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Trinh Xuan Thuan : "Il serait improbable que nous soyons seuls dans l’univers"

La représentation du trou noir Gargantua dans « Interstellar »
La représentation du trou noir Gargantua dans « Interstellar » © DR
Romain Clergeat , Mis à jour le

C’est un ouvrage (« Dictionnaire amoureux et illustré du ciel et des étoiles », éditions Plon-Gründ) qui se regarde autant qu’il se lit. Prenant appui sur des images stupéfiantes de beauté, l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan explique avec un didactisme limpide les mystères de l’univers. Nous lui avons demandé de nous en expliquer quelques uns. A commencer par le premier : la naissance des étoiles. Notre berceau originel.

L’étoile la plus ancienne jamais détectée se nomme : 2MASS J18082002-5104378, née il y a 13,5 milliards d’années. Sait-on quand sont nées les toutes premières ?
Trinh Xuan Thuan : On pense que les premières étoiles sont nées quelques centaines de millions d’années après le Big Bang. Les étoiles sont nos ancêtres car nous sommes tous des poussières d’étoiles. Ce sont elles qui ont fabriqué, par leur alchimie nucléaire, hormis l’hydrogène, l’hélium, et de très petites quantités de deutérium et de lithium fabriquées dans le Big Bang, tous les éléments dont nous sommes constitués.

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Ces éléments chimiques de la nature naissent lors des réactions nucléaires au cœur des étoiles massives, et lors de leurs morts explosives (appelée « supernova ») qui les expulsent dans le milieu interstellaire. C’est justement parce que 2MASSJ180… contient très peu d’éléments lourds, que l’on peut déterminer qu’elle s’est formée très peu de temps, à l’échelle cosmique, après le Big Bang. Il y a environ 13,5 milliards d’années soit seulement quelque 300 millions d’années après la naissance de l’univers. Il y a eu peut-être seulement une génération d’étoiles avant la naissance de 2MASSJ180. 

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Une étoile comme notre Soleil met 50 millions d’années à se former à partir de l’effondrement de nuages gazeux, sous l’effet de leur propre gravité. Tandis qu’une étoile 10 fois moins massive, dont la force de gravité est donc 10 plus faible, mettra 1 milliard d’années à s’effondrer gravitationnellement avant que la température centrale du nuage gazeux n’atteigne la température fatidique des 10 millions de degrés nécessaires pour que la fusion nucléaire entre en action. 

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Nées à partir d’un nuage moléculaire interstellaire, les étoiles ne naissent jamais isolément, mais toujours en groupe. Notre Soleil, astre solitaire, a dû être éjecté de son nuage originel par une interaction gravitationnelle avec une autre étoile ou un autre nuage moléculaire.

Naissance d’une étoile dans la nébuleuse d’Orion
Naissance d’une étoile dans la nébuleuse d’Orion © DR

On ne sait rien de 95% de ce qui constitue l’univers. 27% serait « la matière noire » et 68% ce qu’on appelle « l’énergie sombre ». Que sait-on à son sujet ?
Dans les années 90, deux équipes internationales d’astronomes ont entrepris de mesurer la décélération de l’expansion de l’univers. Ils étaient persuadés qu’il devait ralentir car la gravité de son contenu, les galaxies, les étoiles, les planètes etc… devait exercer une force attractive qui freinerait l’impulsion initiale du Big Bang. Or en 1998, après plusieurs années d’un travail intense de mesures et de calculs, les deux équipes sont arrivés à des constatations stupéfiantes : l’univers a bien été en décélération, mais seulement pendant les 7 premiers milliards d’années de son existence ! A partir de la 8 milliardième année, il a eu un comportement contraire. L’univers au lieu de ralentir est devenu un univers en accélération. Pour prendre une image simple : l’univers s’est comporté comme s’il avait freiné à l’approche d’un feu rouge puis, au feu vert, avait soudainement accéléré. Comment était ce possible ? Si l’univers ne contenait que de la matière, du fait de la gravité attractive, il devrait continuer de ralentir son expansion. Il fut donc nécessaire de postuler l’existence de « quelque chose » qui exercerait une force anti-gravité répulsive qui repousserait au lieu d’attirer. Cela pourrait être un mystérieux champ d’énergie, baignant l’univers entier et exerçant une force répulsive supérieure à l’attraction gravitationnelle de la matière. Constater, depuis 1933, que la plus grande partie de la matière de notre univers est « sombre » et exotique (par opposition à la matière ordinaire, constituée de protons, de neutrons et d’électrons, qui constitue tout : nous, les étoiles, les planètes, les galaxies, etc…) fut déjà une découverte étonnante. Mais constater que l’espace entier baigne dans une énergie noire dont la nature nous échappe pour l’instant fut une découverte tout aussi extraordinaire et peut-être plus importante encore pour la physique fondamentale. Pourquoi est-elle apparue seulement au bout de 7 milliards d’années ? En réalité, elle a toujours été là, tapie, mais, l’univers étant moins « grand » et plus dense, la force d’attraction gravitationnelle de la matière (ordinaire et sombre) lui était supérieure. L’univers, en s’étirant et en se diluant, et en éloignant donc les galaxies les unes des autres, a fait que la force de gravité attractive a faibli et que la force répulsive due à l’énergie sombre est devenue la plus forte, lorsque l’horloge cosmique a sonné le début du 8 milliardième d’années.

Le mystère de la matière noire et de l’énergie sombre
Le mystère de la matière noire et de l’énergie sombre © DR

La Voie Lactée, notre galaxie, compte au moins 200 milliards d’étoiles. Avec la découverte d’exo planètes, on pense qu’une étoile sur 2 possède au moins un corps dans son orbite, sinon un système planétaire ce qui ferait donc au moins 100 milliards de planètes. Et sachant que l’univers observable compte au moins 200 milliards de galaxies, cela nous donne donc : 100 milliards de planètes X 200 milliards. Pensez-vous vraiment possible que la vie n’existe pas ailleurs ?
Face à ces chiffres, je pense en effet que la vie devrait exister « ailleurs ». Il serait extrêmement improbable que nous soyons les seuls dans l’univers. Et cette idée n’est pas nouvelle. Dès 1600, l’Eglise a condamné le moine dominicain Giordano Bruno à périr au bûcher pour avoir osé proposer que l’univers était infini et peuplé d’une infinité de mondes habités par une infinité de vies qui toutes, chantaient la gloire de Dieu. Encore faut il s’entendre sur ce dont nous parlons. Nous envisageons le vivant selon nos critères, les seuls que nous connaissons. Mais rien ne dit que « la vie » n’existe pas sous des formes qui nous sont encore inimaginables. Notre civilisation a envoyé un signal radio en direction d’un amas globulaire, un ensemble de quelques centaines de milliers d’étoiles liées par la gravité, mais qui est à 23 000 années-lumière de nous. Donc le signal n’est pas encore arrivé. Encore moins la réponse. Mais certains biologistes, devant la complexité du vivant, pensent au contraire que la vie n’est apparue qu’une seule fois et que nous sommes seuls dans l’univers.

M104 ou aussi appelée, la galaxie du Sombrero.
M104 ou aussi appelée, la galaxie du Sombrero. © DR

Comment est née l’hypothèse des multivers et pourquoi cette théorie a t-elle le vent en poupe ?
Plusieurs théories physiques prédisent l’existence d’un multivers, c’est à dire d’une infinité d’univers parallèles au nôtre. Ainsi le physicien russe Andreï Linde a proposé une théorie selon laquelle chacune des innombrables fluctuations de la mousse quantique originelle (l’espace à l’échelle subatomique est une sorte de mousse informe en mouvement perpétuel, sans cesse changeante) a donné naissance, par un processus d’« inflation » de l’espace (une dilatation exponentielle avec le temps), à une bulle-univers, si bien que le nôtre ne serait qu’une petite bulle dans un méta-univers composé d’une infinités de bulles-univers. Dans un autre scénario, le physicien américain Hugh Everett a lui suggéré que l’univers se diviserait en deux chaque fois qu’il y aurait un choix ou une décision prise ! Ce constant processus de division amenant un nombre quasi infini d’univers parallèles. Un troisième scénario est basé sur ce qu’on appelle la « théorie des cordes », ainsi appelée car elle est basée sur l’idée que les particules élémentaires ne sont pas des objets ponctuels mais le résultat de vibrations de cordes incommensurablement petites de 10  puissance -33 centimètre, ce qu’on appelle la « longueur de Planck ». Cette théorie essaie de concilier relativité générale et physique quantique, le grand enjeu fondamental de la physique sur lequel les scientifiques butent depuis plus d’un demi-siècle. La théorie des cordes postule, dans sa version la plus simple, 6 dimensions spatiales supplémentaires (en plus des trois avec lesquelles nous sommes familiers). Ces extra dimensions feraient qu’il existe un nombre inimaginable de 10 puissance 500 (1 suivi de 500 zéros) univers parallèles. Mais ces hypothèses souffrent du plus grand défaut qui soit pour une théorie scientifique : elles ne peuvent pas être vérifiées par l’observation. Nos télescopes ne pourront jamais observer un autre univers que le nôtre. C’est pour cela que je ne parviens pas à m’enthousiasmer pour l’idée des multivers.

L’hypothèse des univers multiples
L’hypothèse des univers multiples © DR

La détection d’ondes gravitationnelles en 2015 marque une nouvelle ère dans la cosmologie. Peut-on imaginer en détecter issues du Big Bang, donc au tout début de l’univers, période sur laquelle nous ne savons rien ?
Einstein, qui les avait prédites dans sa théorie de la Relativité générale, pensait qu’il nous serait impossible de les détecter, tant les variations causées par le passage d’une onde gravitationnelle dans le « tissu »de l’espace-temps sont infimes. Et pourtant, on y est parvenu. Pensez que l’observatoire LIGO a détecté en 2015 des ondes gravitationnelles provenant de la fusion d’une paire de trous noirs car ses interféromètres à laser ont pu détecter une variation de longueur de 10 puissance -15 centimètre, soit seulement un centième de la taille d’un proton ! Une nouvelle ère s’offre à nous car les ondes gravitationnelles qui n’interagissent pas avec la matière interstellaire, ne sont ni absorbées ni déformées. Et une certaine classe de théories de l’univers primordial prédit que pendant les premières fractions de seconde de l’univers, il y a eu ample production d’ondes gravitationnelles qui ont baigné la totalité du cosmos. Les détecter nous permettra de remonter le temps à la naissance même de l’univers. J’ai bon espoir en ce sens.

Les ondes gravitationnelles générées par la fusion de deux étoiles à neutrons
Les ondes gravitationnelles générées par la fusion de deux étoiles à neutrons © DR

Pourquoi ne parvient on pas à la théorie du TOUT, à unir relativité générale et physique quantique ?
Nous ne savons pas encore raconter l’histoire de l’univers à l’instant zéro. Se dresse devant nous, pour l’instant, un « mur », (le mur de Planck, du nom du physicien allemand Max Planck) qui barre l’accès à cette connaissance et qui survient au temps infinitésimal de 10 puissance -43 après l ‘explosion primordiale. Le chiffre 1 vient après une suite de 43 zéros ! A cet instant, l’univers avait la taille infinitésimale de 100 millions de milliards de milliards de milliards de moins qu’un atome d’hydrogène. Et la physique actuelle perd pied au-delà de cette limite. Pour franchir le mur de Planck, nous devons unifier les deux grandes théories du XXeme siècle : la physique quantique et la relativité générale. L’infiniment petit et l’infiniment grand. Car au temps de Planck, ils se confondent. L’unification de ces deux théories n’est pas des plus aisées, car il existe une incompatibilité fondamentale entre elles. Selon la relativité, l’espace à grande échelle est calme et lisse. Alors que l’espace à l’échelle subatomique de la mécanique quantique est une sorte de mousse quantique aux formes constamment changeantes, chaotiques et fluctuantes, remplie d’ondulations et d’irrégularités apparaissant et disparaissant çà et là au cours de cycles infiniment courts. Autrement dit, l’espace de la mécanique quantique est tout, sauf lisse. Les physiciens ont déployé beaucoup d’efforts pour trouver une théorie de « gravité quantique » qui unifierait la relativité avec la mécanique quantique. Dans les années 80, la théorie des « cordes » selon laquelle les particules de matière et de lumière qui transmettent les forces, relient les éléments du monde et font qu’il change et évolue, seraient le fruit de vibrations de bouts de corde infinitésimaux de la longueur de Planck (10puissance -33cm), a soulevé beaucoup d’espoirs. Mais il a fallu déchanter car cette théorie reste enveloppée d’un voile mathématique épais et aucune vérification expérimentale n’est venue pour l’instant la corroborer. La théorie du Tout reste à trouver.

Le phénomène le plus mystérieux de l’univers : le trou noir
Le phénomène le plus mystérieux de l’univers : le trou noir © DR

Le premier instant du Big Bang est un point de singularité. Au cœur des trous noirs, il est également un stade où la physique s’effondre : le point de singularité. Serait il possible que l’univers soit né au cœur d’un trou noir justement ?  
En principe, tout objet peut devenir un trou noir. Un être humain même. Il suffit de le comprimer en deça d’une certaine taille. Une personne de 70 kilos, si elle était comprimée jusqu’à un rayon de 00000000000000000000000,1cm deviendrait un trou noir. Tout comme la Terre, si des mains géantes la comprimait jusqu’à ce qu’elle ait la taille d’une balle de ping pong. Si nous pouvions pénétrer au cœur d’un trou noir, dont on ne pourrait revenir car RIEN ne peut sortir d’un trou noir, pas même la lumière, nous constaterions que notre corps serait progressivement déchiqueté par la force gravitationnelle démentielle du trou noir. Notre corps commencerait par se briser en deux, puis encore en deux puis encore, 2,4 ,8 ,16 , 32 , 64 morceaux de nous mêmes, jusqu’à atteindre la taille d’une molécule ou d’un atome. Ce qui était « nous » va se dissoudre en une masse informe de particules élémentaires et se retrouver concentré dans une région infinitésimale de l’espace de 10 puissance -33cm. Des dizaines de millions de milliards de milliards de fois moins grand qu’un atome. Ce que les physiciens appellent la singularité. Des physiciens ont spéculé que l’information pouvait ressortir par une autre singularité située dans une autre région d’espace ou dans un univers parallèle. Les deux singularités seraient connectées par une sorte de tunnel appelé « trou de ver de terre » situé dans un « hyper espace ». Il y a même eu des spéculations que notre univers pourrait résulter d’un tel processus. Pour moi, ce scénario relève de la science-fiction car il n’est pour l’instant confirmé par aucune preuve observationnelle. 

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Dictionnaire amoureux illustré du ciel et des étoiles
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