(Ottawa) Le député du Bloc québécois Martin Champoux a déposé une motion mardi pour remplacer la lecture de la prière en début de séance à la Chambre des communes par un moment de réflexion. Une façon d’imposer le débat sur la neutralité religieuse de l’État dans un Parlement qui compte des députés identifiés à la droite religieuse.

« La société évolue, la société change et on parle de plus en plus d’inclusion, a-t-il affirmé en conférence de presse. […] Quand on veut être inclusif, il faut faire en sorte que les symboles et les actions le soient également. »

« Si on veut respecter toutes les religions, c’est que l’État n’en favorise aucune, a-t-il précisé. De cette façon-là, la neutralité religieuse de l’État que l’on souhaite peut s’appliquer par un moment de réflexion. Il me semble que ce serait la solution idéale. »

La prière est récitée par le président de la Chambre des communes depuis 1877 au début de chaque séance avant l’ouverture des portes au public. Elle a été ajoutée au règlement en 1927, puis a été modifiée en 1994 pour mieux tenir compte de la diversité des religions pratiquées au pays.

« J’ai chronométré hier, c’est exactement 28 secondes que ça prend. Quand j’ai bafoué sur un mot, ça m’en a pris 31 », s’est moqué le député Gérard Deltell. Les conservateurs suivront la ligne de parti et voteront contre la motion mercredi.

Le Bloc québécois a choisi d’utiliser l’une de ses trois journées de l’opposition pour déposer sa motion et ainsi forcer un débat sur la question à la Chambre des communes. Il veut modifier l’article 30 du règlement pour remplacer la prière par un moment de réflexion de deux minutes.

Autant les libéraux, les conservateurs que les néo-démocrates estiment qu’il y a des enjeux plus pressants. « Quand je parle aux gens dans mon comté de Papineau, quand je parle aux Québécois, quand je parle aux gens à travers le pays, ils me parlent du coût de la vie, ils me parlent des enjeux au niveau de la guerre en Ukraine, ils parlent de l’inflation, ils parlent des changements climatiques, a-t-il affirmé avant de se rendre à la réunion du Cabinet. C’est sur ces grands enjeux sur lesquels on va continuer de se concentrer. »

Le ministre Jean-Yves Duclos, député de la région de Québec, s’est toutefois dit « ouvert » à écouter tous les points de vue tout en refusant de préciser s’il était pour son abolition. Plusieurs autres ministres ont esquivé les journalistes pour éviter de dire s’ils allaient voter pour ou contre la motion bloquiste.

Les libéraux pourront voter librement, a assuré le leader du gouvernement en chambre, Mark Holland, à La Presse.

« Je pense qu’on a trouvé à Ottawa un compromis intéressant dans la mesure où c’est une prière qui ne réfère pas à aucune religion en particulier et qui, donc, c’est un moment de réflexion pour l’ensemble, pour l’ensemble des élus », a fini par se mouiller le ministre Steven Guilbeault. Sa collègue Karina Gould a indiqué sans équivoque qu’elle allait voter contre.

« Y a-t-il des enjeux plus importants ? Y a-t-il des enjeux plus préoccupants, plus graves dans le monde présentement ? Oui », a reconnu Martin Champoux. Or, la Chambre des communes alloue déjà beaucoup de temps pour débattre des autres enjeux, a-t-il fait valoir.

Il a rappelé que l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse avait abandonné la prière l’automne dernier, celle de la Colombie-Britannique en 2019 et le Québec l’avait éliminée en 1976.

Bien qu’il juge que ce temps devrait être consacré à d’autres priorités, le Nouveau Parti démocratique est d’accord pour transformer la prière par un moment de réflexion. Ses députés seront toutefois libres de voter comme ils l’entendent. Le député Peter Julian a proposé un amendement à la motion pour ajouter la reconnaissance des territoires autochtones non cédés en début de séance. Il a été rejeté par le Bloc québécois.

En 2015, la Cour suprême du Canada avait jugé que la prière récitée par le maire Jean Tremblay au Saguenay avant les réunions du conseil municipal contrevenait à la neutralité religieuse de l’État. Les affaires internes de la Chambre des communes relèvent du privilège parlementaire. Il revient donc aux élus de décider s’ils abandonnent ou non la prière quotidienne.

Prière de la Chambre des communes

« Dieu tout-puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d’épanouissement et la paix. Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et le (la) Gouverneur(e) général(e). Guide-nous dans nos délibérations à titre de députés et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et prendre de sages décisions. Amen. »