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LE PHILHARMONICOEUR INTERVIEW AVEC NICOLAS SIMON - SON CHEF FONDATEUR

Le chef d'orchestre Nicolas Simon donne naissance au Philharmonicoeur, un orchestre solidaire, humaniste, désintéressé, militant et altruiste qui connaîtra son premier rassemblement en décembre 2019.

Une interview réalisée par Tristan Labouret

Comment est né ce projet ?

Nicolas SIMON : Il est né en février 2018. Il y a eu une grande vague de froid cet hiver-là. Je suis très touché par la misère qu’on croise dans la rue, qui est valable pour toutes les saisons mais plus encore à cette période de l’année. Je me suis alors demandé comment est-ce que je pouvais, par mon métier, aider ces personnes que je voyais souffrir. En parlant de cette situation avec des amis musiciens, je me suis engagé : si un jour on me confie un orchestre, je ferai de cet orchestre un orchestre-accueil, un orchestre-oasis. C’est-à-dire un lieu ouvert à tous, à tous les « exclus » quels qu’ils soient, où les répétitions seraient un moment de chaleur, de réconfort, où l’on pourrait non seulement recevoir du « beau » mais aussi boire un café chaud, manger une madeleine… J’ai alors réalisé qu’il ne fallait pas que j’attende mais au contraire qu’il était indispensable qu’un tel orchestre existe au plus vite.

Cet orchestre se réunira pour la première fois dès le mois de décembre, pendant une semaine, à Stains. Avec quels musiciens ?

La moitié des musiciens seront des professionnels : des musiciens d’orchestres, des intermittents et des enseignants. L’autre moitié sera constituée à 50% d’amateurs d’un bon niveau et à 50% d’étudiants, qu’ils se destinent à devenir professionnels ou pas. Cela permettra à toutes sortes de musiciens de participer : on ne veut exclure personne musicalement ! Mais ce n’est pas incompatible avec la recherche d’une vraie exigence artistique, au contraire. Je fais le pari que chacune de ces catégories communiquera ses qualités aux autres, dans un cercle d’énergie vertueuse : les professionnels ont pour eux une maîtrise technique incontestable et une expérience du métier ; les musiciens amateurs ont des qualités techniques mais envient le niveau et l’expérience des professionnels ; en revanche, ils ont une soif de jouer, une motivation indiscutable. Quant aux étudiants, ils ont une exigence technique indéniable, ils sont animés par la même envie que les amateurs mais ils n’ont pas encore l’expérience des professionnels.

Le Philharmonicœur est-il destiné à se développer, à devenir un orchestre permanent ?

Non ! Le Philharmonicœur se réunira tous les six mois, pas plus. Les participants doivent prendre soin de leur activité professionnelle pour pouvoir offrir de leur temps. Si le projet doit se développer, ce sera autrement : on peut tout à fait imaginer que d’autres orchestres Philharmonicœur, avec d’autres chefs, voient le jour à travers la France ! L’orchestre se renouvellera d’ailleurs à 50% sur chaque rassemblement du Philharmonicœur, pour permettre à un grand nombre d’instrumentistes de participer, de donner pour cette cause. Je n’ai publié qu’un message sur Facebook mais je reçois déjà une quantité de demandes de musiciens qui veulent en savoir plus ou rejoindre l’aventure !

Mais c’est un orchestre qui doit avant tout agir comme un déclencheur. Je ne cherche pas à entrer en concurrence avec d’autres institutions, au contraire : je serais même ravi que les orchestres permanents s’emparent de cette initiative partout sur le territoire national. Alors le Philharmonicœur pourra s’arrêter : notre objectif sera atteint.

Comment concrètement allez-vous aider les « exclus » ?

Cet orchestre a un coût qu’on a pu chiffrer : il nous faut 110 000€ pour ces 5 jours de répétitions et les 2 concerts. Il concerne pour ce premier rassemblement 64 musiciens. Tous les musiciens qui vont monter sur scène seront contractualisés. Nous allons payer leur salaire et les cotisations sociales associées, qui représentent 50% de la somme totale, et j’en suis très heureux : ainsi l’orchestre participe au bon fonctionnement du système social du pays. Ces 110 000€ viendront de fondations, de mécènes, de collectivités territoriales. Le salaire net des musiciens représentera 54 000 € qu’ils s’engageront à reverser directement à l’association. Cette somme sera ensuite redistribuée pour accomplir nos objectifs, en lien avec nos partenaires sociaux : cela servira à acheter des lits pour un centre d’accueil, à réparer un toit, réserver des chambres d’hôtel…

Mais ce n’est pas la seule façon dont le Philharmonicœur va agir : sur les trois heures que durera chaque répétition, une heure sera consacrée à une rencontre, un échange avec les « exclus », sous toutes les formes possibles : simple discussion, aide à la rédaction d’un CV, partage d’expérience, de vécu…

Qui fait déjà partie de l’aventure du Philharmonicœur ?

Juste après avoir eu l’idée de cet orchestre, j’ai appelé Jérémie Pérez et Marielle Cohen, qui venaient alors de créer leur entreprise Combo. Eux-mêmes avaient participé à l’organisation de projets solidaires comparables, notamment avec « L’Autre saison » de l’orchestre Les Dissonances. Ils se sont aussitôt engagés au titre d’un mécénat de compétences. Toutes les personnes qui participent au projet le font de manière désintéressée, sans attendre le moindre retour financier. Jérémie m’a parlé de Marie Hédin-Christophe, directrice générale de La Lettre du musicien, qui est habitée par la volonté d’une politique culturelle sociale. Elle a accepté d’être notre présidente. Très rapidement, Emmanuel Tessier, qui travaille au Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, en Seine-Saint-Denis, s’est joint à l’aventure. Il accompagne tous les jours des détenus, avec une croyance forte en la réinsertion par la culture. Tous ceux qui nous rejoignent en sont convaincus : l’accès à la culture permet de se reconstruire, de créer du lien, de se reconnecter à sa dignité humaine.

Il fallait mettre en place une structure solide qui prendrait en compte tous les aspects du projet. Le bureau s’est étoffé avec l’arrivée d’Agathe Dignac, qui coordonne les concerts éducatifs de la Philharmonie de Paris après avoir œuvré pour les orchestres Démos, et qui connaît très bien la Seine-Saint-Denis ; Léa Pfohl, qui travaillait pour Les Siècles, pour Démos avant de rejoindre les Percussions de Strasbourg, est devenue notre trésorière ; Clémence Quesnel, qui est en relation avec une quantité d’orchestres permanents via ses fonctions à l’Association Française des Orchestres, va prendre en charge les relations avec la presse ; Tristan Labouret, musicologue et journaliste, va mettre sa plume au service de la communication.

Une autre structure est en train de se mettre en place : les Amis du Philharmonicœur. Cette association est constituée de personnes d’horizons très divers, des penseurs qui vont pouvoir porter un regard particulier sur le projet. Le premier « Ami » a été Gilles Delebarre, ethnomusicologue, fondateur du projet Démos, qui est un véritable père spirituel pour moi. Nous ont rapidement rejoints Anastassia Makridou et Marion Desmares de la Fondation Carasso, Emmanuel Hondré de la Philharmonie de Paris, Philippe Fanjas de l’Association Françaises des Orchestres. Enfin, au dernier étage de la fusée, il y a les parrains et marraines du Philharmonicœur. Actuellement, ils sont trois : Pierre Charvet, compositeur, homme de radio, vulgarisateur dans le très bon sens du terme ; François-Xavier Roth, chef d’orchestre qu’on ne présente plus et qui a été – et c’est encore le cas aujourd’hui – un véritable mentor pour moi ; et Marie-George Buffet, qui nous a reçus pendant une heure à l’Assemblée nationale et nous a aussitôt soutenus. Elle est députée de la circonscription de Stains, dans la même communauté de communes que Saint-Denis. C’est grâce à elle que nous ont été ouvertes les portes du théâtre de Stains, lieu de notre premier rassemblement en décembre prochain. Mais attention, notre projet est politique, bien sûr, mais pas politisé.

Les parrains du Philharmonicoeur

Sur quels partenaires sociaux allez-vous pouvoir vous appuyer ?

J’ai vite réalisé que j’allais avoir besoin du soutien de professionnels du secteur social. Quand on commence un tel projet, la bonne volonté ne suffit pas, on ne se rend pas compte de toutes les réflexions qu’il faut mener ! Or je ne veux surtout pas aller chercher des gens dans la rue, leur jouer une symphonie de Tchaïkovski et les remettre dehors ensuite sans m’inquiéter de la suite des événements. D’où l’importance d’être en lien avec des associations, des relais du social qui vont identifier les « exclus » et savoir comment les accompagner, avant et après la semaine du Philharmonicœur. Ce sont d’abord ces gens qui dorment dans la rue qui m’ont touché mais la société produit des quantités d’exclus concernés par ce projet : migrants, enfants en situation de handicap, personnes âgées isolées… On a donc rencontré la Croix-Rouge, le SPIP 93, de nombreux centres d’accueil, mais aussi les services sociaux des mairies d’Aubervilliers, Stains et Saint-Denis, pour avoir les relais, les associations avec lesquelles travailler. C’est pour cela que notre deuxième concert, le 21 décembre, aura lieu à l’église Saint-Eustache, au cœur de Paris où une association, la Soupe Saint-Eustache, distribue gratuitement des repas aux plus démunis, tous les soirs en hiver. Et notre premier concert, la veille, sera complètement ancré dans le tissu associatif et social puisqu’il va inaugurer les « Fêtes solidaires » de Stains, un événement qui a traditionnellement lieu tous les ans à cette période.

L’œuvre au programme lors de ces deux concerts sera la Symphonie n° 6 dite « Pathétique » de Tchaïkovski. Ce choix n’est pas innocent…

C’est une œuvre que j’ai déjà abordée avec le Chœur et Orchestre des Grandes Écoles. La signification littérale du mot « pathétique » est simplement : « qui génère de l’émotion ». Tchaïkovski dit avoir écrit cette symphonie « avec ses larmes », après deux ans de dépression, et l’œuvre fait entendre la victoire du compositeur sur cet épisode ô combien difficile. La victoire n’est sans doute que momentanée : le finale n’est pas totalement victorieux… Mais le troisième mouvement a en lui une force de vie incroyable ! C’est une œuvre qui choisit de regarder en face le désespoir qui est parmi nous, en nous, autour de nous, et qui apporte une vraie réponse en musique.

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