Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

« Il faut encourager les enseignants à utiliser leur liberté pédagogique »

Auteur du documentaire « Une idée folle », Judith Grumbach a échangé avec les lecteurs du Monde.fr. Elle explique sa démarche et met en perspective les enseignements de ce film tourné dans neuf établissements scolaires.

Le Monde

Publié le 08 septembre 2017 à 20h26, modifié le 08 septembre 2017 à 20h26

Temps de Lecture 7 min.

Judith Grumbach

Quelle école pour le XXIe siècle ? Tel était le thème d’un tchat avec Judith Grumbach, réalisatrice du documentaire « Une idée folle », vendredi 8 septembre. Son film est diffusé gratuitement sur le site du Monde jusqu’au dimanche soir 10 septembre.

Dans le cadre du Monde Festival, un débat sur le thème « Peut-on apprendre à être créatif ? » aura lieu dimanche 24 septembre, de 11 h 30 à 13 heures, à l’Opéra Bastille.

Qui êtes-vous, Judith Grumbach ?

Je suis documentariste, passionnée d’éducation. Depuis deux ans j’ai eu la chance de visiter de nombreux établissements scolaires et de rencontrer un grand nombre d’enseignants qui m’ont donné envie d’aider à faire entendre leurs voix. En revanche je ne me considère pas comme spécialiste de l’éducation et ne suis donc pas légitime pour répondre à toutes les questions relatives au système éducatif et à son fonctionnement.

Ces écoles semblent être assez différentes, dans leur approche pédagogique et dans leurs structures, des écoles que j’ai connues ; est-ce un effet du documentaire ou adoptent-elles un comportement particulier vis-à-vis de la majorité des écoles en France ?

La particularité des établissements du film est d’essayer de développer des compétences comme l’empathie, la coopération, la créativité, la confiance en soi, la prise d’initiative chez les enfants, en plus bien sûr de la transmission des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter…). Dans le but assumé d’en faire des citoyens épanouis et responsables. Leurs enseignants ont aussi en commun de travailler en équipe, en partageant le même projet pédagogique. Ce sont des exemples d’un mouvement plus large.

Après ce reportage, pensez-vous que nous devons aujourd’hui proposer des écoles avec diverses pédagogies en France ?

Ce film montre qu’elles existent déjà. Je crois qu’il faut encourager les enseignants à utiliser la liberté pédagogique qui est la leur. Les professeurs du film enseignent avec ce qu’ils sont. Comme le dit l’une d’entre elles : ils « font leur sauce ». Et leur épanouissement ainsi que celui de leurs élèves m’a particulièrement frappé.

Les enseignants font valoir leurs réussites envers leurs élèves. C’est positif. Mais y a-t-il des exemples où ils ont moins bien réussi. Lorsque l’on s’adresse à des enfants (voire des êtres humains), une réussite à 100 % me semble très illusoire. Par ailleurs le film pose les bonnes questions.

Il faudrait déjà se mettre d’accord sur la notion de « réussite ». Les enseignants du film sont tous d’une grande humilité. Aucun ne prétend à la perfection. Au contraire, ils tâtonnent. C’est cette fameuse posture de chercheurs qu’ils revendiquent tous.

L’école joue-t-elle un rôle de catalyseur de la participation civique ? En d’autres termes, permet-elle aujourd’hui de stimuler le sentiment d’appartenance à la France sans attaquer les autres aspects des identités des élèves ?

Avec ce film, nous avons voulu poser la question du rôle de l’école au XXIe siècle. Et, avec celle-ci, la question de la définition de la citoyenneté. Le développement du sens civique ne peut se faire, à mon sens, que par l’incarnation de certaines valeurs. Pour se sentir libre dans une classe, il faut pouvoir se déplacer, créer, se tromper, prendre des décisions. Pour se sentir l’égal de l’autre, il faut avoir compris qu’on a de la valeur. Une véritable fraternité ne peut exister qu’une fois que chacun a trouvé sa place. Ce n’est pas un concept abstrait mais quelque chose que l’on éprouve et comprend le jour où quelqu’un nous vient en aide – ou le jour où on aide quelqu’un. C’est à mon avis la seule façon de faire en sorte que chacun se sente respecté dans ses identités multiples.

Quelle relation aviez-vous avec l’école à cet âge ?

Je n’ai jamais été très heureuse à l’école… Mais les enseignants que j’ai rencontrés ces deux dernières années m’ont presque donné envie d’y retourner ! J’ai l’impression qu’avec eux j’aurais gagné dix ans en termes de confiance en soi.

Avez-vous envoyé votre film au ministre de l’éducation ?

Non. Mais il peut le regarder jusqu’à dimanche soir gratuitement sur lemonde.fr !

Est-ce que le développement de l’empathie et de la coopération n’est pas du tout travaillé dans l’éducation nationale ?

Les enseignants et les parents que j’ai rencontrés lors des 60 projections auxquelles j’ai participé dans toute la France semblent penser qu’ils ne le sont pas encore suffisamment. Mais encore une fois, beaucoup d’enseignants les mettent au cœur de leur pratique.

On ne voit que des enfants de « bobos » dans ce reportage. Cette prétendue pédagogie a-t-elle été testée sur des enfants dont les parents ne peuvent pas rattraper l’incurie pédagogique de l’enseignant : « Fais ce que tu veux, apprends par toi-même » ?

Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il n’y a que des enfants de « bobos », et je ne pense pas seulement au collège Clisthène, qui est filmé, et qui est situé en réseau d’éducation prioritaire à Bordeaux. Mais je le dis moi-même à la fin du film : il n’a aucune prétention d’exhaustivité et ne reflète pas l’ensemble du paysage éducatif français. L’enjeu est évidemment la transformation de l’école publique pour rendre ces pédagogies accessibles à tous les enfants, quel que soit leur milieu d’origine.

Avez-vous le sentiment que ces pratiques sont encouragées par la hiérarchie (inspections d’académie) ? Les enseignants sont-ils suffisamment libres pour mener à bien cette transition pédagogique ? Ne sont-ils pas contraints par des obligations administratives de programme, de progression, etc. ?

Il y a 1,2 million de personnes dans l’éducation nationale, qui ne pensent pas d’un bloc. Certains enseignants me disent qu’ils sont soutenus, d’autres qu’ils se sentent seuls. J’ai l’impression que tous les cas de figure existent. Il y a parfois des contraintes hiérarchiques, mais j’ai aussi entendu des enseignants dire qu’ils n’osent pas, qu’ils s’autocensurent. Je crois que la confiance est la clé. A la fois celle qu’on donne aux enseignants mais aussi celle qu’ils s’accordent à eux-mêmes.

Comment voyez-vous l’influence de penseurs prônant le retour à une école verticale, assez élitaire et centrée sur les seuls apprentissages, sans travail de la dimension sociale ?

D’après ce que j’ai observé sur le terrain, l’opposition entre savoirs et compétences est artificielle. Il me semble que ce sont des vases communicants. Je ne crois pas qu’un enfant qui a la conviction qu’il est « nul » sera capable d’apprendre sereinement à lire, écrire et compter. La conviction des enseignants que j’ai filmés est qu’en permettant aux enfants d’apprendre à gérer leurs émotions et à se faire confiance, on leur permet aussi de progresser dans les apprentissages. A contrario, aucun enseignant de ceux que j’ai rencontrés ne pense qu’au bien-être de l’enfant sans avoir à cœur de le rendre autonome et donc, pour cela, de l’aider à acquérir des connaissances.

Comment avez-vous choisi les différentes écoles visitées ?

Comme je l’explique dès le début du film, le projet est né de la rencontre avec l’équipe de l’association Ashoka, qui m’a demandé de filmer des établissements scolaires qu’elle avait identifiés, selon des critères évoqués auparavant. J’étais censée produire de courtes vidéos de trois minutes. mais je suis rentrée de quatre jours de tournage avec 26 heures d’images et la conviction que je ne pouvais pas décrire la richesse de ce que j’avais vu en si peu de temps. Nous avons donc décidé ensemble de réaliser ce documentaire.

Développer l’empathie et la coopération : y a-t-il dans les écoles que vous montrez beaucoup d’enfants dont les parents ne partagent pas ces valeurs ? Le modèle est-il applicable à des publics où ces valeurs sont moins soutenues par les familles (et il ne s’agit pas ici d’opposer les bobos aux familles populaires) ?

Le film montre les deux situations. Dans le film, on voit 5 établissements publics et 4 privés. Dans les premiers, les parents n’ont pas fait le choix d’une pédagogie spécifique. Donc je ne vois pas pourquoi le nombre d’écoles qui mettent l’empathie et la coopération au cœur de leurs pratiques ne pourrait pas augmenter.

Comment faire pour qu’il y ait de plus en plus d’écoles comme celles que vous montrez dans le film ?

Le développement de ces pratiques est largement le fruit d’initiatives individuelles d’enseignants ou d’équipes pédagogiques. Le meilleur moyen de permettre leur développement serait d’améliorer la formation des enseignants. C’est en tout cas ce que beaucoup d’enseignants m’ont dit. Notamment ceux qui sortent de formation et qui ont été nombreux à me dire qu’ils ne se sentaient pas équipés pour mettre en œuvre ce genre de pédagogies. Se pose aussi la question de la formation continue qui m’a été décrite comme largement insuffisante. La liberté pédagogique n’est pas effective si on ne donne pas aux enseignants une palette d’outils parmi lesquels ils peuvent piocher.

A partir de quelle date et comment pouvons-nous organiser la diffusion de votre film (en tant qu’association) ?

Le film est distribué grâce à des projections citoyennes depuis le 7 mars 2017. Si vous souhaitez en organiser une, le mode d’emploi se trouve sur le site du film.

Vous pourrez également visionner un débat en vidéo sur l’école du XXIe siècle, dimanche 10 septembre à 11 heures, sur Le Monde Festival.

Le Monde

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.