Publicité

Comment décrocher les ados de leurs écrans ?

Difficulté de concentration, manque de sommeil, lien social affaibli… Les universitaires de la Silicon Valley sont unanimes pour dénoncer les méfaits des écrans et des réseaux sociaux sur les adolescents. Mais ne sont pas d'accord sur les mesures à prendre.

0602140748695_web_tete.jpg
(Shutterstock)

Par Jacques Henno

Publié le 28 oct. 2019 à 15:45

La Waldorf School of the Peninsula - « l'école sans écran » - est sans doute l'établissement scolaire le plus connu de la Silicon Valley. Situé à Los Altos, il est fréquenté par des enfants privilégiés. « 70 % de nos élèves ont au moins un parent qui travaille dans les nouvelles technologies», détaille Alison Davis, responsable du cours de « culture du numérique » en classe de terminale, interrogé par  « Les Echos ».

En octobre 2011, un article du « New York Times » titré « Une école de la Silicon Valley sans ordinateur », avait braqué les projecteurs sur cette petite école qui accueille 450 élèves, de la maternelle au lycée. « Historiquement les parents inscrivaient leurs enfants ici pour développer leur sens de relations humaines, nuance Pierre Laurent, président de l'école. Mais depuis l'article de 2011, nous avons effectivement des familles qui viennent ici, car elles savent qu'il n'y a pas d'écran ». La Silicon Valley s'inquiéterait-elle des conséquences de ses inventions sur sa progéniture ?

Victimes des écrans

«Les entreprises commencent à se poser la question, sous la pression de leurs actionnaires mais aussi de leurs employés qui sont eux-mêmes parents», constate Irina Raicu, responsable du programme Ethique de l'Internet de l'université de Santa Clara. En janvier 2018, deux actionnaires d'Apple, CalSTRS, le fonds de pension des enseignants de Californie, et Jana Partners, un fonds d'investissement new-yorkais, avaient écrit à la firme à la pomme, lui enjoignant de donner aux parents de meilleurs outils de contrôle. A la rentrée scolaire suivante, l'application Temps d'écran voyait le jour . Mais sur Reddit ou YouTube, les enfants s'échangent les meilleures astuces pour contourner ce contrôle parental…

Publicité

Du coup, beaucoup de cadres de la Vallée s'inquiètent des conséquences de leur travail sur leurs enfants. Diplômé de la Stanford Business School, Nir Eyal avait publié en 2014 « Hooked » (traduit en français : « Comment créer un produit ou un service addictif », Eyrolles, 221 pages) à destination des entreprises. Cinq ans plus tard, il s'adresse aux victimes des écrans dans « Indistractable : How to control your attention and choose your life ». « Il n'a jamais été aussi facile d'être distrait», prévient-il.

Impact sur la socialisation

A l'origine de sa conversion, son expérience personnelle, bien sûr, mais aussi les signaux d'alarme tirés par les experts . Dans toutes les facs de la région, des chercheurs planchent sur l'influence des réseaux sociaux. Ces plates-formes rendent-elles addicts et déprimés ? « De la même façon que l'on peut devenir alcoolique ou drogué, nous pouvons devenir 'accros' aux réseaux sociaux et nous couper du monde », constate Anna Lembke, psychiatre, responsable du département addiction du centre médical de l'université Stanford. Jeff Hancock, professeur de communication dans la même université, est plus prudent. «J'ai passé en revue plusieurs centaines de publications scientifiques pour vérifier si les réseaux sociaux avaient un impact sur l'anxiété, la dépression…, détaille-t-il. On ne peut pas tirer de conclusion»

En revanche, l'impact sur la socialisation est dénoncé par tous. « Les sollicitations permanentes des réseaux sociaux vous empêchent de vous concentrer sur votre travail ou les personnes qui vous entourent», rappelle Erik Peper, professeur d'éducation à la santé à l'université d'Etat de San Francisco. « Passer trop de temps sur ces applications conduit les jeunes à moins dormir, à faire moins de sport, à se comparer en permanence à leurs amis ou à des célébrités, ce qui peut aggraver un manque de confiance en soi », ajoute Adriana Manago, qui enseigne la psychologie à l'université de Californie à Santa Cruz. «Sur les réseaux sociaux, nous consacrons beaucoup de temps à consulter des informations, parfois sans aucun intérêt, car cela active le système de récompense de notre cerveau, qui sécrète la dopamine, une hormone associée au plaisir», renchérit Ming Hsu, neuroéconomiste à la Business School de Berkeley.

Public vulnérable

Que faire ? Réapprendre à nos enfants à ne rien faire !« Les adolescents qui choisissent volontairement de s'isoler apprennent à contrôler leurs émotions et se sentent mieux», constate Margarita Azmitia, professeur de psychologie à Santa Cruz. Mais les jeunes ont beaucoup de mal à résister. «Ils sont très vulnérables : la façon dont leur cerveau se développe les rend très influençables par les médias sociaux», précise Christine Carter, sociologue à Berkeley. Comment aider les parents dans leur tâche d'éducation ? Trois camps s'affrontent.

Pour les ingénieurs et consultants qui, comme Nir Eyal, sont plus ou moins liés à des entreprises de la Silicon Valley, celles-ci doivent pouvoir continuer à proposer leurs services, quel que soit l'âge de leurs clients. Aux familles d'encadrer l'usage du numérique.

Techniques de « racolage »

Quelques universitaires américains plaident pour un dialogue constructif avec les Gafam. «L'élaboration d'une loi serait difficile compte tenu de la rapidité des changements technologiques», prévient Sandra Cortesi, directrice du programme « jeunesse et médias », au Centre Berkman Klein pour Internet et la société, à l'université de Harvard. Mais la plupart des experts californiens interrogés souhaiteraient que les Facebook, YouTube et autres Snapchat soient mis en face de leurs responsabilités : ces entreprises devraient être obligées, au minimum, d'avertir leurs jeunes utilisateurs des dangers qu'ils courent. Certains chercheurs préconisent même d'interdire à ces plates-formes, lorsqu'elles s'adressent à des mineurs, d'utiliser les mêmes techniques de « racolage » que pour les adultes : notifications incessantes, contenus personnalisés… « Nous avons besoin d'une nouvelle législation, car nous avons à faire à une nouvelle forme de capitalisme, celui de l'attention», estime Adriana Manago.

La FTC, l'agence fédérale américaine en charge de la protection des consommateurs, y réfléchit. Lors d'un colloque qu'elle avait organisé le 7 octobre dernier à Washington, une pédiatre, Jenny Radesky, est intervenue sur le thème : « Quand le numérique s'adresse aux enfants : conception des applications, collecte de données et implications pour les politiques ». Tout un programme…

Les aspects positifs des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ne sont pas forcément nocifs mais peuvent aussi aider :

· les ados les plus timides à se socialiser. L'adolescent veut rencontrer d'autres personnes mais peut être gêné par son corps qui se transforme. Se cacher, sur les réseaux sociaux, derrière un pseudonyme ou un avatar peut aider à faire tomber cette barrière ;

· les enfants issus des milieux défavorisés à élargir leur univers socioculturel. Les réseaux sociaux, comme toute composante d'Internet, constituent une ouverture sur le monde. A condition d'avoir acquis auparavant suffisamment d'esprit critique pour se déjouer des fake news ;

· les ados à se tenir informés des grands enjeux de la planète et, par exemple, du combat de Greta Thunberg, la jeune militante écologiste suédoise. «Facebook constitue une formidable source d'informations populaire, YouTube est une encyclopédie vidéo et Twitter est le média le plus rapide au monde», rappelle Jérôme Colombain, auteur de « Faut-il quitter les réseaux sociaux ? » (Editions Dunod, 222 pages, 16,90 euros) ;

· les ados qui se sentent différents - en raison de leur orientation sexuelle, d'un handicap ou d'une maladie - à trouver des personnes à leur écoute.

J.H.

Publicité

Où en est la recherche en France ?

L'étude Esteban menée en 2015 par Santé publique France révèle que les 15-17 ans consacrent en moyenne 5 heures 24 minutes par jour aux écrans : 4 heures 44 minutes pour les filles, mais 6 heures 17 minutes pour les garçons ! Conséquence principale : nos ados ne dorment pas assez . Michel Desmurget, docteur en neurosciences et auteur de « La Fabrique du crétin digital - Les dangers des écrans pour nos enfants » (Seuil, 432 pages, 20 euros) rappelle les effets des écrans sur le sommeil, la concentration et le travail des enfants. Il conseille que les plus grands n'y consacrent pas plus d'une heure par jour. Dans leur appel commun d'avril 2019, les trois Académies (Sciences, Médecine et Technologies) estiment que, pour les adolescents, «les réseaux constituent une source d'inquiétude importante, notamment à cause des risques de désinhibition de la communication et de harcèlement».

J. H.

Jacques Henno

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité