CLUEDO. Qui a tué le docteur Lenoir ? À l'heure de la maison connectée, il suffira peut-être de le demander aux objets domotiques qui enregistrent silencieusement nos faits et gestes, et pourraient ainsi contribuer à blanchir ou accabler un suspect aux yeux de la justice. La question n'a rien de fantaisiste, puisqu'elle se pose aujourd'hui en Arkansas (États-Unis), dans le cadre d'une affaire de meurtre survenu en novembre 2015. Victor Collins, un ancien officier de police, y a été retrouvé mort dans un sauna extérieur dans le jardin de son voisin Andrew Bates. Ce dernier a prétendu qu'il s'agit d'une noyade accidentelle et qu'il dormait lors des faits, mais les policiers ont retrouvé des traces de lutte, les conduisant à inculper Bates pour homicide. Autre indice qui plaide pour une noyade tout sauf accidentelle : la consommation de 140 gallons d'eau (soit environ 0,5 m3) d'eau chez le suspect dans la nuit du meurtre entre 1 heure et 3 heures du matin, qui suggérerait que le sauna ait été rempli sur demande... et en pleine nuit.
Un fait divers crapuleux ? Pas seulement : la maison de Bates est équipée de dispositifs connectés tels le boîtier Amazon Echo, qui utilise la technologie de reconnaissance vocale Alexa. Théoriquement, le boîtier n'est pas supposé enregistrer et transmettre les commandes vocales sur le cloud (c'est à dire en ligne, sur les serveurs d'Amazon) sauf si le mot d'activation "Alexa" a été prononcé. Mais ce n'est pas ce que pense la police, qui soupçonne le boîtier d'avoir enregistré l'intégralité des événements survenus lors de cette nuit du 28 novembre 2015. Le parquet a ainsi obtenu un mandat de perquisition demandant à Amazon de lui transmettre toutes les données relatives au crime, selon un communiqué du procureur du comté de Benton (mis en ligne par le média Ars Technica).
Objets connectés, assistants discrets ou mouchards ?
Le hic : Amazon n'en démord pas, le dispositif n'aurait rien pu enregistrer en l'absence de mot d'activation prononcé. "Amazon refuse de respecter le mandat et ne nous a rien transmis", tempête Nathan Smith, procureur du comté de Benton, contacté par Mashable. Or, afin de détecter ne serait-ce que le mot-clé "Alexa", l'assistant vocal d'Amazon doit techniquement rester sur le qui-vive et procéder à une veille audio permanente, transmise sur le cloud. Des données qui peuvent ainsi avoir être transitoirement conservées : si l'appareil n'a pas été réutilisé depuis, les enregistrements transmis peuvent ne pas avoir été écrasés. Et ce n'est pas tout : selon nos confrères d'Ars Technica, qui ont étudié le code source du prototype du service, les derniers fichiers audio transmis seraient également stockés sur le boîtier Echo lui-même.
VIE PRIVÉE. Kimberly Weber, avocate de l'accusé, argue que la divulgation des données enregistrées par Echo serait une atteinte grave à la vie privée. "L'application de la loi ne devrait pas tourner des technologies améliorant notre qualité de vie contre nous", argue-t-elle. Mais pour les géants du numérique, l'affaire (qui rappelle les déboires qu'a connu Apple début 2016 avec le FBI) dépasse le seul cadre légal de l'affaire. Car il ne s'agit pas seulement d'Amazon : nombreuses sont aujourd'hui les sociétés à enregistrer les commandes vocales dans le cloud, à l'instar d'Apple et de son assistant Siri, de Google, ou même de certains téléviseurs Samsung. Si la police américaine en vient à prouver, grâce aux données enregistrées par Echo, que Bates a bien commis le crime, cela reviendrait pour Amazon à reconnaître que ses boîtiers permettent d'espionner les usagers à leur insu. Une mauvaise pub dispensable.