Pikler Loczy

Comptines et chansons : un merveilleux outil pour les professionnels de la petite enfance

Au cours de son travail d’éducateur de jeune enfants, Olivier Gilly, aujourd’hui pédagogue et formateur à l’Association Pikler-Loczy, a souvent entendu des professionnels dire qu’ils ne savent pas chanter ou qu’ils chantent « faux ». A cause de ce « complexe », ils passent des enregistrements de chants ou de musique aux enfants. Et se privent ainsi non seulement d’un excellent outil de travail, mais aussi de moments d’une relation très privilégiée avec les jeunes enfants qu’ils accueillent. Olivier Gilly explique ici tout ce que les comptines « chantées » peuvent apporter aux professionnels de la petite enfance dans l’exercice de leur métier.
Il est important de sensibiliser les professionnels à l’utilisation quotidienne de la chanson à l’intention des enfants. Comment professionnaliser cet outil de travail ? Comment passer du ressenti personnel - se sentir à l’aise avec le chant, imaginer avoir une belle voix ou chanter juste - à l’activité professionnelle - être convaincu que c’est bon et utile pour les enfants ? Les chansons et les comptines ne nécessitent pas de « matériel  » particulier. Elles nous permettent de prendre un peu de distance dans nos métiers où l’engagement affectif est grand, de « trouver la bonne distance, la juste proximité ». C’est un outil qui peut nous permettre de travailler en équipe.

Comptines et chansons : essentielles pour les enfants
Dans ce domaine comme dans d’autres, les jeunes enfants ne doivent pas être tributaires du bon vouloir des adultes… Imaginez leur impatience ou leur frustration s’il leur faut attendre que la personne qui chante bien soit là pour avoir accès à l’atelier chants ou comptines ! Dans les pédagogies nouvelles et les méthodes actives ainsi que dans la pédagogie inspirée d’Emmi Pikler, on essaie de ne pas mettre l’enfant en situation de dépendance à l’adulte, mais au contraire de le rendre actif dans la satisfaction de ses besoins. Et chanter et entendre des chansons n’est-il pas un besoin essentiel pour l’enfant ? Un besoin qui puise ses racines, comme l’explique Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, auteur et du livre "1, 2, 3 comptines", dans un lointain passé commun à l’humanité. 

Les berceuses, les premières comptines
Les premières comptines que le bébé entend sont les berceuses, elles sont un souvenir encore proche du bercement vécu dans le ventre maternel. Par exemple : Dodo m’amour, sur un coussin de v’lou, dormez tant que vous voudrez, maman viendra vous bercer. La berceuse est un bain sonore que lui propose sa mère et qui l’enveloppe. La mère est à la recherche d’une synchronie avec son bébé afin d’atteindre une situation d’assemblage plaisant. Le bercement est la première activité musicale et rythmique qui permet au nourrisson de vivre le sentiment d’exister en raison de la similitude avec les battements du cœur de sa mère et du sien. C’est un rythme doux (en général, mais ce n’est pas vrai pour toutes les berceuses) et régulier, il s’agit d’un rythme binaire - c’est cette similitude qui rend les berceuses du monde universelles.

Il semblerait que cela permette un rapprochement entre rythmes musicaux et rythme interne corporel, qui relie et favorise le passage entre l’interne et l’externe. Ce que Winnicott (pédiatre, psychiatre et psychanalyste anglais) dit quand il parle de fonction transitionnelle des berceuses, qui se situe dans une aire intermédiaire entre le bébé et sa mère. Propices à l’attachement et à la relation.
Cet éprouvé rythmique dans la symbiose mère-enfant aide à l’accordage du rythme de l’enfant à celui de sa mère. Ce qui explique que dans le monde entier les mères bercent et chantent. La berceuse est une voix d’accès dans cette recherche qui s’ancre dans le regard, la voix et les mouvements rythmés tel un balancier qui cherche l’équilibre. Au cours de l’identification primaire, cette synchronisation joue un rôle important dans la structuration des représentations de soi. Il s’agit là d’attachement, de connaissance de soi, de découverte de l’autre. Selon Massie et Campbell, il existerait autour des berceuses six modalités d’attachement :

Par les échanges de regards
Par les vocalisations ou sons vocaux
Par le contact physique (la peau à peau)
Par les postures mutuelles
Par les affects et signaux émotionnels
Par l’alternance de proximité et de distance enveloppante et attentive 

Choix des comptines : pas si anodin que ça…
La chanson et le jeu musical médiatisent le lien de l’enfant à la mère et en général aux personnes qui s’occupent de lui. Les imbrications et la portée des chansons pour les jeunes enfants sont immenses. Elles sont transmises de génération en génération et se chargent des histoires de chaque famille, ce qui leur donne leur pouvoir d’échange et d’émotion. Et comme le souligne Chantal Grozeliat dans « Musique autour du berceau » (éditions érès), « Chaque chanson est le creuset d’une histoire sensorielle que l’enfant va aimer retrouver, interpréter à son tour à sa façon et avec les moyens dont il dispose ».
Les chansons sont chargées d’affects, ne nous leurrons point. C’est pour cela que pour nous professionnels une réflexion s’impose autour de la question de cet outil de travail. Les paroles des comptines sont chargées de sens, donc il faut réfléchir en équipe sur leurs contenus. De façon à trier ce qui peut être d’ordre familial et intime et ce qui peut être plus professionnel. Le chant comme outil de travail et le chant dans la sphère familial ne se situe pas au même niveau. 
Il serait souhaitable aussi de réfléchir à la présence dans les répertoires de chansons qui font « peur », l’enfant doit se sentir en sécurité avec l’adulte qui chante en l’absence de ces parents. Ces chansons peuvent créer un « ébranlement » émotionnel que l’on ne serait pas toujours en mesure de repérer et donc de rassurer l’enfant inquiéter.

Des moments privilégiés
Les comptines et chansons sont des moments privilégiés (plutôt dans des rencontres individuelles autant que possible) au sens « Piklérien » du terme : il s’agit d’instants de relation duelle, et l’on sait combien dans cette pédagogie, ces moments sont valorisés et précieux. Plus l’enfant est nourri de moments de relation duelle avec l’adulte, plus il sera en capacité d’attendre et sera à l’écoute de la satisfaction de ses besoins. C’est la relation qui permet à l’enfant de profiter de l’activité, s’il n’y a pas de relation, il ne pourra pas garder de trace de ce qui lui est proposé (ainsi qu’apprendre et se souvenir). L’impersonnalité ne renseigne pas l’enfant sur ce qu’il ne ressent ni sur ce que l’autre ressent. C’est la relation qui permet à l’enfant de profiter de l’activité, s’il n’y a pas de relation, il ne pourra pas garder de trace de ce qui lui est proposé (ainsi qu’apprendre et se souvenir). L’impersonnalité ne renseigne pas l’enfant sur ce qu’il ne ressent ni sur ce que l’autre ressent.

Les chanter soi-même, c’est mieux !
Le meilleur CD de comptine ne peut rivaliser avec le moment qu’offre une professionnelle, car elle donne de la relation et même si elle pense ne pas chanter « juste » ou pas assez bien ce qui serait à discuter (apprendre à ajuster sa voix, la découvrir, l’apprivoiser tout le monde peut le faire !). Pour être au plus près de l’enfant, on peut aussi être attentif à la tonalité de la voix, les jeunes enfants ont une tessiture plus réduite que nous adulte (ensemble des sons qu’une voix peut produire, du plus grave au plus aigus) la capacité des enfants à produire des sons se situe plutôt dans les aigus, il serait donc plutôt approprié de chanter autant que possible dans les aigus. Le larynx d’un adulte peut chanter une octave (huit notes) un petit enfant ne peut chanter que cinq notes, c’est pour cela que les répertoires des chansons traditionnelles pour enfants se situe autour de cinq notes. Les petits enfants souvent n’arrivent pas à chanter en même temps que l’adultes car ils ont besoin de s’entendre pour chanter, et lorsqu’ils sont plusieurs à chanter en même temps cela crée trop d’harmonique et ils ne peuvent s’entendre.

Les chansons et les comptines sont des outils de travail qu'il serait bon de remettre à leur juste place. Une place qui est fondamentale, car porteuse de sens et inscrite au plus profond de chacun d'entre nous, mais aussi dans un inconscient collectif témoin de l'histoire d'une humanité qui cherche sa voie ... et ne serait-ce pas la voie de la voix ?
Article rédigé par : Olivier Gilly
Publié le 24 avril 2019
Mis à jour le 01 octobre 2020