Entretien

Manifestation à Bure : «Mon pied a été déchiqueté»

Robin, 27 ans, fait partie des blessés recensés après la manifestation, mardi dans la Meuse, contre le centre d'enfouissement des déchets nucléaires. Après avoir été touché, a priori par une grenade, il risque l'amputation des doigts de pied.
par Raphaël Goument
publié le 18 août 2017 à 15h52
(mis à jour le 18 août 2017 à 18h02)

La manifestation, mardi, contre le site d'enfouissement des déchets nucléaires (Cigéo) à Bure, dans la Meuse, s'est soldée par de nombreux blessés parmi les opposants, suite aux affrontements avec les forces de l'ordre. Sur la trentaine de blessés recensés, trois ont été hospitalisés. L'un d'entre eux, Robin.P, un Dijonnais de 27 ans, père de 2 enfants, a été touché au pied, dont une partie a été arrachée. En cause, selon les manifestants : une grenade assourdissante GLI F4. Il risque une amputation des cinq orteils. «Attaqués gratuitement et violemment, les gendarmes ont été obligés de riposter pour se défendre», explique, dans un communiqué, la préfecture de la Meuse, qui dénombre, de son côté, deux gendarmes blessés. Libération a recueilli le témoignage de Robin.

Comment s’est déroulée la manifestation ?

La manif a été bloquée dès le début, à la sortie de Bure. On avait marché à peine 200 mètres que les gendarmes nous gazaient déjà et nous empêchaient de passer. On a fait demi-tour et emprunté un chemin à travers champs pour atteindre Saudron, où nous avions prévu une action symbolique en rapport avec le site néolithique découvert récemment. A nouveau, les gendarmes nous ont bloqués à la sortie de Saudron. Là, ils ont frappé beaucoup plus fort, avec du gaz lacrymogène et des grenades assourdissantes. Il y avait de la lacrymo partout. J’avais l’impression que j’allais mourir étouffé.

Nous avons été repoussés dans les champs. Une ligne de gendarmes nous barrait la route. Ils ont continué à gazer. Puis il y a eu une accalmie, les gendarmes ont reculé. Les manifestants refluaient, discutaient de ce qui venait de se passer, débriefaient sur ce qui n’avait pas fonctionné.

Les forces de l’ordre sont alors revenues à la charge et il y a eu une nouvelle confrontation. D’abord des lacrymogènes, puis une grenade assourdissante qui a explosé. Nous faisions demi-tour. Je vois une autre grenade péter à hauteur de visage, suivie d’une dizaine d’autres en une minute.

Je repartais, je leur tournais le dos. Soudain j'entends un bruit extrêmement fort. Je ne sens pas la douleur sur le coup, mais je vois mon pied déchiqueté, la chaussure fondue. Ensuite, tout est allé très vite: l'équipe de medics [les militants qui prennent en charge les blessés, ndlr] me sort du champ sur un brancard. On était déjà loin, peut-être à 100 mètres des gendarmes, mais les grenades continuaient à exploser autour de nous. Les medics ont été supers, ils essayaient de me rassurer, mais je voyais mon pied, je n'arrêtais pas de le regarder. Je hurlais de douleur, j'avais l'impression d'être au Moyen Age.

Comment s’est passée votre prise en charge ?

Les pompiers étaient débordés et non formés pour ça. L’un d’entre eux a fait un malaise, les medics se sont occupés de lui. J’ai été blessé vers 16h30, je suis arrivé à l’hôpital vers 21 heures. Les médecins aussi n’en revenaient pas. Tout le monde a halluciné.

Au final, j’ai de nombreux os brisés, certains pulvérisés. Sur le pied, j’ai un trou de 13 centimètres de long par endroits, jusqu’à 3 centimètres de profondeur. Les médecins me parlent d’amputation possible des 5 doigts de pied. C’est encore trop tôt pour se prononcer, tout va se jouer au niveau de l’infection. C’est tout ou rien. Ma chaussure a fondu sur le coup, la plaie s’est remplie de plastique.

Quoi qu’il arrive, mon pied sera douloureux pour toujours. J’ai aussi une trentaine d’éclats de grenade dans les jambes, depuis la cheville jusqu’en haut de la cuisse. Ils ont enlevé ce qu’ils pouvaient, le reste, je vivrai avec.

La répression de cette manifestation a été plus violente que d’habitude ?

D’un côté oui. Mais il ne faut pas que les gens pensent que c’est une situation exceptionnelle. Ces armes sont régulièrement utilisées et on ne parle jamais des personnes mutilées. Nous l’avions vu pendant le mouvement contre la loi travail, c’est leur façon de maintenir l’ordre. Il aurait pu y avoir un mort. Les grenades sont tirées en cloche et de loin, donc je pense que c’est à l’aveugle. Après, tout se joue au hasard. Mais les gendarmes savent que ces grenades peuvent tuer. Elles produisent des déflagrations sur un mètre de diamètre. Si tu es dedans, c’est fini.

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