« Gawker », le site qui avait prédit tous les scandales sexuels de Hollywood

Si le commun des mortels découvre aujourd'hui la face sombre de Harvey Weinstein ou Kevin Spacey, le site « Gawker » avait déjà évoqué toutes les rumeurs entourant ces figures controversées de Hollywood. Disparu en 2016, le média en ligne n'avait aucun scrupule à relayer ragots croustillants et autres sextapes, au point de se faire de sérieux ennemis.
Gawker le site qui avait prdit tous les scandales sexuels de Hollywood
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Un jour, une nouvelle affaire. Depuis le scandale Harvey Weinstein, les personnalités du cinéma osent enfin briser l’omerta et pointer du doigt leurs bourreaux via réseaux sociaux ou journaux interposés. Louis C.K., Matthew Weiner,Kevin Spacey… Si ces stars ont récemment été mises en cause pour harcèlement ou agressions, un site américain avait déjà exposé leur comportement au grand jour : Gawker. Un média en ligne dont le credo était de dévoiler sans vergogne les secrets sulfureux des riches et célèbres... Au point de voir cette audace les mener à leur perte.

Avant de devenir le vaisseau amiral d'un groupe média plus large (aux côtés de Jezebel, Gizmodo, Deadspin, etc), Gawker était initialement un simple blog relatant les dessous de Manhattan. Lancé en décembre 2003 par Nick Denton (ex-reporter au Financial Times) et la journaliste Elizabeth Spiers, celui-ci se targuait de viser « l'élite de la finance et des médias de la ville ». L'immobilier à New York, les rituels de drague, les ragots des Hamptons... Le média n'hésitait pas à écorner l'establishment de la Grosse Pomme, à explorer ses lieux les plus atypiques - un restaurant où les clients nourrissent des poupées en plastique -, ainsi que ses us et coutumes (la quête du parfait dealer de coke selon un trader de l'East Side). Le tout, avec un certain sens du sarcasme et de l'ironie, propulsant le site en équivalent médiatique de la mean girl du lycée : l'écriture était drôle, calquée sur l'oral, comme si ces ragots émanaient d'une bonne copine. Gawker avait tout compris au web, à sa capacité à briser les frontières séparant les journalistes des lecteurs, au potentiel de la culture de la célébrité : en 2006, naissait « Gawker Stalker », fonctionnalité permettant de géolocaliser des stars sur une carte (oui, comme dans Gossip Girl).

Rapidement, Gawker s'estémancipé de la seule sphère new-yorkaise, réalisant un reportage sur une croisière en enfer avec le chef Paula Deen ou une enquête sur le plus gros troll de Reddit. Les sujets décalés se mêlaient à des papiers plus sérieux, comme un article de 2004 dénonçant l'indulgence envers le prédateur Bill Cosby qui a suscité une véritable introspection des médias et précipité la chute de l'humoriste. « Je voulais exploiter les sujets qui n'étaient pas publiés, les histoires que les journalistes s'échangeaient seulement entre eux », explique Nick Denton dans le documentaire Le Procès d'une presse libre. De nombreux posts, relayant les « on dit » de Hollywood, sont aujourd'hui perçus comme étrangement prémonitoires. Une blind item - un ragot prenant la forme d'un jeu de devinettes - sur un humoriste aimant se masturber devant ses collègues féminines (Louis C.K.), des références à la drague agressive de Kevin Spacey (doux euphémisme) ou un appel à témoignages sur le secret de polichinelle Harvey Weinstein. Gawker savait aussi impliquer ses lecteurs, transformer tout un chacun en informateur protégé par l'anonymat du web. « On a tendance à dire que les informations sont la première esquisse de l'Histoire, écrivait Nick Denton, le 30 octobre dernier, sur son blog*. À Gawker, on avait tendance à dire que les ragots étaient les premières esquisses de l'information. Les canaux officiels ont longtemps échoué à dévoiler ces affaires de harcèlement sexuel ; les canaux officieux, en particulier le bouche à oreille sur Internet, ont enfin poussé les rédactions et les chaînes à passer à l'action. »*

Malgré un certain flair, Gawker n'a jamais appuyé ces rumeurs par un travail journalistique approfondi, se lançant, par ailleurs, dans une course effrénée aux clics. En 2010, le site publie ainsi une vidéo d'un couple faisant l'amour dans les toilettes d'un bar de l'Indiana, laquelle dépeignait en fait une relation non consentie. Malgré la demande de la jeune femme violée, le journaliste AJ Daulerio refuse de retirer la séquence, provoquant un véritable tollé. Le 4 octobre 2002, le même rédacteur publie un court extrait de la sextape du catcheur Hulk Hogan sans se douter de la tempête qui va s'abattre sur lui. Refusant de supprimer la vidéo, le site est poursuivi en justice par l'icône de la lutte, puis, à l'issue de plusieurs procès, accepte de lui verser 31 millions de dollars de dommages et intérêts. Incapable de se relever de cette bataille judiciaire, Gawker déclare faillite en juin 2016, tandis que le groupe média est vendu pour 135 millions de dollars à Univision. Derrière cet acharnement, les manigances d'un magnat de la Silicon Valley : Peter Thiel, cofondateur de Paypal et soutien de Donald Trump. Animé d'une vraie soif de vengeance depuis que le site a révélé son homosexualité, l'investisseur s'est donné pour mission de le faire tomber en finançant notamment les frais d'avocat de Hulk Holgan. Une mission qu'il mènera à bien sans difficulté grâce à un portefeuille bien fourni, sa fortune s'élevant à plus de 2 milliards de dollars.

Du Washington Post à NPR, nombreux sont aujourd'hui les médias qui, à l'orée des récents séismes, s'interrogent sur le vide laissé par Gawker. Les espoirs d'une résurrection ne sont toutefois pas vains : selon Page Six, un groupe de fans voudrait relancer le site, tandis qu'un studio serait intéressé par une adaptation de ses articles sur petit ou grand écran. To be continued...