La biopiraterie ou l'appropriation du vivant
La biopiraterie, un pillage organisé de la biodiversité
Pour simplifier, on parle de biopiraterie lorsqu'une entreprise privée dépose un brevet sur un gène, sur l’utilisation soi-disant nouvelle d’une plante ou, pire encore, sur une espèce vivante, et s'approprie ainsi un fragment de la biodiversité. Cette entreprise limite également l’exploitation du gène ou l'espèce concernés : une fois "l'innovation" brevetée, l’utilisation de l’objet du brevet est soumise au versement de royalties à la société détentrice.
L’appropriation du patrimoine génétique est un phénomène apparu en 1980 aux Etats-Unis (avec le dépôt d’un brevet par General Electric sur une bactérie génétiquement modifiée), et relativement courant aujourd’hui, puisque 15% des brevets déposés aux Etats-Unis concernent des organismes vivants. Non seulement ceci est discutable d’un point de vue éthique (le patrimoine vivant n’est-il pas un bien universel ?), mais cette manière d’agir est également dommageable pour les populations des pays dont sont issues ces richesses naturelles. Dans l’exemple d’une plante, la population qui la cultive de façon ancestrale et qui transmet ses connaissances (propriétés, usage que l’on peut en avoir) est doublement lésée. D’abord, elle ne gagne rien, alors que la société qui dépose le brevet et qui utilise les propriétés de la plante pour produire un médicament ou un produit cosmétique génère de confortables bénéfices. Pire encore, le peuple victime de biopiratage peut être amené à devoir payer des royalties pour utiliser ou vendre la plante en question.
Quelques exemples de cas de biopiraterie
Les exemples ne manquent pas : celui du margousier et de l’huile de neem (huile extraite des fruits du margousier) est particulièrement parlant. Les paysans indiens, qui utilisent l’huile de neem depuis des siècles pour ses propriétés insecticides et acaricides, se sont vus privés du droit d’accès aux fruits du margousier, à cause d’un brevet déposé par une société américaine. Ce brevet a d’ailleurs été annulé en 2005 par l’Office Européen des Brevets pour cause de biopiraterie.
La liste des espèces vivantes concernées par un brevet (sans accord avec le pays "fournisseur") est longue, en voici quelques-unes :
- Homolanthus nutans, aussi appelé Mamala, est une plante native du Samoa. Les populations locales l’utilisent depuis des siècles pour soigner la fièvre jaune. Le US National Cancer Institute en a extrait la prostratine, qui pourrait être utilisée dans le traitement du Sida, sans aucune compensation financière pour le pays d’origine de la plante.
- Banisteriopsis caapi, ou Ayahuasca, est une plante ligneuse qui pousse en Amérique du Sud. Son écorce est utilisée par les shamans indigènes pour traiter différentes maladies. La plante fait depuis 1986 l’objet d’un brevet américain.
- Aspalathus linearis, ou Rooibos, est une plante native d’Afrique du Sud, plus connue sous le nom de thé rouge. Une filiale du groupe Nestlé a déposé en catimini, en 2010, plusieurs brevets sur les applications de la plante. L’administration sud-africaine (l'Afrique du Sud est l’un des rares pays à avoir prévu dans sa législation les conditions d’accès aux ressources et de partage des bénéfices) a réagi afin de rétablir une équité dans la répartition d’éventuelles retombées financières.
- Deux espèces de Pelargonium issues d’Afrique du Sud sont utilisées par les populations locales pour soigner les bronchites. Schwabe, une société allemande, a tenté de déposer en 2008 plusieurs brevets sur les propriétés de la plante et ses méthodes d’extraction. Le bureau européen des brevets a révoqué ces brevets en 2010 pour défaut d’inventivité...
Technologie contre biodiversité : le pot de fer contre le pot de terre
La biopiraterie est généralement exercée par les pays de l’hémisphère Nord (riches en technologies et en entreprises âpres au gain), et subie par les pays de l’hémisphère Sud (riches en biodiversité mais dépourvus d'un cadre légal efficace). Ainsi, les Etats-Unis, le Japon et l’Europe détiennent à eux seuls 90% des droits de propriété intellectuelle ; tandis que le Brésil, le Mexique, la Malaisie et l’Indonésie subissent le plus important pillage en matière de ressources génétiques.
Selon la Convention sur la Biodiversité Biologique (CBD) signée en 1992, les Etats sont les ayants droits légitimes de leur patrimoine naturel et génétique, et ils sont chargés de la répartition équitable des ressources sur leur territoire. C’est donc à chaque pays qu’il incombe de créer des lois pour encadrer l’accès aux plantes et aux animaux, et de définir les règles de partage des bénéfices tirés de leur exploitation. Cependant, les pays du Sud sont pénalisés par une réglementation et une administration défaillantes : en pratique, rien, ou presque, n’est prévu pour faire valoir les droits des populations lésées, et les entreprises étrangères ne rencontrent guère de résistance. Par ailleurs, les sociétés de brevets examinent surtout, à l’heure actuelle, le caractère nouveau du produit ou de la méthode brevetés, et ne vérifient guère le respect des règles de la CBD.
Une question d'éthique
A défaut de pouvoir faire en sorte que les Etats se défendent eux-mêmes (la plupart du temps, les peuples lésés n'ont pas la même notion de propriété que la nôtre, et le concept même de brevet commercial leur est incompréhensible), des voix s’élèvent çà et là pour réclamer la fixation de limites à la brevetabilité de projets commerciaux sur les terres d’autrui. La brevetabilité de végétaux, d'animaux, et de tout procédé "essentiellement biologique" fait en outre l'objet d'une controverse au sein des pays de l'OMC.
Pour l'heure, la question de la biopiraterie reste pleinement d'actualité, la Conférence de Nagoya ayant réaffirmé la nécessité d'un partage équitable des gains ainsi que la nécessaire implication des populations locales.
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Moietudiant 24/05/2014, à Douala (cameroun)
Il est tout à fait regrettable de constater que la plupart des pays ayant des potentialités énormes à matière de biodiversité , ignore ou néglige encore ce phénomène pourtant bien enraciné. un appel à l'information et à la conscientisation est de mise. je m'y suis engagé mais je ne représente rien par rapport à ce qu'il faut faire. en fait la majorité de mes camarades entendent pour la première fois le concept de biopiraterie
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