Régulateur national : le Québec débouté devant la Cour suprême

Par La rédaction | 9 novembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Phuong Nguyen Duy / 123RF

La Cour suprême juge que le gouvernement fédéral peut mettre sur pied un régime coopératif de réglementation pancanadien des valeurs mobilières sans violer la compétence provinciale en la matière.

C’est à l’unanimité que la Cour suprême a pris cette décision. Elle estime que le projet de régime coopératif proposé par le gouvernement fédéral respecte la Constitution, mais que les provinces ne peuvent être forcées d’y participer. La participation serait une décision politique et ne dépendrait donc pas des tribunaux. 

« Nous prenons acte de la décision, mais nous n’en sommes pas très surpris, puisque la Cour suprême avait un peu montré le chemin que le gouvernement fédéral pourrait suivre lorsqu’elle avait rejeté le projet de Commission nationale des valeurs mobilières du gouvernement conservateur en 2011 », explique Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

LA DÉCISION DE 2011

En effet, la Cour suprême avait alors jugé que le projet représentait une intrusion inacceptable et inconstitutionnelle dans un champ de compétence provincial, comme le rapportait Conseiller.

Toutefois, elle avait du même souffle reconnu que le gouvernement fédéral pouvait jouer un certain rôle en matière de trafic et de commerce, par exemple pour prévenir ou intervenir contre les risques systémiques menaçant l’économie et le système financier canadiens. Un système coopératif auquel les provinces accepteraient volontairement de se joindre serait donc tout à fait acceptable. 

Le gouvernement Harper n’avait fait ni une ni deux à l’époque, développant un régime coopératif par la suite repris par le gouvernement Trudeau. 

TROIS RÉCALCITRANTS

Jusqu’à maintenant, cinq provinces (Ontario, Colombie-Britannique, Saskatchewan, Nouveau-Brunswick et Île-du-Prince-Édouard) et un territoire (Yukon) se sont entendues avec Ottawa pour créer le nouveau régime pancanadien.

Les provinces participantes s’engagent à adopter des lois uniformes pour tout ce qui relève de leur compétence (inscription des courtiers, encadrement des prospectus, etc.) alors que le gouvernement fédéral se chargerait d’une loi portant sur les questions de droit criminel, les risques systémiques et la collecte de données pancanadiennes. 

Le Québec, lui, s’y est opposé farouchement depuis le début. L’Alberta et le Manitoba également. Pour le Québec, il ne s’agissait que d’une voie détournée pour instituer une commission des valeurs mobilières nationale et ainsi centraliser la réglementation des valeurs mobilières, au détriment des provinces. 

OTTAWA RAFLE LA MISE

Dans son plus récent jugement, la Cour suprême tranche en faveur du gouvernement fédéral sur cette question, estimant que « si l’on considère l’ébauche de la loi fédérale dans son ensemble, il est clair que son caractère véritable n’est pas, comme l’affirme le Québec, la réglementation du commerce des valeurs mobilières en général. L’objet de l’ébauche de la loi fédérale concorde plutôt avec ses objectifs énoncés, soit de promouvoir et de protéger la stabilité du système financier canadien par la gestion des risques systémiques liés (aux marchés de capitaux) et de protéger notamment ces marchés et les investisseurs contre les crimes financiers ».

L’AMF GARDE LE CAP, LE MINISTRE AUSSI

Malgré ce revers infligé au Québec, l’AMF continuera de jouer pleinement son rôle de régulateur intégré et de contribuer au sein des Autorités canadiennes des valeurs mobilières (ACVM).

« Nous continuons de croire que ce régime n’est pas dans l’intérêt du Québec, précise M. Théberge. De toute manière, il risque de se passer beaucoup de temps avant que le régime coopératif ne soit réellement implanté, s’il l’est un jour. Si cela arrive, nous serons disposés à collaborer en trouvant un mécanisme comme province non participante. »

Réaction similaire du côté du nouveau ministre des Finances, Éric Girard. Réitérant par voie de communiqué le refus du Québec de se joindre au régime coopératif, il a soutenu que le Québec entendait conserver sont autonomie et son expertise, dans un secteur financier hautement stratégique. 

« Le Québec demeurera maître de la réglementation en valeurs mobilières du marché québécois, a-t-il insisté. L’Autorité des marchés financiers demeurera le régulateur intégré responsable de la supervision de l’ensemble des intervenants du secteur financier québécois. »

Le ministre compte rester vigilant pour s’assurer que le régime coopératif n’outrepasse pas la permission que vient de lui accorder la cour en empiétant sur des compétences provinciales.

LA COMMUNAUTÉ D’AFFAIRES QUÉBÉCOISES EN RAJOUTE

Pas plus heureuse, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) soutient que cette décision vient affaiblir le Québec en permettant l’empiétement sur les champs de compétence des provinces, notamment en matière de propriété et de droits civils.

« Elle vient non seulement casser une décision de la Cour d’appel du Québec, mais va également à l’encontre de la volonté du milieu d’affaires québécois, » a déclaré Stéphane Forget, président-directeur général de la FCCQ.

La FCCQ souhaite que le gouvernement du Québec défende résolument son modèle contre toute tentative d’intrusion du fédéral. 

Quant à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), elle estime que le système actuel a fait ses preuves. Elle s’inquiète de l’impact négatif au Québec et surtout sur la place financière de Montréal d’une éventuelle commission nationale. 

« Le projet d’organisme national fédéral dit coopératif, dont le siège social sera vraisemblablement à Toronto, créera un éloignement entre les participants au marché des valeurs mobilières du Québec et le centre décisionnel en matière de réglementation, soutient le président Michel Leblanc. Le Québec et l’Alberta ont d’ailleurs rejeté systématiquement le nouveau régime fédéral, qui affaiblira leurs places d’affaires et leur expertise, notamment dans le secteur des services professionnels qui assistent les participants au marché. Cette centralisation vers la Ville Reine réduirait également la capacité d’attraction des investissements directs étrangers de l’industrie financière québécoise. »

Il y a assurément un grand écart entre les deux solitudes sur cette question. Reste à voir la réaction de l’Alberta et du Manitoba. Si ces deux provinces se rallient, le Québec pourrait bien se retrouver à faire cavalier seul une autre fois…

La rédaction