106 jours d’attente pour un enfant de 8 ans suicidaire

Jessica Bélanger s’inquiète pour son fils de 8 ans qui a des comportements suicidaires.

Dans le gymnase de son école primaire de Québec, le fils de Jessica Bélanger s’est enroulé une corde à danser autour du cou. Il voulait s’étrangler.


Le garçon de 8 ans, que nous appellerons Sébastien*, a vite été libéré de sa corde par son prof d’éducation physique. L’enfant lui a expliqué qu’il comptait se suicider parce qu’il se sentait seul au monde. «Il ne voulait pas vraiment mourir, il voulait juste arrêter de souffrir», dit sa mère. 

L’acte désespéré, survenu à la mi-mars, a accentué l’angoisse des parents, qui peinent à obtenir les services publics en santé mentale dont leur fils a besoin. Les «gestes posés et les propos tenus sont un cri du cœur de sa part pour être aidé», souligne Jessica Bélanger.

Or, voilà 106 jours que Sébastien et ses parents patientent pour obtenir une évaluation en pédopsychiatrie, un délai qui témoigne de l’ampleur de l’attente au guichet d’accès en santé mentale jeunesse dans la région de Capitale-Nationale.

Enfant en détresse 

Le cas du fils de Jessica Bélanger offre aussi un rare aperçu de la souffrance vécue par les enfants, mais aussi les parents, durant cette attente — un visage derrière les moyennes fournies par le réseau de la santé. 

«Qu’on le veuille ou non, ça nous affecte en tant que parents, dit Mme Bélanger. On a une poker face. Si on est trop paniqué ou hystérique, on n’est pas crédible aux yeux des autres. Et de toute façon, pour ne pas que mon fils se sente comme un poids, je ne peux pas me permettre de lui montrer que c’est dur». 

Pour Sébastien, le calvaire dure déjà depuis des mois. L’enfant, très anxieux, hypersensible au bruit et aux changements de routine, a montré de nombreux signes de détresse à l’école cette année. Il s’est sauvé de sa classe, s’est caché dans un banc de neige de la cour d’école et a refusé d’aller à ses cours de musique, incapable de supporter le son des flûtes.

En proie à une attaque de panique, il a aussi menacé son enseignante avec un balai. Et en novembre, Sébastien a cassé un sablier en plastique rigide, puis a essayé de se faire du mal en les mettant les morceaux dans sa bouche. 

À la suite de ce geste, Jessica Bélanger s’est rendue avec son fils au CHUL, où une consultation pour une évaluation psychologique lui a été recommandée. Jessica Bélanger et le père de l’enfant ont chacun emprunté de l’argent pour payer une partie de cette évaluation au privé, qui coûtait 1300 $. 

Les parents ne voulaient pas que leur fils attende des mois sur la liste d’attente publique. «C’était devenu un peu incontrôlable et on voulait faire cesser l’hémorragie le plus vite possible», dit Mme Bélanger. 

Un diagnostic qui tarde

Au départ, la mère et l’enseignante du garçon soupçonnaient qu’il avait un trouble déficitaire de l’attention (TDA). La psychologue a finalement écarté le TDA et a conclu que l’enfant souffrait d’un trouble anxieux sévère et d’une hypersensibilité aux sons et aux bruits. 

Mais la psychologue a également noté une certaine rigidité cognitive et une difficulté à gérer ses émotions, soulevant la possibilité que l’enfant présente un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Comme il faut une spécialisation pour diagnostiquer un TSA, la psychologue n’était cependant pas en mesure de le faire. 

Le 13 février, le pédiatre du garçon a donc déposé une demande au guichet d’accès en santé mentale pour une évaluation en pédopsychiatrie afin de vérifier si le garçon est autiste et si cela pourrait avoir un lien avec ses crises d’anxiété. 

Un mois plus tard, l’enfant s’étranglait avec une corde à danser durant son cours d’éducation physique. 

«Les délais d’attente font en sorte que ces symptômes augmentent», explique Jessica Bélanger. «Plus les crises sont fréquentes et répétées, plus c’est insoutenable et ça cause autre chose» : problèmes de sommeil, humeur dépressive, troubles de comportement, énumère Mme Bélanger. Et parfois, quand son fils est au bout de rouleau, il s’en prend à lui-même. 

À la suite de l’incident du gymnase, les choses ont bougé un peu pour Sébastien. Il a reçu une prescription de son pédiatre pour un médicament qui diminue l’anxiété. Une travailleuse sociale du CLSC de Beauport a aussi appelé Mme Bélanger pour faire une «collecte de données» à propos de son fils en espérant accélérer le traitement du dossier. 

À l’école, Sébastien suit un «protocole» qui s’apparente à celui des élèves autistes, ce qui l’aide beaucoup au quotidien, souligne sa mère. Mais Jessica Bélanger continue de vivre dans la crainte d’un autre geste suicidaire de son garçon de 8 ans. «C’est juste dommage qu’à cet âge-là il ait conscience que c’est quelque chose qui est possible», dit-elle.

En cette fin mai, l’enfant n’a toujours pas obtenu de rendez-vous avec un pédopsychiatre. Son cri du cœur n’a pas encore été entendu.

*Le vrai prénom de Sébastien a été modifié à la demande de sa mère. 

Vous ou vos proches avez besoin d’aide? N’hésitez pas à joindre l’Association québécoise de prévention du suicide au 1866 APPELLE (277-3553).

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«ON SOUHAITE QUE CE SOIT BEAUCOUP PLUS RAPIDE»

Les jeunes et leurs parents doivent s’armer de patience pour obtenir des services publics en santé mentale dans la région de la Capitale-Nationale. 

Les enfants et les adolescents attendent en moyenne 59 jours pour obtenir un premier service public en santé mentale au sein du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (CIUSSS).

«On est au-dessus de ce qu’on veut comme résultat», remarque Frédéric Aublet, directeur adjoint à la direction du programme Jeunesse du CIUSSS de la Capitale-Nationale, qui dit comprendre l’inquiétude et la détresse des jeunes et de leur famille. «Soyez bien sûr d’une chose : on souhaite que ce soit beaucoup plus rapide comme réponse». 

Pénurie de psychologues

Selon le directeur adjoint, une des causes principales de l’attente est la pénurie de psychologues dans le système public. Durant la dernière année, il manquait l’équivalent de quatre psychologues au CIUSSS de la Capitale-Nationale. Or, un psychologue peut suivre environ 25 enfants.

«Ce n’est pas parce qu’on n’a pas les postes, ce n’est pas parce qu’ils n’existent pas, dit Frédéric Aublet. C’est qu’au niveau de la pénurie de main-d’œuvre, on a de la difficulté à venir combler les remplacements, que ce soit pour les absences maladie ou les congés de maternité. Et ça, ça vient jouer sur nos délais d’accès».

Le guichet d’accès en santé mentale est aussi la porte d’entrée de la pédopsychiatrie. Or, le délai moyen d’attente est encore plus important : 79 jours. 

Les enfants et les adolescents qui présentent un risque élevé de suicide, ou qui ont trouble psychotique ou alimentaire mettant leur sécurité en péril, continueront à être vus immédiatement. Mais les jeunes qui ont des problèmes de santé «courants», comme un trouble anxieux ou une dépression, doivent passer par la liste d’attente. 

Le CIUSSS espère raccourcir les délais d’attente et vise maintenant un délai de 30 jours pour obtenir un service au guichet d’accès en santé mentale jeunesse.

Depuis septembre, le délai d’attente moyen a diminué d’environ une vingtaine de jours, souligne M. Aublet. Il est passé d’environ 76 jours à 59.

Le CIUSSS de la Capitale-Nationale a déjà lancé un projet-pilote au CLSC La Source Nord et Sud (Charlesbourg) qui a permis de faire baisse les délais d’attente en santé mentale à 10 jours pour les jeunes. 

Dès l’instant où une demande parvient au guichet d’accès en santé mentale, une infirmière prend contact avec la famille et devient responsable du cheminement du dossier. 

Plutôt que de passer le relais à quelqu’un d’autre, cette infirmière «pivot» peut commencer tout de suite à intervenir dans son champ de compétence et faire ensuite les liens avec le médecin, le pédopsychiatre, le psychologue, le travailleur social ou le psychoéducateur. 

Frédéric Aublet voit là un modèle prometteur. «Ce que la population nous dit, c’est : “Je veux pas être en attente d’être évalué pendant un grand nombre de temps. J’ai besoin de services maintenant parce que je cogne à votre porte”».