Résumé

Quelle est la pertinence pour un musée de développer une stratégie numérique dont une des composantes s’appuie notamment sur la volonté de diffuser des contenus conçus par le musée sur des plateformes participatives en ligne ? Étant donné l’existence des contraintes que soulève le développement d’une stratégie de participation informatique, les musées n’ont pas nécessairement intérêt à agir directement sur ces leviers et peuvent opter pour une externalisation de ce type de diffusion. Il s’agit aussi peut-être pour eux de résister à une injonction à participer par le web 2.0 qui ne pourrait n’être que passager. Cependant les résultats du cas d’étude que nous présentons ici ne permettent pas d’écarter la possibilité que nous assistions à un tournant que les musées, s’ils veulent continuer à remplir au mieux leurs missions, notamment participatives, doivent négocier au mieux.

Abstract

What is the relevance for a museum to develop a digital strategy, one of whose components is particularly based on the intention to distribute content designed by the museum for participatory online platforms? Given the existence of the constraints raised by the development of an IT strategy for participation, museums may not necessarily find it advantageous to act directly on these levers and can opt for outsourcing this type of distribution. It might also perhaps be for them a question of resisting against participation in the Web 2.0 trend that could be temporary. However, the results of the case studies presented here do not allow us to rule out the possibility that we will see a turning point as museums, if they want to continue to best fulfill their missions, including participatory, should negotiate the best they can.

musée, web collaboratif, méthode mixte, carte heuristique, approche PLS

Keywords

museum, participatory web, mixed method, mind map, PLS Approach

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Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes ainsi intéressés au rôle que peut jouer la participation informatique dans la relation que les visiteurs nouent entre eux et avec le musée. Après avoir retracé les enjeux et le contexte dans lequel s’insère notre problématique, nous détaillons une méthodologie mixte qui intègre deux outils de récolte des données par entretien et par questionnaire en ligne, avec deux méthodes d’analyse combinant carte heuristique et modélisation de chemins de corrélations par les moindres carrées partiels. Nous avons finalement appliqué cette méthodologie à un cas d’étude de terrain spécifique en adéquation avec nos questions de recherche.

Introduction

En 2013 la revue Culture & Musées livre sous la direction de Viviane Couzinet (2013), un numéro consacré à une thématique pluridisciplinaire entre les Sciences de l’information et les Sciences de la communication (dont la muséologie) : “Bibliothèque et musée : notions et concepts communs”. Les articles réunis dans ce numéro ont pour ambition théorique de faire émerger et de discuter, dans une perspective étymologique et historique, des concepts communs aux chercheurs en muséologie et en information-communication. Le projet éditorial de la rédactrice en chef invitée peut se résumer ainsi : participer à la construction collective de concepts et de notions transversaux en prenant également en con-sidération des recherches menées sur le terrain par des professionnels et des chercheurs. Les concepts en question discutés par les auteurs dans cette double perspective s’avèrent être les concepts d’usage, d’information, de document, d’oeuvre, de collection, de médiation, de catalogue; mais aussi les notions de valeur et de culture. Parmi les missions que les bibliothèques et les musées ont en commun, François Mairesse insiste sur celles de conservation et de diffusion au moment même où les technologies du numérique façonnent les nouvelles fonctions et les nouveaux usages de ces deux institutions du document : « Si, consubstantiellement, les deux institutions divergent par leurs spécificités, si leur histoire montre une relation pour le moins distendue, penchant tantôt en faveur de l’une — la bibliothèque au XVIIIe siècle —, tantôt en faveur de l’autre — le musée au début du XXIe siècle —, la situation actuelle, conditionnée par le développement des technologies, ferait plutôt état de signes de rapprochements. » (Chaumier et Mairesse 2013, 37).

Notre objectif dans cet article n’est pas de revenir sur les discussions théori-ques traitées dans le numéro thématique en question. Nous souhaitons ici pro-longer la démarche de questionnement rapproché entre le musée et la bibliothè-que en introduisant un concept qui, bien que n’étant pas explicitement traité par les auteurs, s’avère être aujourd’hui un concept commun à la muséologie et en information et communication, le concept de participation informatique de l’usager. Nous cultiverons notre différence avec François Mairesse, d’une part en nous appuyant sur un terrain d’analyse concret, à savoir un musée de société; et d’autre part, en nous concentrant sur des questions méthodologiques autant que sur les questions communicationnelles et informationnelles. [End Page 330]

Dans la mesure où les travaux auxquels nous faisons référence sont l’objet d’une thèse en cours1, nous nous en tiendrons à présenter une partie seulement des résultats obtenus à ce jour. Cette thèse présente une spécificité dans le paysage académique français : il s’agit d’une thèse menée dans une perspective interdisciplinaire élargie, entre les sciences de l’information et de la communication d’une part et l’informatique d’autre part. Ce qui nous amènera tout au long de l’article à :

  1. 1. Déployer une terminologie qui relève autant de l’informatique que des sciences sociales;

  2. 2. Approfondir certains verrous méthodologiques qui nécessitent des approches innovantes en analyse statistique des données;

  3. 3. Croiser des approches qualitatives et des approches quantitatives tout en restant sur le terrain du musée (entretiens qualitatifs) et de l’Internet (questionnaires en ligne).

L’objectif principal de cette démarche interdisciplinaire, pour traiter du concept de participation par les usagers de musée, est de nous permettre d’observer des phénomènes de connivence entre certains usagers de l’Internet et le musée en question; des connivences ou des “rencontres muséales numériques” (prati-ques effectives du musée par les internautes) qui ne peuvent en aucun cas être considérées selon nous comme moins légitimes ou moins “nobles” que la visite traditionnelle d’une exposition.

Le reste de l’article est ainsi organisé : l’état de l’art est introduit en §2 avant de préciser en §3 notre problématique vis-à-vis des dispositifs existants, puis nous proposons en §4 une méthodologie mixte d’observation et d’analyse que nous appliquons en §5 à un cas d’étude spécifique, mais approprié. Finalement nous présentons nos conclusions en §6.

É tat de l’art sur Musée, participation et informatique

Un engagement qui préexiste à l’arrivée du « web 2.0 »

Au musée, la participation n’est pas une pratique consécutive à l’arrivée du web 2.0. En Europe, on doit l’intégration de la participation à l’invention des écomusées. En découlera, l’action des visiteurs au service de la conception des expositions, de l’enrichissement des collections, la construction des discours et l’animation du lieu. Dans cette mouvance, on peut citer de nombreux exemples comme l’écomusée du Fier-Monde de Montréal2, ou le Museon arlaten à Arles qui comptait sur les habitants du territoire pour faire vivre le lieu et s’engager dans une démarche de muséographie participative. Dans certains pays, elle peut aussi être le fruit d’une stratégie de gestion tournée vers le bénévolat et/ou le mécénat. L’Oakland Museum of California compte, comme nous le rappelle Jean-Michel Tobelem, sur la participation de 1300 bénévoles pour effectuer des visites guidées, l’accueil, délivrer de l’information, aider l’administration (Tobelem 2010 143). [End Page 331]

Mais la participation des visiteurs peut aussi être engagée par les activités culturelles et la médiation que proposent tous types de musées. Sans devoir même s’appuyer sur la dimension participative que requiert l’interprétation et l’appropriation des contenus d’une exposition lors de la visite (Davallon 1999, 171; Silverman 1995; Russo et al. 2008, 22), on peut déjà observer des manifestations tangibles de la participation au musée avant l’arrivée du web 2.0. Les publics peuvent s’impliquer sur différents types de projets allant de la conception à la réception des projets culturels, projets qui ont chacun des durées variables et interviennent à des moments différents (avant, pendant et après la visite; sur du court, moyen et long terme)3.

Le web participatif participe-t-il au projet muséal ?

Si l’on se penche sur la façon dont les musées se sont emparés des technologies de l’information et de la communication, on note qu’elles font leur entrée, non pas dans une optique de médiation ou de promotion, mais d’abord dans une logique scientifique et professionnelle. L’informatique arrive au musée par la collection et son informatisation (Marty, Rayward et Twidale 2003). C’est donc à partir du système de la base de données que la collection sera renseignée, documentée et gérée. Précisons qu’à la différence des centres d’archives ou des bibliothèques pour lesquelles le catalogue est l’outil d’accès aux collections pour les usagers, au musée, l’inventaire est un outil à destination du personnel du musée et des chercheurs. Les moyens traditionnels d’accès à la collection destinés au grand public se font via l’exposition, les animations culturelles, le catalogue du musée ou des expositions. L’inventaire informatisé des collections est donc d’abord construit pour un usage professionnel. C’est-à-dire gérer matériellement les artefacts, les documenter, et dans certains cas : faciliter la préparation des expositions et de la communication.

L’informatisation des collections, grâce à un terminal de visualisation d’abord, grâce à Internet ensuite, rendra progressivement l’exploration des collections possible à tout un chacun. Dans un premier temps, cette exploration se fait dans un musée pour, dans un second temps, avoir lieu depuis n’importe quel endroit du monde avec le web. C’est donc avec la mise en ligne de ces bases de données qu’on assistera au développement de stratégies d’ouverture, d’accessibi-lité et de médiation des collections sur Internet (Andreacola 2014). Dans le but de nourrir cette logique d’accessibilité, il existe des plateformes patrimoniales qui regroupent des ensembles d’artefacts comme la base Joconde, ou encore la plateforme Europeana qui rassemblent des fiches issues de différentes institutions patrimoniales françaises ou européennes. Pour ces deux exemples, les expositions en ligne et les regroupements thématiques sont alimentés par la base de données d’objets.

Pour les raisons historiques évoquées et en s’inspirant de l’architecture de ces deux exemples, nous pouvions faire l’hypothèse que les sites Internet de musées soient construits à partir d’un noyau qui serait la collection. Et de la même façon que ce coeur alimente une exposition, un catalogue ou les animations culturelles d’un musée, il nourrirait son site Internet ainsi que ses ramifications [End Page 332] sur le web participatif notamment. Nous avons cherché à identifier des leviers ou des freins qui peuvent avoir des effets sur la mise en place de ce type de structuration.

Tout d’abord, l’architecture de la base de données porte en elle-même une frontière si elle ne permet pas d’alimenter facilement des interfaces externes en ligne de ses contenus et leur mise à jour.

Ensuite, le rattachement des musées à une collectivité peut aussi avoir un impact. Les musées peuvent être soumis à l’adaptation de leurs stratégies numé-riques à la politique générale de la collectivité en terme de moyens (financiers, techniques, humains) et en terme d’image (charte graphique autonome, déclinée ou identique; page du site de la tutelle, blog ou site web indépendant. . .).

Enfin, la motivation de la direction et des équipes du musée jouent un rôle considérable. Aucun projet, qu’il soit numérique ou non, ne peut avancer si l’intérêt et donc les raisons de s’y investir ne sont pas évidents et partagés par le personnel du musée.

Problématique : insuffisance des dispositifs existants

Pour explorer la façon dont la participation joue un rôle dans les relations tissées entres les usagers du musée, certains usagers de l’Internet et le musée, nous avons, comme point de départ, évalué l’intérêt scientifique de travailler avec les données que Facebook, réseau social dit participatif, met à disposition de ces trois types d’utilisateurs.

Si l’on souhaite étudier les pratiques en lien avec le musée des visiteurs et visiteurs potentiels du musée sur Facebook, on est confronté à deux problèmes liés à l’accès aux données. Le premier est lié au système d’échanges que permet ce réseau social. Les contenus échangés autour et au sujet du musée ne transitent pas uniquement par une mention de/sur la page ou d’un élément de la page du musée. En d’autres termes, le musée peut « exister » sur Facebook sans qu’une page dédiée existe, par la possibilité qu’ont les membres à parler de ce sujet sur leur page personnelle de manière plus ou moins publique (en fonction de leurs réglages de confidentialité). Ces contenus pour lesquels le musée est mentionné de façon plus ou moins explicite sont enregistrés, comme tout autre contenu, par l’entreprise Facebook. Mais ils ne seront pas ajoutés aux données statistiques auxquelles a accès l’administrateur du compte de la page Facebook du musée.

Le second aspect, qui s’appuie notamment sur ce premier constat, est que les données transmises par l’entreprise et le système Facebook à ses usagers sont partielles et choisies. En effet, étant donné la construction du site web Facebook, on peut supposer qu’il archive différents types de données dont notamment : des contenus (messages textes, images, sons et vidéos laissés par les membres), des données d’usage du site par les membres et internautes (temps passé, nombre de clics, cible des clics, parcours de navigation, adresse IP, source de connexion, navigateur. . .), les données personnelles relatives aux membres utilisant la page ou des contenus relatifs à la page (âge, genre, goûts, profession, coordonnées. . .). Parmi ces données, l’entreprise Facebook choisit d’en livrer certaines en fonction du statut de l’usager : « ami » ou « page » en l’occurrence. [End Page 333]

À cela s’ajoute la capacité relative des usagers à opérer des choix par rapport aux types de contenus que l’entreprise Facebook diffuse d’eux et leur transmet. Pour les administrateurs de pages, l’entreprise Facebook livre un jeu de données statistiques. Il s’agit, en l’occurrence, d’un comptage du nombre de visites (vue des onglets de la page, par jour et heure), de formes d’engagement (personnes ayant aimé, commenté, partagé ou cliqué sur une publication), de la portée (nombre de personnes à qui une publication de la page a été diffusée; par jour) et des informations relatives aux personnes aimant la page (genre, âge, origine géographique, langue). De plus, la forme et la teneur des informations placées sur ces pages de statistiques incitent l’administrateur de la page à acheter de la visibilité (des espaces publicitaires) en vue d’accroître son nombre de mentions « j’aime ». Facebook induit de cette façon que l’augmentation de ce nombre est l’objectif à atteindre par les administrateurs de pages. Le clic sur un lien intitulé « j’aime » apparaît être un des enjeux commerciaux de ce réseau social embléma-tique du web participatif. Les données statistiques transmises par l’entreprise Facebook aux propriétaires de pages sont donc partielles, au vu des données en leur possession; partiales, car elles sont orientées en fonction d’objectifs commerciaux définis par l’entreprise Facebook. Pour ces différentes raisons, il est donc déconseillé au chercheur de se baser uniquement sur ces données pour tenter de comprendre les usages et le rôle du web participatif en lien avec une pratique muséale.

C’est à partir de ces constats que nous avons décidé d’explorer une autre source de données : le journal de connexion du site web du musée analysé sur une période de deux ans4. L’analyse de ces données a révélé que le nombre de visiteurs uniques du site web est corrélé significativement avec le nombre de visiteurs réels du même musée. Cette information nous a d’abord permis de consolider l’idée selon laquelle les visiteurs intègrent le web à un moment donné et en lien avec leur visite. Mais l’analyse de ces données a rencontré des limites pour explorer la place du web participatif. Le journal des logs contient des données relativement limitées sur ce point. Par exemple, nous savons que sur une période d’un an, 1% des visiteurs du site web de ce musée, y sont « entrés » depuis un lien existant sur Facebook. Ce site web ne nous livrant pas d’indica-teurs susceptibles d’approfondir ces résultats, nous avons dû avoir recours à d’autres types d’outils d’investigation : l’entretien et le questionnaire. La façon dont nous les avons associés est expérimentale.

Méthodologie et dispositif d’enquête

L’entretien

Avant d’entamer la phase d’enquête par questionnaire, nous avons construit un protocole de récolte des données par entretien. Ce corpus ne visait ni l’exhaustivité, ni la représentativité. Nous souhaitions faire émerger des singularités et à les faire dialoguer les unes avec les autres (Beaud et Weber 2010, 177–78). Il s’agit donc d’un corpus principal tel que le définissent Blanchet et Gotman (2010) mais il ne s’agit pas d’un corpus principal unique car nous le mettons en relation [End Page 334] avec le questionnaire. Pour des raisons de chronologie de l’enquête et de la démarche expérimentale qui caractérise l’ensemble du projet de recherche, ces entretiens ont aussi joué le rôle d’entretiens exploratoires. Ils ont permis d’orienter certains choix dans la construction du questionnaire. Chaque entretien s’est déroulé en deux étapes successives. La première partie consistait à discuter avec l’interrogé sous forme d’entretien libre pour l’informateur et semi-directif pour l’enquêteur. Ce procédé est possible grâce à l’utilisation d’une carte heuristique (cf. infra) en possession de l’enquêteur.

La carte heuristique a été conçue pour notre recherche, de manière à anticiper les questions d’appropriation, de partage et de transmission des contenus relatifs à l’exposition avec ou sans des outils numériques dans la temporalité de l’avant, pendant et après l’exposition. La conversation lancée, nous utilisions les éléments livrés par l’informateur pour aborder les points thématiques repris dans notre carte heuristique pour les approfondir tout en nous laissant autant que possible guider par son cheminement et son cadre de référence.

Cette carte se déploie en 4 branches principales. Trois branches concernent les aspects temporels et sont relatifs à la visite du jour, la quatrième est utile pour aborder les usages dans un cadre général tout en se cantonnant au champ de la culture, des musées voire du musée visité (dans d’autres circonstances). Dans les cas de description d’usages, nous avons souhaité atteindre les intentions d’action ou les actions ainsi que les types d’outils associés. Dans le cadre des non-usages, nous cherchions à faire ressortir les comportements alternatifs d’interactions, en vue de partage et de transmission de l’expérience de visite. Cet outil est volon-tairement synthétique. Il permet à l’enquêteur de mémoriser visuellement une trame d’entretien souple (figure 1).

Le questionnaire en ligne

Le questionnaire a été administré selon deux modalités et à deux moments suc-cessifs. La première phase s’est concentrée sur les abonnés de la lettre d’information du musée de société étudié (1428 personnes), la seconde phase a concerné les visiteurs du site web du musée et les « amis » de la page Facebook du musée. Nous avons donc, d’abord, envoyé une lettre d’information classique du musée, en respectant les habitudes en terme de graphisme et de ton, invitant les abonnés à répondre à un questionnaire en ligne anonyme en cliquant sur le lien unique présent dans le corps du message. Dans un second temps, nous avons invité les internautes qui se trouvaient sur le site web du musée étudié à se prêter au jeu de l’enquête. L’anonymat étant là encore respecté. Une des spécificités du pro-tocole était qu’il devait respecter une des dimensions participatives que nous souhaitons étudier : la relation spécifique qui s’établit entre les visiteurs et le musée et dans le cadre d’une enquête (Chaumier 2007, 247).

La forme

Respecter cet aspect nous a demandé de prendre deux précautions formelles. D’une part, le contexte se devait d’être cohérent avec la dimension de participation étudiée : la relation s’établit avec le musée et non pas avec le chercheur. [End Page 335]

Figure 1. Carte heuristique utilisée comme guide d’entretien (Concepteur : Florence Andreacola)
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Figure 1.

Carte heuristique utilisée comme guide d’entretien (Concepteur : Florence Andreacola)

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Pour y parvenir, nous avons avec la complicité du musée fait disparaître tout élément permettant d’identifier les chercheurs. Celui responsable de l’administration du questionnaire est apparu comme un membre de l’équipe du musée. Ce statut permettait de signer les messages d’invitation et d’être contacté pour des questions supplémentaires par les répondants potentiels. D’autre part, nous avons pris le parti de concevoir un questionnaire agréable et attractif : peu de questions par page, organisation thématique, jeu de classement, style direct, formules courtes, liberté dans la navigation, liberté dans l’écriture (champs libre, possibilité d’entrer en contact avec l’équipe du musée). Ce design devait favoriser l’implication pour ensuite la mesurer. Les indicateurs qui nous permettent de mesurer ces aspects sont d’ordre contextuel et récoltés à l’insu : comme le temps que l’informateur a consacré à répondre (section par section). Ce choix repose sur le constat que tire Wolton de l’impact d’Internet sur nos rapports à la communication. Selon lui, avec la modification de l’échelle de temps qu’entrainent les nouvelles technologies, le temps deviendrait une valeur que l’on accepte ou non d’échanger contre une interaction avec quelqu’un (Wolton 1999, 108). Nous avons souhaité comprendre comment la dimension du temps accordé par l’informateur dans sa relation au musée pouvait être corrélée à d’autres questions concernant sa participation, notamment.

Les autres concernent les modes de réponses aux champs libres. Les caracté-ristiques de ce questionnaire ont un avantage certain : elles permettent un taux de réponse et un taux de questionnaires entièrement complétés élevés. Son inconvé-nient est le nombre important de modalités qu’il entraîne.

Les deux questionnaires sont composés de 20 questions attachées à 4 groupes thématiques et présentés sur 6 pages web. Le questionnaire disponible sur le site web du musée diffère légèrement, car il prend en compte la possibilité que les répondants ne soient jamais venus au musée.

La visite et les missions du musée

La première thématique concerne la visite. Les questions associées sont placées sur 2 pages (la première et l’avant-dernière) et concernent la fréquence de visite (question n° 11; avec une modalité de contrôle), les motifs de visite (question n° 1), les moyens par lesquels les visiteurs ont été informés des activités du musée (question n° 2), le fait d’être venu seul ou accompagné (question n° 12).

Ensuite, nous avons abordé les questions de partage et d’interaction pendant, avant et après la visite, en ligne et hors ligne ou équipé ou non équipé en page 2 (pendant), page 4 (avant et après). Les questions n° 3 et n° 4 permettent d’ap-profondir la question du partage avec ou sans équipement en page 2 du questionnaire.

À la suite de ces questions, sur la même page, nous avons interrogé les visi-teurs sur les missions qu’ils assignent à un musée comme celui-ci (question n° 5, page 2). Au moyen d’un jeu de cases à classer, nous leur demandions d’effectuer un classement à partir d’une sélection de 3 missions qu’ils jugeaient prioritaires. Avec cette question, nous souhaitions approfondir une piste soulevée par les [End Page 337] résultats des entretiens : quel est l’impact de la représentation que se font les visiteurs du musée sur leurs usages d’outils technologiques en lien avec leur visite (cf. infra). Les missions proposées reprennent en partie celles de l’enquête “À l”écoute des visiteurs’5 ordonnées des plus institutionnelles aux plus partici-patives.

Les usages technologiques

En quatrième page, nous interrogions les visiteurs de nouveau sur le « pendant » en cherchant à aborder les types d’usages et types d’appareils (question n° 9). Nous avons pu, avec la question n° 8 approfondir les façons de préparer la visite.

Afin de “contextualiser” les réponses sur les usages technologiques, nous avons intégré une page qui concerne les habitudes connectées des répondants. Par la fréquence (question n° 6) et par une double question : type d’appareil et type de lieu (question n° 7). Cette page était placée juste avant les questions d’approfondissement (page 4 et questions n° 8, 9 et 10) des usages avant, pendant et après qui viennent d’être présentés.

Le contexte usager

En fin de questionnaire, nous avons ensuite posé des questions plus classiques relatives à l’âge, au genre, au lieu de vie, aux habitudes culturelles, aux loisirs et au niveau d’étude. Mais le questionnaire se clôturait par un champ libre extensible dans lequel les répondants pouvaient s’exprimer librement.

Outils d’analyse

Analyse des entretiens

Afin de faire émerger des éléments pertinents par rapport à nos questions de recherche à partir du corpus d’entretiens, nous avons procédé à une analyse compréhensive, thématique et à une analyse lexicale. L’approche compréhensive s’est articulée autour de l’analyse de chaque entretien pour lui-même en prenant en compte son organisation interne (ordre des thèmes abordés, articulation des idées, modalité d’association d’idées, contradiction, accentuation, non-dit, sous-entendu, implicite, rupture). La carte heuristique a aussi préparé le travail de l’analyse transversale (Blanchet et Gotman 2010) par la mise en évidence des thématiques et leur articulation. Il a fallu néanmoins, revenir aux entretiens pour qu’ils guident une reformulation des thématiques abordées. Nous les avons abordés de façon transversale en nous concentrant d’abord sur les éléments de contenus. Bien qu’elles soient abordées différemment, les 3 grandes catégories de temps subsistent : avant, pendant, après la visite. Ces moments sont par ailleurs subdivisés en des unités de sens. Ces unités témoignent qu’une transformation des thématiques de la carte heuristique a lieu au profit d’actions qui peu-vent se ranger sous des catégories plus génériques. Elles ont été construites en fonction de leur capacité à englober des modalités d’usages, d’interactions et de représentations associées qui nous ont été racontées. Afin de faciliter la lecture [End Page 338] analytique, nous avons ajouté à chacune de ces catégories une mention « avec le web » et « sans le web ». Cette catégorisation répond à l’objectif d’étudier un impact potentiel des technologies numériques et de l’accès au web qu’elles permettent sur les usages associés à l’expérience de visite. Nous avons, dans cette réorganisation des entretiens, conservé une lecture horizontale par individu et une lecture verticale, par thématique. L’usage d’un tableur nous a permis de trier les verbatims de différentes manières sous chaque catégorie en respectant l’unité « informateur » et d’analyser les groupes de verbatims rassemblés par thématique que nous pouvons alors percevoir comme des variations autour du même thème. Cet outil est à visée analytique. Nous présenterons ici des focales que nous pouvons mettre en perspective avec l’analyse des résultats du questionnaire.

Méthode d’analyse des questionnaires — application expérimentale du modèle PLS

Avant d’entrer dans la description et les raisons qui nous ont poussés à choisir la méthode d’analyse PLS-PM, précisons qu’elle n’a pas été choisie a priori. Les questionnaires ont été conçus sans présager de la méthode d’analyse qui pouvait être appliquée aux données. Nous ne cherchions donc pas à vérifier un modèle porté par nos hypothèses et un type de résultats attendus.

Pour faire émerger des corrélations significatives, il a été nécessaire de réaliser un travail de régression linéaire en deux temps. Ces deux étapes nous permettent d’obtenir des variables que nous utilisons pour faire émerger des corrélations avec un degré de significativité suffisant. On les appellera les variables latentes. Cette méthode est aussi dénommée Partial least squares regression (PLS) qui peut se tra-duire par Régression des moindres carrés partiels. Cette régression linéaire nous permet d’aborder les données issues du questionnaire de manière exploratoire et descriptive. On doit cette approche à Herman Wold (Jöreskog et Wold 1982). En métho-dologie des sciences humaines et sociales, Pascal Bressoux présente cet outil d’analyse dans son ouvrage sur la modélisation statistique appliquée aux sciences sociales. Nous retiendrons les limites des variables latentes qu’il retrouve chez les auteurs Duru-Bellat et Mingat : « L’inconvénient d’une telle spécification, c’est qu’elle ne dit rien des mécanismes précis qui sont à l’oeuvre; chaque macro-unité est ici considérée comme une boite noire. On utilise en général ce modèle comme un préliminaire à la mise en oeuvre d’une analyse contextuelle proprement dite qui va chercher à identifier les processus à l’oeuvre (Duru-Bellat et Mingat 1993). » (Bressoux 2008, 276).

Dans ce cadre, nous sommes plutôt face à de degrés de corrélations qui sont faibles qui restent selon nous pertinentes, car elles émergent comme les plus significatives après avoir testé l’ensemble des combinaisons possibles. Elles sont alors à mettre en perspective avec d’autres études pour les faire dialoguer. L’autre corpus analysé (entretien) intervient à deux reprises pendant cette analyse : dans la phase d’élaboration de modèles et dans la phase de compréhension des corrélations obtenues. [End Page 339]

Mise en oeuvre et résultats

Un terrain propice d’expérimentation : le Musée dauphinois de Grenoble

Placer le public au centre de sa politique d’établissement et de ses stratégies de communication est un engagement que certains musées choisissent comme moteur de leurs actions. Cette approche, issue de la nouvelle muséologie, est défendue et pratiquée par le Musée dauphinois de Grenoble. Musée de société, il conserve une collection d’archéologie et d’ethnographie régionale qui l’autorise à traiter des thématiques liées à l’histoire du territoire (histoire industrielle, sociale, archéologie, migrations). Il se distingue par sa politique de gratuité, sa pratique de la muséographie participative et au soin particulier accordé à la scénographie de ses expositions. Elles sont portées par l’ambition de stimuler l’intérêt et l’appropriation des contenus tout en cherchant à provoquer des interrogations et de la réflexivité chez les visiteurs. La muséographie participative s’applique à chaque exposition et se concrétise par l’intégration de la parole, des objets et des approches d’acteurs liés à la thématique de l’exposition et issus du territoire. Par l’importance accordée à la scénographie (interactive et « immer-sive »), aux textes (apports scientifiques, différents niveaux de lecture, hiérarchisation, mise en forme graphique. . .) et à la circulation (dont la conception doit amplifier le message délivré), le Musée souhaite impliquer le visiteur de façon à ce qu’il puisse développer un regard critique sur la société au vu des faits qui lui sont présentés. Ce projet compte donc sur la participation du visiteur dans son activité interprétative et réflexive pour faire fonctionner l’exposition et son contenu.

En 1987, le Musée dauphinois entame le long chantier d’informatisation de ses collections. Un inventaire des objets des musées du département de l’Isère (dont le Musée dauphinois fait partie) est entamé sur une base de données. En 1997, le Musée ouvre son premier site Internet et donnera progressivement l’accès à ses collections numérisées. Aujourd’hui, un travail de réflexion est mené sur la présence en ligne du Musée par le biais de son site Internet et d’autres plateformes participatives, notamment. De par sa présence déjà ancienne sur Internet et sur le web participatif (Facebook en particulier), le choix de la gratuité, la pratique de la muséographie participative, ce terrain nous semble particulièrement fertile pour faire évoluer nos questions de recherche précédemment détaillées.

Analyse des entretiens

Afin d’avoir accès à une population numériquement importante, nous avons décidé d’interroger les visiteurs d’une exposition temporaire en particulier du Musée dauphinois lors de la période de la recherche consacrée à l’enquête de terrain. À cette période, il s’agissait de l’exposition « Les dessous de l’Isère ». C’est une exposition ouverte au printemps 2013. Nous avons réparti les entre-tiens sur une durée de 7 mois en 2013 : du 13 mai 2013 au 1er novembre 2013. L’étude menée ici se fixe, pour des raisons pratiques, à une exposition tempo-raire, mais cherche avant tout à se situer sur la question des usagers du musée en général, et moins d’une exposition en particulier. [End Page 340]

Nous avons interrogé 41 individus âgés de 15 ans et plus. L’échantillon se caractérise par 15 situations d’entretien de groupe (couple, amis, membres d’une même famille) et 6 visiteurs individuels.

Nous avons pu relever des éléments pour notre analyse dans l’étape de prise de connaissance de l’existence de l’exposition et la prise de décision. En effet, les paroles recueillies nous permettent de penser que les visiteurs prennent connais-sance de l’existence de l’exposition par le biais de sources différentes et qui se superposent. Lorsque l’information leur parvient (donc lorsqu’ils ne vont pas la chercher) notamment par Internet, c’est plutôt par le biais des réseaux sociaux, en l’occurrence Facebook, ou par une page de blog. La composante Internet et plus spécifiquement, les réseaux sociaux, joue un double rôle : le premier con-cerne le fait de recevoir l’information sur l’existence de l’exposition; le second est relatif ainsi à la prise de décision de visite. Dans ce dernier cas, Internet et ses réseaux sociaux deviennent un support capable de véhiculer des discours sur des pratiques et des appréciations. Une fois la décision de visite prise, l’Internet semble pouvoir intervenir dans un second temps dans le processus d’organisation de la visite mais, en moindre mesure, constituer un espace de documentation préalable à la visite d’une exposition.

Lorsque nous avons abordé les usages des outils de communication pendant la visite, le simple fait d’aborder la question avec nos informateurs a pu susciter des réactions de rejet sous différentes formes. Plus précisément, interroger les visiteurs sur leurs usages des technologies numériques pendant la visite soit pour entrer en contact avec ce que nous avons appelé un « autre absent » ou pour prendre des photographies a mis en évidence deux situations spécifiques. La première est de nature sociale et est plutôt relative à une inhibition associée à une règle de politesse par les interrogés. La seconde situation, fait plutôt écho à une interdiction d’ordre réglementaire (ou institutionnelle). La première situation est attachée aux communications téléphoniques orales ou écrites. Ce que nous désignons par le fait d’entrer en contact avec un “autre absent”. Les locu-teurs parlent de la gêne qu’ils subissent ou subiraient : « je trouve ça très gênant », « je trouve que c’est assez pénible ». Dans la seconde situation, il s’agit de la pratique photographique. Le visiteur nous déclare alors se soumettre ou respecter un interdit institutionnel ancien: « j’oserai pas », « j’ai pas le droit ». En analysant les discours associés à ces deux formes de rejets d’usages, nous avons pu mettre en évidence une certaine façon d’envisager l’activité de visite d’une exposition de musée, et dégager une image du comportement à adopter au musée : un lieu où le silence est important, un lieu où la concentration est nécessaire pour vivre une expérience, un lieu où l’on ne tolère que peu de dérangement, un lieu où l’on s’isole du monde extérieur. Se dessine donc l’image d’un musée au sein duquel la photo serait interdite; le silence, une marque du respect et la concentration, une preuve de l’attention accordée aux savoirs offerts par le musée. Les répondants à travers leur discours semblent agir pour la conservation de cette image de façon militante, discrète ou en s’aménageant des espaces de compromis. Enfin et de manière subséquente, la potentialité d’un usage simultané des réseaux sociaux numériques pendant l’activité de visite apparaît comme hors sujet. [End Page 341]

Après la visite, les éléments recueillis auprès des visiteurs et étant donné la forme de l’entretien sont de l’ordre de l’intention. Il ne s’agit pas de récits d’usages déjà réalisés. Ce biais nous impose de prendre ces analyses avec un certain recul et de considérer les déclarations comme des intentions. À partir de nos résultats, nous pouvons conclure sur l’importance, a priori accordée par les visiteurs aux échanges humains par rapport à des échanges médiatisés pour partager leur expérience de visite. Lorsqu’Internet pourrait être utilisé comme support des échanges, la photographie est très souvent associée et le réseau social Facebook ou l’usage d’un blog sont les interfaces qui apparaissent comme des évidences technologiques. À ce sujet, la photographie joue alors un rôle support. On relève d’ailleurs que les verbes utilisés sont différents de ceux employés dans le cas de possibles d’échanges en face à face : « passer l’info », « relayer », « communiquer », « raconter » ou encore « publier ».

Analyse des réponses aux questionnaires

Lorsque l’on se penche sur les résultats du questionnaire, on obtient certains recoupements avec les premiers résultats issus des entretiens qui viennent d’être détaillés.

Afin d’analyser nos données, nous avons choisi de définir 16 modalités qua-litatives d’analyse (tableau 1). Elles sont obtenues à l’aide d’un processus de définition des contributions de chaque question à ces modalités.

Tableau 1. Modalités (normalisées sur une échelle de 0 à 6)
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Tableau 1.

Modalités (normalisées sur une échelle de 0 à 6)

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Figure 2. Modalités qualitatives d’analyse
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Figure 2.

Modalités qualitatives d’analyse

On obtient alors le résumé suivant des 305 répondants (figure 2). Les répondants aux questionnaires, en majorité, ne visitent pas toutes les expositions (1), ont aperçu en ville au moins deux annonces du musée (2) mais moins d’une annonce par voie électronique (3). Par ailleurs, ils parlent oralement de leur visite à au moins une autre personne (4) mais rarement sur Internet (5). La majorité des répondants, toujours, ont une vision “classique”6 du rôle du musée (6) et généralement la visite n’a pas de suite concrète (8) bien qu’ils viennent régulièrement (9). Les répondants ont au moins 3 types d’accès à Internet (7) mais l’utilisent peu pour leurs activités de loisir (14). Enfin, il s’agit d’une population majoritairement féminine (10), professionnellement active (15) avec un niveau médian de diplôme équivalent à la licence (16). Elle prend cependant le temps des loisirs (13) hors Internet (14) et assiste à au moins 3 spectacles par an (12).

À ces 16 variables qualitatives s’ajoutent :

  • • 2 variables quantitatives informatives : l’âge et la longueur du texte libre écrit en fin de questionnaire.

  • • 4 variables contextuelles qui sont le temps écoulé à répondre à chaque page du questionnaire.

On observe que la majorité des répondants ont entre 40 et 60 ans. On note aussi qu’ils ont écrit des textes courts en fin de questionnaire. Ce résultat tranche avec le quart des répondants qui prend le temps de rédiger des textes de plus de 200 caractères.

Enfin, le temps passé par les visiteurs à répondre aux questions relatives à leurs activités et leurs loisirs est supérieur à celui passé à répondre aux questions [End Page 343] relatives à leur visite au Musée (figure 3). Nous en déduisons qu’il s’agit d’un indice nous permettant de formuler l’hypothèse que ces répondants ont la volonté de se faire connaître du personnel du Musée.

Figure 3. Temps passé à répondre aux différentes parties du questionnaire
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Figure 3.

Temps passé à répondre aux différentes parties du questionnaire

Synthèse : Modèles de corrélation

Pour aller plus loin dans le résumé descriptif de ces résultats, nous regroupons les 22 modalités d’analyse précédentes par degré de corrélation. Nous obtenons les 7 regroupements suivants qui combinent modalités qualitatives et quantitatives (tableau 2). Nous évaluons la corrélation de ces regroupements avec la W de Kendall et sa significativité (3 degrés notés *, ** et ****) selon la loi du Chi2 (bibliothèque Vegan de R7). Les noms de ces regroupements sont notre choix.

Trois corrélations remarquables émergent à ce niveau :

  1. a. Le temps passé par les répondants à compléter la partie personnelle du questionnaire relative à leurs habitudes est corrélé aux loisirs et au partage sur les réseaux sociaux. Ce résultat tend à confirmer que la dimension ludique et participative du questionnaire a été atteinte puisqu’assimilé à une activité de loisir sur le web participatif.

  2. b. Les textes longs sont corrélés à une approche classique des missions que les répondants assignent au Musée, et ce au détriment d’une approche participative. Ce résultat vient alors en porte à faux de l’engagement qu’ils mettent en oeuvre lorsqu’ils prennent le temps d’écrire un long texte en fin de questionnaire. Il semble y avoir un hiatus entre représentations que se font les usagers, et leurs usages effectifs. Les liens entre une représentation du Musée que se feraient les répondants et leur degré d’engagement via le web nous semblent donc mériter encore des approfondissements.

  3. c. L’âge des répondants (par ordre croissant) est corrélé à la prédisposition à partager des renseignements personnels liés aux catégories socio profession-nelles. Ainsi le temps passé à compléter cette partie du questionnaire est plus élevé chez les personnes âgées que chez les jeunes actifs ou étudiants.

[End Page 344]

Tableau 2. Modèle externe PLS-PM
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Tableau 2.

Modèle externe PLS-PM

Nous abordons maintenant le modèle PLS8 évoqué plus haut grâce aux figures 4 et 5. La plus forte corrélation est obtenue entre loisirs et webpart ce qui indiquerait que l’utilisation du web 2.0 sans être vu comme un loisir est nécessaire à leur pratique de loisir. La deuxième corrélation apparaît entre loisirs et actif comme si une importante activité de loisirs indiquerait une forte activité professionnelle associée à un haut niveau de diplôme. Le plus surprenant dans ce schéma est, peut-être, que l’on ne trouve pas de corrélation directe entre loisirs et visiteur, ni entre actif et visiteur. Le lien entre les loisirs et le visiteur passe forcément par le webpart ce qui nous permet de penser que la présence du Musée

Figure 4. Modèle PLS-PM « interne » maximisant les corrélations externes entre regroupements
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Figure 4.

Modèle PLS-PM « interne » maximisant les corrélations externes entre regroupements

[End Page 345]

Figure 5. Modèle PLS-PM « interne » maximisant les corrélations externes entre regroupements
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Figure 5.

Modèle PLS-PM « interne » maximisant les corrélations externes entre regroupements

sur Internet et les réseaux sociaux est indispensable à sa relation avec ce public spécifique. Les autres corrélations observées sont plus classiques. La corrélation entre perso et visiteur s’explique par la modalité âge constitutive du regroupement perso. Il s’agit d’un public disposant de plus de temps libre que l’on peut plus facilement croiser au Musée. Plus précisément, ce sont des visiteurs en fin de carrière ou à la retraite, donc disposant de plus de temps libre. Plus remar-quable est la double corrélation entre partage, perso et visiteur. Parler du Musée autour de soi indique bien sûr que l’on est soi-même un visiteur du Musée, mais aussi une certaine catégorie d’âge. Enfin la visite (le fait d’avoir, à plusieurs reprises, visité le musée et le temps passé à répondre aux questions relatives aux expositions vues) est directement corrélée à une vision classique du Musée, quel que soit l’âge.

Discussion et conclusions

À l’heure où la majorité des musées ont choisi de créer leur page Facebook, d’ouvrir un compte Twitter, d’exister sur les réseaux sociaux par des stratégies de communication qui souvent relèvent plus du bricolage que du professionnalisme assuré, la plupart de leurs directions se posent la question de l’efficacité muséale de ces nouveaux médias en lien étroit avec la participation informatique.

Faut-il désormais s’engager dans la conception et la maintenance de plate-formes participatives en lignes pour gagner en efficacité, afin de toucher toujours plus de publics potentiels ? Les formes de participation informatique étudiées permettent-elles de rejoindre les enjeux de la participation muséale en terme [End Page 346] d’investissement des usagers dans les projets d’acquisition, de documentation et d’exposition ? Qu’entend-on par « efficacité muséale » en 2015, en ce début de XXIe siècle ?

Comme nous sommes muséologues et non pas économistes, selon nous l’efficacité muséale se mesure plus à l’aune de la qualité des expériences intimes que les publics vivent en allant au musée et aux enjeux culturels des thématiques traitées par les expositions qu’au nombre de visiteurs, qu’à la progression de la billetterie mensuelle de chaque institution. Une logique du chiffre qui n’est pas sans rappeler les principes qui sous-tendent les injonctions participatives de Facebook.

Faut-il pour autant se cantonner à cette vision avant tout qualitative et symbolique et, si l’on n’y prend garde, nier que le musée existe désormais sur Internet, par son site, par son blog, par les réseaux sociaux précisément ? Non évidemment. Défendre le droit au symbolique ne signifie pas du tout pour le chercheur en muséologie s’enfermer dans une perspective passéiste de l’étude des usages des publics contemporains du musée. Les publics des musées sont connectés tout autant que les usagers des bibliothèques, que les publics des concerts, du cinéma, des médias et des arts vivants, aussi leurs usages dans le musée et sur Internet pour communiquer avec le musée méritent d’être analysés et mis en perspective avec de nouvelles manières de penser la question de la pratique participative au musée; sur Internet ou dans les expositions. On sait depuis les années 2000 qu’Internet ouvre de nouveaux espaces de transaction entre l’usager du musée et ses professionnels. Mais ces espaces sont-ils investis par les publics ?

C’est précisément l’objectif interdisciplinaire de la recherche en cours présentée de manière synthétique dans cet article que répondre à ces questions : tenter d’innover en concevant des questionnements théoriques et des protocoles de recherche interdisciplinaire qui permettraient de bousculer nos connaissances déjà anciennes sur les publics des musées, leurs attentes, leurs pratiques culturelles autres, leurs profils sociaux professionnels, leurs relations au musée et leurs relations aux outils de communication technologiques et numériques, dont l’Internet.

Pour obtenir les résultats que nous avons présentés ici nous avons pris le risque de l’interdisciplinarité informatique/muséologie en tentant de nouveaux protocoles d’enquêtes et d’analyses des données obtenues par entretien de type ethnographique et par questionnaires mis en ligne. Puis nous avons innové en traitant en miroir ces différents types de protocoles d’enquêtes, afin de pouvoir faire apparaître puis interpréter des corrélations jusque-là inconnues entre les catégories de visiteurs, leur mode de vie, leur relation à la culture et au musée. Nous faisons alors apparaître des savoirs sur les amateurs de visite de musée qui ne nous semblent pas encore avoir émergé des études en sociologie des publics. Ce résultat est en lui seul tout à fait intéressant.

Mais nous tenterons à partir de ces premiers résultats, de voir plus loin encore dans la compréhension de l’efficacité muséale, en dirigeant nos recherches à venir sur de nouveaux protocoles d’évaluation muséale et d’étude des publics (Poli 2014, 118) que les musées et peut-être les bibliothèques pourraient s’appro-prier dès demain. [End Page 347]

Florence Andreacola
Département Sciences de l’Information et de la Communication, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
florence.andreacola@alumni.univ-avignon.fr
Eric SanJuan
Département Sciences de l’Information et de la Communication, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
eric.sanjuan@univ-avignon.fr
Marie-Sylvie Poli
Département Sciences de l’Information et de la Communication, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
marie-sylvie.poli@univ-avignon.fr

Notes

1. La spécificité scientifique et méthodologique de cette recherche est de se dérouler à l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse dans le cadre d’un contrat doctoral Agorantic : la doctorante est co-encadrée par un chercheur en muséologie et par un chercheur en informatique.

2. Binette, R. 2009. « La contribution des institutions muséales au “capital social” : cas de l’Écomusée du fier monde (Montréal, Canada) ». Dans Activaciones patrimonia-les e iniciativas museísticasƧ̇ Por quiénƧ̇YƧ̇ para quiénƧ̇, sous la dir. de Iñaki Arrieta Urtizberea. Bilbao : Euskal Herriko Unibertsitateko Argitalpen Zerbitzua et Servicio Editorial de la Universidad del País Vasco, 129–50. Voir « À propos de l’écomusée », http://ecomusee.qc.ca/ecomusee/mission-et-valeurs/.

3. Andreacola, F., M.-S. Poli et E. SanJuan. 2014. « Musée et numérique : Quelles visions du participatif Ƨ̇ ». Actes du colloque Ludovia 2013. Ax-les-Thermes, Imaginaire(s) du numérique.

4. Données confidentielles analysées dans le cadre d’une convention de partenariat recherche avec un musée de société et sa tutelle.

5. Eidelman J., et A. Jonchery. 2012. À l’écoute des visiteurs. Résultats de l’enquête nationale sur la satisfaction des publics des musées nationaux.

6. Nous avons classé les réponses de la question n° 5 dans un ordre que nous estimons représenter une approche du musée classique (conservation, diffusion) à une approche des missions renouvelées (prenant plus en compte le rôle sociétal et culturel du musée).

7. Documentation pour le package “Vegan 1.16–32”. http://cc.oulu.fi/~jarioksa/softhelp/vegan/html/00Index.html.

8. Nous utilisons la bibliothèque Pls-pm de R : R. PROJECT. “Pls-pm”. http://cran.r-project.org/web/packages/plspm/index.html.

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