à Bobigny, une même génération égraine les prénoms comme autant de promesses de luttes sans relâche ; aux noms de Trayvon Martin, Michael Brown, Eric Gardner répondent les slogans en français : «Zyed et Bouna, on n’oublie pas», «Pour Rémi, ni oubli ni pardon», «Vérité pour Adama», «Libérez Anto», «Justice pour Théo», etc.

Ce qui se joue aujourd’hui, c’est une vague de contestation profonde des institutions policières et judiciaires et, en particulier, de l’emprise de la police et des appareils répressifs sur les communautés noires et arabes.

La récente «affaire Théo» a suscité, à juste titre, un émoi national – voire international. Pour être à la hauteur de cette indignation, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’en appeler à des poursuites judiciaires à l’encontre des policiers impliqués dans cette affaire. Ils ne sont pas les seuls à devoir porter le lourd fardeau de notre histoire et de la violence d’Etat. Nous ne voulons pas dire par là que les individus n’ont pas à rendre compte de leurs actes : chaque individu qui se livre à un acte raciste, à un acte de terreur d’une telle violence, doit évidemment être tenu pour responsable. Mais nous devons garder en tête ce qui rend de tels actes possible.

La violence raciste est à replacer dans la continuum colonial et esclavagiste, mais cette histoire longue ne doit pas nous faire oublier pour autant à quel point le contexte actuel est absolument déterminant. La France vit aujourd’hui au rythme des prolongations d’un Etat d’urgence qui semble ne plus jamais finir. L’exception devient la règle : les musulmans se sont vu perquisitionner en masse, les interdictions de manifester ont plu à tout-va, les yeux crevés et les blessés graves touchés par des grenades de désencerclement n’ont en rien arrêté la militarisation ahurissante de la police française. Il ne faut donc pas s’étonner que des agents de police se sentent au-dessus des lois. Rien n’est fait pour contrer ce sentiment d’impunité : aux lendemains des actes perpétrés à l’encontre de Théo, les parlementaires français votaient la loi de sécurité publique qui élargit encore davantage les conditions sous lesquelles il devient légitime pour la police d’exercer une violence disproportionnée, et même de tuer.

On parle beaucoup de la question de la violence mais rarement de cette violence légitime, institutionnalisée. Les soulèvements urbains qui ont secoué Aulnay-Sous-Bois et d’autres cités françaises disent surtout combien la jeunesse est démunie face à ce qui ressemble à une toute-puissance policière – mais aussi combien elle ne compte pas se laisser faire pour autant. Tous ceux et celles qui se considèrent du côté des luttes d’émancipation n’ont aucun intérêt à mettre ces violences dos-à-dos. Notre tâche n’est pas de dissocier les bons manifestants des casseurs, les émeutiers et les riverains, etc.

N’oublions jamais, depuis les prodigieux soulèvements arabes de 2011, que les révoltes urbaines – celles que les puissants qualifient avec mépris d'«émeutes» – ont fait trembler et tomber des régimes. Voilà un horizon qui en inquiète certainement plus d’un, et qui devrait nous orienter dans les temps (sombres) qui viennent.

Pour notre part, nous vivons actuellement sous le régime de Donald Trump. Il est probablement inutile de revenir sur le décret de la honte qui a marqué ses premières heures : l’interdiction d’entrée sur le territoire des voyageurs musulmans, y compris porteurs d’un titre de séjour prolongé. Face à cette mesure, des milliers de personnes ont pris les rues, occupé des aéroports. Il y a eu les marches et une grève des femmes.

Pour l’heure, un certain nombre d’Etats et de magistrats fédéraux sont parvenus à empêcher la mise en œuvre du décret. Mais c’est ici l’occasion de préciser une chose : il ne s’agit en aucun cas de faire confiance aux institutions des Etats-Unis pour résister à Trump. C’est le piège dans lequel les libéraux (liberals) entendent nous enfermer. Il sera très facile à l’administration Trump de reformuler ses mesures pour les rendre acceptables aux yeux des magistrats de ce pays – qui sont, il faut le rappeler, dans une très grande partie des membres du Parti républicain. Il ne faut pas non plus oublier que les propositions actuelles de Trump sont en continuité avec l’héritage de Barack Obama (qui a davantage expulsé de migrants que ses prédécesseurs).

On ne peut donc compter que sur nos propres forces pour renverser le cours des choses. C’est une leçon que nous croyons importante pour la France, à la veille d’une élection qui risque fort de donner le pouvoir à un Trump à la française.

C’est pourquoi la jeunesse des quartiers et d’ailleurs, le mouvement social dans toute sa diversité et tout ceux et celles qui n’ont pas encore baissé les bras doivent se donner rendez-vous à Paris dimanche 19 mars à 14 heures (au départ de Nation) pour la Marche pour la justice et la dignité à l’initiative de familles victimes de crimes policiers : celles de Lahoucine Ait Omghar, Amine Bentounsi, Hocine Bouras, Abdoulaye Camara, Lamine Dieng, Wissam El Yamni, Amadou Koumé, Morad Touat, Ali Ziri, Jean-Pierre Ferrara, Rémi Fraisse et Babacar Guèye. Ce sera l’occasion pour nous de taper tous ensemble sur le même clou au même moment : contre le racisme et l’Etat policier.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus