Une lueur d'espoir point à l'horizon pour tous les acteurs de l'éco-système de l'écrit (auteurs, éditeurs, distributeurs et libraires). "Le livre ne devrait pas connaître de scénario catastrophe similaire à celui de l'industrie musicale", écrivent Patrick Béhar et Laurent Colombani, tous les deux consultants au sein du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company, dans une étude intitulée "Les écrits à l'heure du numérique". Cette étude a été rendue publique, samedi 6 novembre, dans le cadre du 3e Forum d'Avignon, qui a choisi comme thème, cette année : "Nouveaux accès, nouveaux usages à l'ère numérique : la culture pour chacun ?"
Il faut, au préalable, souligner que cette étude n'a été menée qu'auprès de 3 000 lecteurs dans six pays (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni et Corée du Sud), soit un échantillon de 500 personnes en moyenne par pays, ce qui reste modeste. Mais les conclusions tirées par les deux analystes de Bain & Company sont des plus éclairantes pour les principaux acteurs de l'industrie du livre. Trois d'entre elles méritent d'être développées.
Au premier chef, les deux spécialistes estiment que "toutes les conditions sont aujourd'hui réunies pour que les lecteurs effectuent leur virage numérique". Ils prédisent que d'ici à l'horizon 2015, entre 15 % et 20 % des lecteurs auront adopté comme support pour lire les tablettes multimédias, du genre iPad ou les liseuses, du type Kindle. La tablette multifonctions qui s'adresse à un plus large public et la liseuse se démocratisent enfin. La première devrait occuper entre deux tiers et trois quarts du marché, la seconde, qui s'adresse davantage aux 20 % de la population qui lisent le plus, conservera entre un tiers et un quart du marché. Mais loin de se cannibaliser, ces deux supports seraient même complémentaires. Le principal effet du lancement de l'iPad, la tablette d'Apple, a été de contraindre Amazon à diviser par deux le prix de vente de son Kindle.
MM. Béhar et Colombani notent que les Etats-Unis, les pays asiatiques et, dans une certaine mesure, le Royaume-Uni vont basculer plus vite dans le numérique (autour de 20 %), tandis que l'Allemagne et la France, qui conservent un réseau très dense d'acteurs qui vendent des livres (librairies, maisons de la presse, grandes surfaces...), vont évoluer plus lentement vers le numérique (15 % du marché en 2015).
À QUI VA PROFITER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ?
Les deux auteurs de l'étude constatent que la migration vers le numérique s'accompagne d'un regain d'intérêt pour la lecture. En clair, le passage du papier à la Toile ne se fait pas à part égale, mais entraîne une création de valeur. Plus de 40 % des lecteurs équipés de support numérique déclarent lire plus qu'auparavant. Deuxième bonne nouvelle, la majorité des consommateurs se disent prêts à payer pour les e-books. "En ce qui concerne la musique, le numérique est entré sur le marché par le piratage, pour le livre, le passage se fait par la boutique en ligne", résume Laurent Colombani.
Par ailleurs, livre numérique et livre physique devraient encore coexister pendant plusieurs années, car le principal frein (cité par 41 % des gens interrogés) à l'achat d'e-books est l'attachement à l'expérience du papier. Objet nomade par excellence, le livre a aussi une odeur : le lecteur aime le feuilleter, le caresser, le ranger dans sa bibliothèque. Ce comportement n'est pas réservé aux seniors, mais concerne aussi les trentenaires.
La troisième et dernière conclusion forte de cette étude porte sur le rôle des éditeurs (ou des agents aux Etats-Unis). Le passage au numérique nécessite une plus grande valeur ajoutée, de l'imagination et de la création de la part des acteurs du livre. C'est à cette aune-là que cette profession préservera son avenir. Pour des pans entiers de l'édition, de la jeunesse au pratique, le numérique devrait transformer les livres en permettant notamment plus d'interactivité. Le livre numérique homothétique (entre le papier et la Toile) ne concerne presque que la littérature et une partie des sciences humaines. Aux éditeurs de créer une offre légale, attractive et payante qui sera différente du support papier.
De fait, "l'apparente stabilité du marché littéraire pourrait bientôt cacher une révolution silencieuse", estiment les deux analystes : le numérique pourrait à l'avenir représenter entre 20 et 28 % des profits de cette industrie. En raison de la migration vers le numérique, des bouleversements importants sont aussi à attendre du côté des réseaux de distribution physique, essentiellement la librairie, de leur densité, voire de la nature même de ces réseaux.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu