La députée Laetitia Avia, en juillet 2017.

La députée Laetitia Avia, à l'Assemblée. Née en Seine-Saint-Denis, elle-même a dû corriger son accent pour entrer à Sciences-Po puis devenir avocate.

AFP/JACQUES DEMARTHON

L'EXPRESS. Vous venez de déposer une proposition de loi contre la "glottophobie", c'est-à-dire le traitement injuste d'une personne fondée uniquement sur la façon de parler une langue ou d'utiliser une langue autre que la langue la plus valorisée. Est-ce l'attitude de Jean-Luc Mélenchon, qui s'est moqué d'une journaliste en raison de son accent toulousain, qui vous a fait réagir ?

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Laetitia Avia : Oui, mais je tiens à préciser qu'il ne s'agit en rien d'une proposition de loi contre les idées politiques de Jean-Luc Mélenchon. Mais comme le montre le mouvement d'indignation qu'ont suscité ces images, il ne s'agit pas d'un cas isolé. Beaucoup de personnes se sont identifiées à cette journaliste parce qu'elles aussi, en raison de leur accent, subissent au quotidien des railleries, des humiliations voire des interdits professionnels. Cette discrimination à caractère linguistique porte en effet le nom de glottophobie, telle que l'a théorisée le professeur Philippe Blanchet.

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On aurait pu s'attendre à ce que ce texte soit déposé par un député de l'Aveyron s'exprimant avec des intonations méridionales. Ce n'est pas du tout votre cas...

Non, mais nous avons tous des accents. J'ai moi-même grandi en Seine-Saint-Denis et je réalise que j'ai aussi corrigé, avec le temps, mon accent dit "de banlieue" d'abord en entrant à Sciences-Po, puis en devenant avocate. Je connais donc le sujet personnellement.

Concrètement, que prévoit votre proposition de loi ?

L'article 225-1 du code pénal liste toute une série de discriminations et, parmi celles-ci, "toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français". Cet article laissait les discriminations lorsqu'on s'exprime en français dans une zone grise. Ma proposition de loi vient combler cette lacune.

A-t-elle une chance d'être adoptée ?

Non, il ne s'agit pas d'un texte qui peut être voté en l'état. Mais ce n'est pas ce que je recherche dans un premier temps : il pose les premiers jalons d'une discussion sociétale, sur une forme de discrimination qui existe mais dont on parle peu encore. Pour que les choses évoluent, il faut d'abord une prise de conscience de la société - on l'a vu à propos des discriminations liées au lieu de résidence. Mon texte vise donc avant tout à provoquer un débat et à pousser les Français à s'interroger : est-il normal, est-il souhaitable que ceux qui sont "coupables" de parler avec les intonations de Moselle, du Nord, de Toulouse, de banlieue ou d'un pays étranger soient pénalisés professionnellement ou moqués lorsqu'ils prennent la parole ? Regardez la situation de la télévision, du théâtre, de la justice, de l'économie : combien de journalistes, de comédiens, d'avocats, de grands patrons s'expriment avec un accent non standardisé ? Très peu. Il faut donc que chacun réfléchisse à ce sujet. Si ma proposition de loi y contribue, ce sera très positif.

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