Mix & Remix, Helvète underground

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Après s’être installé comme leader sans rival du dessin de presse et d’humour dans sa Suisse natale, Mix & Remix – de son vrai nom Philippe Becquelin – a fini par s’attaquer à plus grand public, en investissant la presse française. Contraint de s’intéresser, le malheureux, à notre déplorable actualité, il y fait merveille depuis quelques années, appelé partout où l’on a encore besoin du dessin politique, voire du dessin d’humour. Il y a trois raisons majeures à son succès.

Une : les sujets auxquels il s’attaque, toujours en allusion à une actualité brûlante, datée du jour comme un œuf-coque, sont chaque fois universels, pérennes. Mix & Remix tire du fait le plus ridicule ou minable, une leçon grandiose, bien au delà de l’événement décrit. Là devrait être la qualité essentielle de tout dessinateur d’actualité, mais ce n’est pas le cas. La plupart des dessins de ses confrères en actu se démodent vite, pas les siens. Un de ses cartoons anciens parle encore des années après alors que l’anecdote prétexte est, depuis lurette belle, sortie des mémoires. Combien de cartoonistes peuvent en dire autant ?

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Deux : sans doute à cause de ce qui précède, Mix & Remix s’est adapté quasi instantanément à l’info française, aux thèmes bien franchouillards, il a saisi les cibles évidentes à nos yeux mais pas forcément à ceux d’un Helvète, sans se tromper. En aucun cas, ses dessins ne sont ceux d’un touriste. Aucun lecteur français n’imagine qu’il puisse ne pas être de l’Hexagone. Tant mieux, ainsi il a instantanément été adopté. Comment ?! Un étranger entré clandestinement dans nos journaux ? Que fait Robert Ménard ?

Trois : le style Mix & Remix. Qui a vu un seul de ses dessins identifie son auteur dès le deuxième. Impossible de confondre. Aucun de ses confrères ne l’a inspiré, en tout cas pas francophone, ou alors c’est subreptice. Ses nez, ses jambes, ses pattes plutôt tant elles sont animales, n’ont pas d’équivalents. Mais plus encore, c’est l’expression de ses personnages, qu’on devine colérique ou dubitative, hilare ou vexée, alors que chaque visage est dessiné de la même façon. Du grand art, qu’il partage avec de rares confrères (Gorce, Filipandré), art démontrant que l’expression ne se dessine pas, elle se devine.

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Dans son genre minimaliste, il est si difficile de façonner un style sans tomber dans la facilité où tant d’autres avant lui ont sombré ; car Mix & Remix ne « minimalise » pas, ne simplifie pas – il épure. Il plaît probablement aux amateurs d’art japonais classique. Dans le dessin d’humour et surtout dans le dessin d’actualité, rares sont ceux qui ont des préoccupations esthétiques. Ceci depuis que le grand Sennep avait déclamé dans les années 1920 que les dessinateurs de presse n’étaient plus des artistes, mais des journalistes, et qu’aussitôt ses confrères avaient obtempéré : le dessin avait dès lors éliminé d’un coup tout décor et toute fioriture (ce qui était en soi une démarche artistique, quand même !).

Depuis, les grands artistes du dessin de presse sont rares, a fortiori ceux de l’épure : Laforge dans les années 1910-1920, Grove dans les années 1920-1950, Reiser dans un autre genre, Mix & Remix aujourd’hui, ou Gorce précédemment cité. L’histoire de ce courant graphique reste à faire. Mais à qui viendrait-il l’idée de réunir les dessinateurs de presse par style et non par école ou par média ?

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Les Cahiers dessinés sortent aujourd’hui un pavé de plus de 300 pages de dessins politiques de Mix & Remix, subtilement titré Dessins politiques, préfacé par Frédéric Pajak qui compare ses dessins à des aphorismes, ce qui est fort juste. Je n’aime pas trop les fonds de couleur rajoutés aux dessins, tant Mix & Remix est un géant du noir et blanc. Certains dessins sont coloriés aussi, mais si ça ne dénature pas, ça n’apporte rien de plus.

Rien ne doit perturber le trait quand il a une telle puissance. Exactement comme le cinéma des années 1930 restera toujours supérieur aux technicolors des années 1950-60, car la couleur ne fait souvent qu’occulter les faiblesses. Mix & Remix a un trait sans faiblesse, un humour sans faiblesse, une rosserie sans faiblesse. Lisons-le sans faiblir !

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Dessins politiques. Par Mix & Remix. Cahiers dessinés. 26 €.

2 réponses sur “Mix & Remix, Helvète underground”

  1. Mix et Remix nous a quittés… Son pas de côté qui élargissait toujours la perspective nous manquera. J’espère qu’un éditeur publiera l’intégralité de ses dessins.

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