Vin : Pétrus, comment naît un mythe

Avant la guerre, ce pomerol était un vin "comme les autres", aujourd'hui, il brille au firmament des grands crus de Bordeaux. Explications.

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Photo d'illustration. © Maxppp

Temps de lecture : 5 min

Il n'existe pas de classement pour les pomerols et ce n'est guère d'actualité. La hiérarchie s'établit autour du prix, de la réputation façonnée au fil du temps et de la demande. Et compte tenu des démêlés qui ont suivi les deux dernières tentatives de classement chez le voisin saint-émilion, ceux de pomerol se trouvent bien ainsi. Une tradition récente mais bien établie fait que l'on considère Pétrus comme faisant partie de la très fermée famille des grands premiers historiques, comme Lafite, Margaux, Latour, Haut-Brion, Mouton, Cheval-Blanc ou Ausone. Pourtant, la célébrité de ce domaine est tout à fait récente, du moins sur l'échelle des crus... La notoriété de Pétrus n'est pas le fruit d'une cogitation marketing élaborée avenue Montaigne ou à Wall Street. Mais plus simplement le résultat d'une saine gestion et de l'obstination d'une aubergiste, Edmonde Loubat, dite "Tante Lou".

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Dans les années 1920, les Loubat sont propriétaires d'un établissement réputé localement, situé en face de la gare de Libourne. Edmonde s'intéresse au vin et possède le sens des affaires. Elle croit notamment en l'avenir d'un petit domaine de 10 hectares (11,5 aujourd'hui) situé au coeur du vignoble de Pomerol et dont une famille, les Arnaud, a réussi, tout au long du XIXe siècle, à lui établir une assez bonne réputation. Ils lui ont donné le nom du premier pape, Petrus - Pierre, en latin. Pétrus est recherché par le commerce et il se négocie à peu près au même prix que de bons crus du Médoc, mais toutefois bien loin des prix de Lafite et consorts. Edmonde Loubat achète des parts de Pétrus et en devient l'unique propriétaire en 1945. Elle a compris très vite que, si le classement de 1855 a quelque peu figé les représentations dans le Médoc, du côté de Libourne tout est encore possible.

Pomerol se remet à peine de la crise phylloxérique, les terres se vendent plus cher en périphérie de la ville, pour bâtir, qu'au coeur de l'appellation, pour faire du vin. La réputation de chaque domaine dépend de l'énergie avec laquelle son propriétaire la défend. De l'énergie, d'après tous les témoignages des contemporains, Edmonde Loubat en possède à revendre. Voyages, culot, elle pousse les portes, occupe les salons, persuade tout ce qui compte comme gosiers d'importance. Elle sort Pétrus de son anonymat et rompt le cercle des fervents discrets à coups d'opérations spectaculaires. Elle présente même ses bouteilles aux grands d'Angleterre, lors des épousailles d'Elizabeth. Elle s'associe bientôt avec le marchand qui, lui aussi parti de rien dans les années 30, est en passe de devenir le numéro un du commerce du vin rive droite : Jean-Pierre Moueix.

Le vin culte des Kennedy

Ce jeune chef d'entreprise est né en 1913, en Corrèze (comme la plupart de ceux qui sont devenus négociants du Libournais). Ses parents sont venus s'installer à Libourne au moment de la crise de 1929. Il crée sa maison de négoce en 1937, à 24 ans, quai du Priourat, où elle demeure, sensiblement agrandie aujourd'hui. Lui va organiser la vente et créer le mythe : Pétrus devient le vin culte des Kennedy. D'abord marchand exclusif, Jean-Pierre Moueix intervient bientôt dans la conduite du vignoble et des vinifications jusqu'à la disparition d'Edmonde Loubat en 1961... Sans enfant, elle a cependant deux héritiers : son neveu, Jean-Louis Robert Lignac, et sa nièce, Lily Paul Lacoste. En 1964, la branche Lignac vend sa part - la moitié de Pétrus - à Jean-Pierre Moueix. En 1972, Jean-Pierre Moueix décide de régler sa succession. Il cède ses parts de Pétrus à Jean-François, qui lui, de son côté, rachète l'autre moitié à Lily Lacoste et devient donc l'unique propriétaire. Jean-François est par ailleurs un important négociant en grands crus de la place bordelaise.

Pomerol n'a pas d'unité de sols. On trouve en majorité un mélange d'argile et de calcaire sous forme de cailloux ou de petits galets : les graves. À certains endroits, près de Libourne et de l'autre côté de la route qui mène à Périgueux, ce sont des terrains sablonneux avec çà et là des îlots de fines graves. En dessous, à des hauteurs très variables, de l'argile assez pure, mais là aussi de différentes qualités. À Pétrus et autour, au plus haut de l'appellation, ces argiles affleurent. À Trotanoy (autre grand cru de Pomerol), ce sont des "illites", le nom vient de l'Illinois aux États-Unis. À Pétrus, elles sont appelées "montmorillonites", car identifiées du côté de Montmorillon. L'illite est une argile très fine ; la montmorillonite encore plus. Et son pouvoir "gonflant" est supérieur. Cela signifie qu'elle est capable de retenir un volume d'eau plus important, qu'elle restitue à la plante au compte-gouttes, lui assurant une alimentation mesurée et régulière, même en cas de sécheresse prolongée.

Est-ce le secret de Pétrus ? Sans doute, un grand terroir, ce sont des données climatiques, géologiques, hydriques. Mais c'est aussi le travail des hommes pour le mettre en valeur. Et de ce point de vue, Pétrus est tombé entre de bonnes mains. Longtemps, la vinification a été l'affaire de Jean-Claude Berrouet, dieu modeste du vin. On peut le suivre à la trace dans les vignobles du monde entier tant ce formateur exceptionnel a influencé, instruit de jeunes pousses devenues aujourd'hui vignerons confirmés ou vinificateurs à leur tour de grands crus.

Pétrus est un vin en retenue

Depuis 2008 et la retraite active de Jean-Claude, c'est un jeune sage et enthousiaste qui lui a succédé. Il a été lui aussi à bonne école. Il s'appelle Olivier Berrouet. "Une grande satisfaction !" dit sobrement le père. Goûter Pétrus ne signifie pas décoller sur une fusée super-puissante et franchir le mur du son. Ceux qui le pensent sont souvent déçus quand ils s'en offrent une bouteille. Pétrus est un vin en retenue, sensible, délicat, qu'il faut savoir approcher, s'en faire un ami. Il se situe à l'opposé des vins hyper-concentrés, démonstratifs et chromés qui, hélas, ont fleuri à l'ombre du dollar ces vingt dernières années. Parmi les grands millésimes, même si ici les ratés se font rares, nous plaçons dans le peloton de tête les 1982, 1989, 1990, 1995, 2001, 2005, 2006, 2010...

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Commentaires (5)

  • Bachus

    Petrus est un vin de légende mais comme pout l'art il faut être éduqué pour l'apprécier à sa juste valeur !

  • Soreno

    J'ai eu le plaisir - et la chance - de goûter un Pétrus d'une grande et très vieille année. Une émotion incomparable, que je n'ai ressentie avec aucun autre vin. Et sans influence, c'était une dégustation à l'aveugle...

  • Patrickb

    @Diesel : les choses n'ont que la valeur que le client est prêt à payer. Le marketing et le snobisme influent beaucoup sur les prix et il est vrai que la frontière entre le commerce et l'arnaque est très ténue : -).